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Hors des sentiers battus
La sociobiologie

  "Depuis quelque années, le concept darwinien de sélection naturelle a subi un dévoiement idéologique d'importance. Des éléments de la théorie économique de l'action, appropriée au marché concurrentiel, ont peu à peu remplacé la stratégie « opportuniste » de l'évolution, élaborée dans le années 1940 et 1950 par Simpson, Mayr, J. Huxley, Dobzhansky  et d'autres. On pourrait dire que le darwinisme, d'abord repris sous forme appropriée à la société, en tant que « darwinisme social », est revenu à la biologie en tant que capitalisme génétique. La sociobiologie a contribué tout particulièrement aux stades ultimes de cette évolution théorique. Dans les stades antérieurs, le principe économique d' « optimisation », ou de « maximisation », avait pris la place de la « reproduction différentielle » en tant que procès fondamental de la sélection naturelle. Les biologistes ne font d'ordinaire aucun différence entre « optimisation » et « maximisation » : ces terme sont utilisés comme de synonymes interchangeables ; dans d'autres disciplines, toutefois, on oppose souvent « optimisation» et « maximisation », puisque la solution qui est la meilleure, au point de vue de l’allocation des ressources, dans des conditions données, différera d'une stratégie de recherche du gain, indépendamment de circonstances (qui serait une réalisation « parfaite » du fonctionnement). En tout état de cause, ces deux conceptions reviennent à donner de la sélection naturelle une interprétation nouvelle, avec un calcul de l'avantage évolutif différent de celui qu'impliquait la conception classique de « reproduction différentielle ». Celle-ci constitue en un sens – qui n'est pas sans importance – un principe de différence distinctive minimale ; autrement dit, la sélection favorisera tout avantage reproductif, inscrit dans le génotype d'un ou plusieurs individus, qui assurerait, à chaque génération, la survie d'un descendant de plus que les autres génotypes. Dans sa version la plus récente, la nouvelle problématique a effectivement enlevé à la sélection son rôle de force directrice, au profit du dessein de maximisation du sujet biologique individuel. L'agencement de cette problématique fait de la sélection le moyen dont use l’ADN pour s'optimiser au fil des générations. La force directrice de l'évolution, d’abord attribuée aux conditions extérieures de milieu, passe ainsi à l'organisme lui-même. Dans le stade ultime de ce déraillement idéologique, la sociobiologie conçoit la stratégie sélective – pour autant qu'elle se traduit dans les interactions sociales – comme appropriation des forces vitales d'autres organisme au profit de la reproduction de l'intéressé."

 

Marshall Sahlins, Critique de la sociobiologie, 1976, tr. fr. J.-F. Roberts, Gallimard, 1980, p. 132-133.



  "La diversité, et donc l'adaptabilité, explique pourquoi tant de types d'organismes recourent à la reproduction sexuée. Ils surpassent largement en nombre les espèces qui recourent à la multiplication asexuée, directe et simple mais, à long terme, moins prévoyante.
  Pourquoi n'y a-t-il au juste que deux sexes ? Il est théoriquement possible d'imaginer un système sexuel fondé sur un seul sexe : des individus anatomiquement identiques qui produisent des cellules reproductrices de forme semblable et qui les combinent sans discrimination. C'est ce que font quelques plantes inférieures. Il est aussi possible d'avoir des centaines de sexes, ce qui est le cas de quelques champignons. Mais le système bisexué prévaut chez la plupart des êtres vivants. Ce système semble autoriser la division du travail la plus efficace possible.

  La femelle typique est un individu spécialisé dans la fabrication des œufs. La grande taille de l'œuf lui permet de résister à la dessiccation, de survivre aux périodes difficiles en utilisant le vitellus qui y est entreposé, d'être mis en sécurité par le parent, et de pouvoir se diviser au moins un certain nombre de fois après la fécondation avant de devoir trouver à l'extérieur des aliments pour se nourrir. On peut définir un mâle comme le fabricant de gamètes de petite taille qu'on appelle spermatozoïdes. Un spermatozoïde est une minuscule cellule, qui ne comporte guère qu'une tête bourrée d'acide désoxyribonucléique, mue par un flagelle qui a à sa disposition juste assez de réserve d'énergie pour conduire l'ensemble jusqu'à l'ovule.
  Quand les deux gamètes s'unissent au cours de la fécondation, ils forment aussitôt un mélange de gènes qu'entoure l'enveloppe permanente de l'œuf ou zygote. En coopérant ainsi pour fabriquer cet œuf, mâle et femelle favorisent la survie éventuelle de quelques-uns de leurs descendants au cas où surviendrait un changement de milieu. Un œuf fécondé diffère d'une cellule reproductrice asexuée par un caractère fondamental : il contient un mélange de gènes nouvellement assemblés.
  La différence morphologique entre les deux types de gamètes est souvent très grande. L'ovocyte humain, par exemple, est 85000 fois plus gros que le spermatozoïde humain. Les conséquences de ce dimorphisme gamétique se font sentir dans toute la biologie et la psychologie de la sexualité humaine. Le résultat immédiat le plus important est que la femelle investit beaucoup plus que le mâle dans chacun de ses gamètes. Une femme peut espérer produire environ 400 ovules au cours de sa vie. Sur ce nombre, une vingtaine au maximum pourront devenir des enfants viables. Le coût que représentent la mise au monde d'un enfant à terme et les soins qui s'ensuivent est relativement important. Par opposition, un homme libère environ 100 millions de spermatozoïdes à chaque éjaculation. Une fois qu'il a assuré la fécondation, sa participation purement physique est terminée. Ses gènes auront le même rôle que ceux de la femelle, mais son intervention sera suite bien inférieure à celle de la femelle, sauf si cette dernière parvient à le convaincre de participer aux soins à donner aux jeunes. Si un homme en avait l'entière liberté, il pourrait théoriquement féconder des milliers de femmes dans vie.
  Le conflit d'intérêts qui en résulte entre les sexes est une propriété non seulement des êtres humains, mais aussi de la plupart des espèces du règne animal. Typiquement, les mâles sont agressifs, en particulier les uns envers les autres, et plus encore au cours de la période de reproduction. Chez la plupart des espèces, la stratégie la plus profitable pour les mâles est la domination. Au cours de toute la période de temps nécessaire pour mener un fœtus à terme, de la fécondation de l'œuf à la naissance de l'enfant, un mâle peut féconder de nombreuses femelles, mais une femelle ne peut être fécondée que par un seul mâle. Si donc les mâles sont capables de courtiser les femelles l'une après l'autre, certains seront très largement favorisés et d'autres perdront toutes leurs chances, tandis que virtuellement toutes les femelles bien portantes réussiront à être fécondées. Il est donc intéressant pour les mâles d'être agressifs, hargneux, volages et polygames. En théorie, il est plus profitable aux femelles d'être timides et d'attendre d'avoir pu identifier les mâles porteurs des meilleurs gènes. Chez les espèces qui élèvent leurs jeunes, il est également important pour les femelles de choisir des mâles qui offrent le plus d'assurances de rester avec elles après l'accouplement.
  Les êtres humains obéissent fidèlement à ce principe biologique. Il est vrai que les milliers de sociétés actuelles varient énormément dans le détail pour leurs mœurs sexuelles et la division du travail entre les sexes. Cette variabilité est fondée sur la culture. Les sociétés adaptent leurs coutumes aux nécessités du milieu et, à cet égard, reproduisent dans le détail la plupart des solutions rencontrées chez le autres espèces du règne animal : de la monogamie stricte aux formes les plus poussées de polygamie, et d'une situation très proche de la mode unisexe aux différence extrêmes entre hommes et femmes tant par le costume que par le comportement. Si les êtres humains peuvent changer d'attitude consciemment et à volonté, et si la coutume établie dans une société peut être modifiée en une seule génération, néanmoins cette malléabilité n'est pas infinie, et on retrouve sous-jacents des caractères généraux qui sont tout à fait conformes à ce qu'on attend de la théorie de l'évolution."

 

Edward O. Wilson, L'humaine nature, 1978, tr. fr. R. Bauchot, Stock, 1979, p. 184-187.

 

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Date de création : 07/02/2016 @ 16:06
Dernière modification : 07/02/2016 @ 16:28
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