"R. (La Raison) - Cette phrase te semble-t-elle vraie : « Tout ce qui est est nécessairement quelque part. »
A. (Augustin) - Rien qui provoque davantage l'assentiment.
R. - Tu avoues que la vérité est ?
A. - Je l'avoue.
R. - Il est donc nécessaire de chercher à savoir où. Car elle n'occupe pas de lieu, à moins que tu ne penses qu'autre chose que le corps occupe le lieu, ou alors que la vérité est un corps.
A.- Je n'en crois rien.
R. - Où donc crois-tu qu'elle soit ? N'est pas nulle part ce à quoi nous avons concédé l'être.
A. - Si je le savais, je n'aurais peut-être plus rien à chercher.
R. - Au moins, peux-tu savoir où elle n'est pas ?
A. - Si tu cherches à t'en souvenir avec moi, peut-être le pourrai-je.
R. - Elle n'est assurément pas dans les choses périssables. Tout ce qui ne peut durer, si ne dure ce en quoi cela est[1] ; or, même pour les choses qui périssent, la vérité dure [...]. La vérité n'est donc pas dans les choses mortelles. La vérité est, et elle n'est pas nulle part. Il y a donc des choses immortelles. Or, rien n'est vrai en quoi la vérité ne soit. Il s'ensuit que rien n'est vrai si ce n'est ce qui est immortel. Et aucun faux arbre n'est un arbre, et aucune fausse ligne n'est une ligne, et aucun faux argent n'est de l'argent et, en somme, rien n'est de ce qui est faux. Or, tout ce qui n'est pas vrai est faux. Donc, on ne peut pas dire à juste titre que quelque chose est, si n'est ce qui est immortel."
Augustin, Les Soliloques (IVe-Ve siècle), Livre I, 29, trad. S. Dupuy-Trudelle, in Oeuvres, I, Éd. Gallimard, coll. "Bibliothèque de la Pléiade", 1998. p. 215.
[1] Ce en quoi cela est : ce qui sert de support à ce qui existe (Tout ce qui est "accident" ou "substance", étant périssable).
"La vérité est-elle dans la chose ou seulement dans l'intelligence ? Objections : 1. Il semble que la vérité n'est pas dans l'intelligence, mais plutôt dans les choses. En effet, saint Augustin, dans les Soliloques, rejette cette définition du vrai : « Le vrai est ce que l'on voit »; car, dit-il, en ce cas, les pierres qui se trouvent dans les profondeurs de la terre ne seraient pas de vraies pierres, parce qu'elles ne se voient pas. Il repousse également cette autre définition : « Le vrai est ce qui est tel qu'il apparaît au sujet connaissant, si celui veut et peut le connaître », car, dans ces conditions, rien ne serait vrai, si personne ne pouvait le connaître. Et lui-même définit ainsi le vrai : « Le vrai, c'est ce qui est. » Il semble donc que le vrai soit dans les choses et non dans l'intelligence. 2. Tout ce qui est vrai est vrai par la vérité. Donc, si la vérité est uniquement dans l'intelligence, rien ne sera vrai sinon dans la mesure où il est connu par l'intelligence, ce qui est l'erreur des anciens philosophes disant : « Tout ce qui apparaît est vrai. » Il s'ensuit que des propositions contradictoires sont vraies simultanément, car des propositions contradictoires paraissent vraies simultanément à plusieurs personnes. 3. « Ce qui fait qu'une chose est telle, est cela encore davantage », disent les Derniers Analytiques. Or, du fait qu'une chose est ou n'est pas, l'opinion ou la parole concernant cette chose sera vraie ou fausse, dit Aristote. Donc la vérité est dans les choses plutôt que dans l'intelligence. En sens contraire, le philosophe dit : « Le vrai et le faux ne sont pas dans les choses, mais dans l'intelligence. » Réponse : De même qu'on nomme « bon » ce à quoi tend l'appétit, de même on nomme « vrai » ce à quoi tend l'intelligence. Mais il y a cette différence entre l'appétition et l'intellection, ou tout autre mode de connaissance, que la connaissance consiste en ce que le connu est dans le connaissant, tandis que l'appétition consiste dans le penchant du sujet vers la chose même qui l'attire. Ainsi le terme de l'appétition, qui est le bon, se trouve dans la chose attirante, mais le terme de la connaissance, qui est le vrai, est dans l'intelligence. Or de même que le bien est dans la chose, en tant qu'elle est ordonnée à l'appétit, en raison de quoi la raison formelle passe de la chose attirante à l'appétit lui-même, de telle sorte que l'appétit est dit bon dès lors que ce qui l'attire est bon, de même, le vrai étant dans l'intelligence selon que celle-ci se conforme à la chose connue, il est nécessaire que la raison formelle du vrai passe à la chose par dérivation, de sorte que cette dernière soit dite vraie elle aussi en tant qu'elle est en rapport avec l'intelligence. [...]
On dira donc qu'une chose est vraie, absolument parlant, par comparaison avec l'intelligence dont elle dépend. De là vient que les productions de l'art sont dites vraies par rapport à notre intelligence ; par exemple, une maison est dite vraie quand elle revêt la forme d'art qui a été conçue par son architecte ; une parole est dite vraie quand elle est le signe d'une connaissance intellectuelle vraie. Pareillement les choses naturelles sont dites vraies en tant que se réalise en elles la similitude des formes intelligibles qui sont dans l'intelligence divine : on appelle une vraie pierre celle qui a la nature propre de la pierre, telle que l'a conçue l'intelligence de Dieu. Ainsi donc, la vérité est principalement dans l'intelligence, secondairement dans les choses, en tant que reliées à l'intelligence comme à leur principe. C'est pour cela que l'on a pu définir diversement la vérité. [...] La vérité est-elle dans l'intelligence seulement quand elle compose et divise ? [...] Réponse : On l'a déjà dit, le vrai, selon sa raison formelle première, est dans l'intelligence. Puisque chaque chose est vraie selon qu'elle possède la forme qui est propre à sa nature, il est nécessaire que l'intellect en acte de connaître soit vrai en tant qu'il y a en lui la similitude de la chose connue, similitude qui est sa forme propre en tant qu'il est connaissant. Et c'est pour cela que l'on définit la vérité par la conformité de l'intellect et de la chose. Il en résulte que connaître une telle conformité, c'est connaître la vérité. Or cette conformité, le sens ne la connaît en aucune manière ; car, bien que l'œil, par exemple, ait la similitude intentionnelle du visible, il ne saisit pas le rapport qu'il y a entre la chose vue et ce qu'il en appréhende. L'intellect, lui, peut connaître sa conformité à la chose intelligible. Ce n'est pourtant pas dans l'acte par lequel il connaît l'essence de la chose qu'il appréhende cette conformité. Mais quand il juge que la chose est bien telle que la représente la forme intelligible qu'il en tire, c'est alors qu'il commence à connaître et à dire le vrai."
Thomas d'Aquin, Somme théologique, 1266-1273, Paris, Cerf, 1985, II, II q.6 al.
"Le Vrai n'est pas un terme transcendantal[1]. – Ceux-là se sont donc trompés entièrement qui ont jugé le Vrai un terme transcendantal ou une affection de l'Être. Car il ne peut s'appliquer aux choses elles-mêmes qu'improprement ou, si l'on préfère, en vue de l'effet oratoire.
Comment diffèrent la vérité et l'idée vraie ? – Si l'on demande maintenant ce qu'est la vérité en dehors de l'idée vraie, que l'on demande ce qu'est la blancheur en dehors du corps blanc ; car la relation est la même entre ces choses. […]
Quelles sont les Propriétés de la Vérité ? La Certitude n'est pas dans les choses. – Les Propriétés de la Vérité ou de l'idée vraie sont :
1° Qu'elle est claire et distincte.
2° Qu'elle lève tout doute, ou, d'un mot, qu'elle est certaine. Ceux qui cherchent la certitude dans les choses elles-mêmes se trompent de la même manière que lorsqu'ils y cherchent la vérité ; et, quand nous disons qu'une chose est incertaine, nous prenons, à la façon des orateurs, l'objet pour l'idée, de même que quand nous parlons d'une chose douteuse, à moins que peut-être nous n'entendions par incertitude la contingence, ou la chose qui fait naître en nous l'incertitude ou le doute."
Spinoza, Pensées métaphysiques, 1663, tr. fr. Charles Appuhn, GF, 1964, p. 352-353.
[1] Dans la langue scolastique, se dit de certains attributs qui conviennent à tous les êtres.
"Deux hommes ne peuvent pas se nourrir d'un même fruit, embrasser le même corps, et s'ils sont éloignés, entendre la même voix, ni même souvent regarder les mêmes objets. Toutes les créatures sont des êtres particuliers, qui ne peuvent être un bien général et commun. Ceux qui possèdent ces biens particuliers en privent les autres, et par là les irritent, et en font des ennemis ou des envieux. Mais la raison est un bien commun, qui unit d'une amitié parfaite et durable ceux qui la possèdent ; car c'est un bien qui ne se divise point par la possession, qui ne s'enferme point dans un espace, qui ne se corrompt point par l'usage. La vérité est indivisible, immense, éternelle, immuable, incorruptible"
Malebranche, Traité de morale, 1684, Chapitre XVI, § 7.
Date de création : 27/09/2011 @ 11:03
Dernière modification : 26/07/2014 @ 16:22
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