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Texte à méditer :  La raison du plus fort est toujours la meilleure.
  
La Fontaine
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Hors des sentiers battus
La justice distributive
  "Et puisque, à la fois, l'homme injuste est celui qui manque à l'égalité et que l'injuste est inégal, il est clair qu'il existe aussi quelque moyen entre ces deux sortes d'inégal. Or ce moyen est l'égal, car en toute espèce d'action admettant le plus et le moins il y a aussi l'égal. Si donc l'injuste est inégal, le juste est égal, et c'est là, sans autre raisonnement, une opinion unanime. Et puisque l'égal est moyen, le juste sera un certain moyen. Or l'égal suppose au moins deux termes. Il s'ensuit nécessairement, non seulement que le juste est à la fois moyen, égal, et aussi relatif c'est-à-dire juste pour certaines personnes, mais aussi qu'en tant que moyen, il est entre certains extrêmes (qui sont le plus et le moins), qu'en tant qu'égal, il suppose deux choses « qui sont égales », et qu'en tant que juste, il suppose certaines personnes « pour lesquelles il est juste ». Le juste implique donc nécessairement au moins quatre termes - les personnes pour lesquelles il se trouve en fait juste, et qui sont deux, et les choses dans lesquelles il se manifeste, au nombre de deux également. Et ce sera la même égalité pour les personnes et pour les choses : car le rapport qui existe entre ces dernières, à savoir les choses à partager, est aussi celui qui existe entre les personnes. Si, en effet, les personnes ne sont pas égales, elles n'auront pas des parts égales ; mais les contestations et les plaintes naissent quand, étant égales, les personnes possèdent ou se voient attribuer des parts non égales, ou quand, les personnes n'étant pas égales, leurs parts sont égales. On peut encore montrer cela en s'appuyant sur le fait qu'on tient compte de la valeur propre des personnes. Tous les hommes reconnaissent, en effet, que la justice dans la distribution doit se baser sur un mérite de quelque sorte, bien que tous ne désignent pas le même mérite, les démocrates le faisant consister dans une condition libre, les partisans de l'oligarchie, soit dans la richesse, soit dans la noblesse de race, et les défenseurs de l'aristocratie, dans la vertu.
  Le juste est, par suite, une sorte de proportion (car la proportion n'est pas seulement une propriété d'un nombre formé d'unités abstraites, mais de tout nombre en général), la proportion étant une égalité de rapports et supposant quatre termes au moins."
 
Aristote, Éthique à Nicomaque, livre V, 6, tr. fr. Jules Tricot, Vrin, 1967, p. 226-228.

 



  "Quelle étonnante ambiguïté dans la notion de Justice. Cela vient sans doute principalement de ce que le même mot s'emploie pour désigner la Justice Distributive et la Justice Mutuelle. Or ces deux fonctions se ressemblent si peu, que la première enferme l'inégalité, et la seconde l'égalité.
  Je fais un marché avec un autre homme ; et avant de conclure, je m'occupe à rechercher s'il n'y a point quelque inégalité entre nous, qui le détermine à faire contrat avec moi. Par exemple, si, au sujet du cheval que je lui vends, il ignore quelque chose que moi je sais, je dois l'instruire avant qu'il signe. Egalité ; justice mutuelle.

  Je suis membre d'un jury pour les chevaux ; j'ai à dire quel est l'éleveur qui mérite la récompense ; je la lui donne. Inégalité ; justice distributive.
  J'enseigne les mathématiques. J'ai en face de moi des enfants que je juge également dignes d'être instruits, quoiqu'ils n'aient pas tous les mêmes aptitudes. […] Je travaille à les rendre égaux, et je les traite tous comme mes égaux, malgré la nature, malgré les antécédents, contre les dures nécessités. Égalité ; justice mutuelle.
  J'examine des candidats pour l'École polytechnique. […] J'ai de bons postes à donner, mais en petit nombre. Aux plus forts. Et je donne des rangs. Inégalité ; justice distributive.
  Un juge siège comme arbitre dans un procès au civil. […] Si l'un des contractants est évidemment naïf, ignorant ou pauvre d'esprit, le juge annule ou redresse le contrat. Egalité ; justice mutuelle. Ici le pouvoir du juge n'est que pour établir l'égalité.
  Le même juge, le lendemain, siège comme gardien de l'ordre et punisseur. Il pèse les actes, la sagesse, l'intention, la responsabilité de chacun ; il pardonne à l'un ; il écrase et annule l'autre, selon le démérite. Inégalité ; justice distributive.
  Les deux fonctions sont nécessaires. Mais il me semble que la Justice Distributive a pour objet l'ordre et n'est qu'un moyen ; tandis que la Justice Mutuelle est par elle-même un idéal, c'est-à-dire une fin pour toute volonté droite. Le vrai nom de la première serait Police ; et le beau nom de Justice ne conviendrait qu'à l'autre."

 

Alain, Propos du 16 juillet 1912, Gallimard Pléiade, 1956, p. 136-137.


 

 "Lorsqu'on entend des gens se plaindre d'une injustice, parce qu'ils n'ont pas reçu le même traitement que leur voisin ou leur concurrent, personne ne pensera que ces gens soient identiques à ceux auxquels ils se comparent ou que, à leurs yeux, toute différence eût suffi à justifier un traitement inégal. Au contraire, ils feront expressément état de différences : ils diront que l'autre est plus riche ou plus influent, qu'il est parent ou ami de tel fonctionnaire, qu'il fait partie d'un clan, d'un groupe politique ou religieux proche du Pouvoir. Ils ne s'en plaignent que d'autant plus, persuadés que ces différences n'auraient pas dû influencer la décision.
  Il arrive aussi qu'on se plaigne d'un traitement égal et qu'au nom de la justice on revendique un traitement préférentiel. On énumérera, pour justifier ses prétentions, les différences essentielles qui ont été négligées et qui auraient dû être prises en considération.
  Celui qui se croit injustement traité prétend que seuls certains éléments, pertinents en l'occurrence, auraient dû influencer l'issue : il est injuste de négliger ces éléments, tout comme il est injuste de tenir compte d'éléments irrelevants, étrangers à la situation.
  L'injustice, ainsi conçue, ne résulte jamais du traitement inégal d'êtres identiques. Dans le premier cas, on se plaint du traitement inégal d'êtres différents : en effet, si les différences ne concernent pas des caractères essentiels, les parties auraient dû être traitées également, comme si elles avaient été semblables. Inversement, dans le second cas, on trouve injuste un traitement égal ou indifférencié, réservé à des êtres qui, conformément aux critères adoptés, sont essentiellement différents et font donc partie de catégories différentes.
  Mais quelles sont les différences qui importent et celles qui n'importent pas, dans chaque situation particulière ? Voilà où l'on cesse de s'entendre".

 
 
Chaïm Perelman, Droit, Morale et Philosophie, 1968, L.G.D.J, p. 27.

Date de création : 28/07/2011 @ 20:04
Dernière modification : 03/12/2025 @ 16:59
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