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Texte à méditer :   C'est croyable, parce que c'est stupide.   Tertullien
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Figures philosophiques

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Hors des sentiers battus
Vérité et intérêts politiques
 "[…] la doctrine du juste et de l'injuste est débattue en permanence, à la fois par la plume et par l'épée. Ce qui n'est pas le cas de la doctrine des lignes et des figures parce que la vérité en ce domaine n'intéresse pas les gens, attendu qu'elle ne s'oppose ni à leur ambition, ni à leur profit, ni à leur lubricité. En effet, en ce qui concerne la doctrine selon laquelle les trois angles d'un triangle sont égaux à deux angles d'un carré, si elle avait été contraire au droit de dominer de quelqu'un, ou à l'intérêt de ceux qui dominent, je ne doute pas qu'elle eût été, sinon débattue, en tout cas éliminée en brûlant tous les livres de géométrie, si cela eût été possible à celui qui y aurait eu intérêt."
 
Hobbes, Léviathan, 1651, Chapitre 11, tr. fr. Gérard Mairet, Folio essais, p. 195.


  "En général, tout pouvoir, de quelque nature qu'il soit, en quelques mains qu'il ait été remis, de quelque manière qu'il ait été conféré, est naturellement ennemi des lumières. On le verra flatter quelquefois les talents, s'ils s'abaissent à devenir les instruments de ses projets ou de sa vanité : mais tout homme qui fera profession de chercher la vérité et de la dire, sera toujours odieux à celui qui exercera l'autorité.
  Plus elle est faible et partagée, plus ceux à qui elle est remise sont ignorants et corrompus, plus cette haine est violente [...].

  Il n'est pas nécessaire de fouiller dans les archives de l'histoire pour être convaincus de cette triste vérité ; dans chaque pays, à chaque époque, il suffit de regarder autour de soi. Tel doit être, en effet, l'ordre de la nature ; plus les hommes seront éclairés, moins ceux qui ont l'autorité pourront en abuser, et moins aussi il sera nécessaire de donner aux pouvoirs sociaux d'étendue ou d'énergie. La vérité est donc à la fois l'ennemie du pouvoir comme de ceux qui l'exercent ; plus elle se répand, moins ceux-ci peuvent espérer tromper les hommes ; plus elle acquiert de force, moins les sociétés ont besoin d'être gouvernées."

 

Condorcet, Ve Mémoire sur l'instruction publique, 1792, in Écrits sur l'Instruction publique, vol. 1, Edilig, 1989, p. 227-228.



  "Il n'a jamais fait de doute pour personne que la vérité et la politique sont en assez mauvais termes, et nul, autant que je sache, n'a jamais compté la bonne foi au nombre des vertus politiques. Les mensonges ont toujours été considérés comme des outils nécessaires et légitimes, non seulement du métier de politicien ou de démagogue mais aussi de celui d'homme d'État. […]
  Si nous concevons l'action politique en termes de moyens et de fins, nous pouvons même parvenir à la conclusion, qui n'est paradoxale qu'en apparence, que le mensonge peut fort bien servir à établir ou à sauvegarder les conditions de la recherche de la vérité [...] Et les mensonges puisqu'ils sont souvent utilisés comme des substituts de moyens plus violents, peuvent aisément être considérés comme des instruments relativement inoffensifs dans l'arsenal de l'action politique. […]

  Et si nous songeons à présent aux vérités de fait – à des vérités aussi modestes que le rôle, durant la Révolution russe, d'un homme du nom de Trotski qui n'apparaît dans aucun des livres d'histoire de la Russie soviétique – nous voyons immédiatement combien elles sont plus vulnérables que toutes les espèces de vérités rationnelles prises ensemble. [...] La domination (pour parler le langage de Hobbes) lorsqu'elle s'attaque à la vérité rationnelle, outrepasse pour ainsi dire ses bornes, tandis qu'elle livre bataille sur son propre terrain quand elle falsifie et efface les faits. Les chances qu'a la vérité de fait de survivre à l'assaut du pouvoir sont effectivement très minces ; elle est toujours en danger d'être mise hors du monde, par des manœuvres, non seulement pour un temps, mais virtuellement pour toujours. Les faits et les événements sont des choses infiniment plus fragiles que les axiomes, les découvertes et les théories – même les plus follement spéculatives – produits pas l'esprit humain ; ils adviennent dans le champ perpétuellement changeant des affaires humaines, dans leur flux où rien n'est plus permanent que la permanence, relative, comme on sait, de la structure de l'esprit humain. Une fois perdus, aucun effort rationnel ne les ramènera jamais. […]
  Quand on la considère du point de vue de la politique, la vérité a un caractère despotique. Elle est donc haïe des tyrans, qui craignent à juste titre la concurrence d'une force coercitive qu'ils ne peuvent pas monopoliser, et elle jouit d'un statut plutôt précaire aux yeux des gouvernements qui reposent sur le consentement et qui abhorrent la coercition. Les faits sont au-delà de l'accord et du consentement, et toute discussion à leur sujet – tout échange d'opinion qui se fonde sur une information exacte – ne contribuera en rien à leur établissement. On peut discuter une opinion importune, la rejeter ou transiger avec elle, mais les faits importuns ont cette exaspérante ténacité que rien ne saurait ébranler, sinon de purs et simples mensonges. L'ennuyeux est que la vérité de fait, comme toute autre vérité, exige péremptoirement d'être reconnue et refuse la discussion alors que la discussion constitue l'essence même de la vie politique. Les modes de pensée et de communication qui ont affaire avec la vérité, si on les considère dans la perspective politique, sont nécessairement tyranniques ; ils ne tiennent pas compte des opinions d'autrui, alors que cette prise en compte est le signe de toute pensée strictement politique."

 

Hannah Arendt, "Vérité et politique", 1964, in La Crise de la culture, tr. fr. Claude Dupont et Alain Huraut,  Folio essais, 2007, p. 289-307.

 

  "Des affirmations comme « la somme des angles d'un triangle est égale à deux droits », « la terre tourne autour du soleil », « mieux vaut souffrir le mal que faire le mal », « en août 1914 l'Allemagne a envahi la Belgique » sont très différentes par la manière dont elles ont été établies, mais une fois perçues comme vraies et déclarées telles, elles ont en commun d'être au-delà de l'accord, de la discussion, de l'option, du consentement. Pour ceux qui les acceptent, elles ne sont pas changées par le nombre grand ou petit de ceux qui admettent la même proposition ; la persuasion ou la dissuasion sont inutiles car le contenu de l'affirmation n'est pas d'une nature persuasive mais coercitive.
  […] Ce que Mercier de la Rivière[1] a remarqué un jour à propos de la vérité mathématique s'applique à toutes les espèces de vérité : « Euclide est un véritable despote ; et les vérités géométriques qu'il nous a transmises sont des lois véritablement despotiques ». Dans un même ordre d'idées, Grotius, environ cent ans plus tôt – désirant limiter le pouvoir du monarque absolu –, avait insisté sur le fait que « même Dieu ne peut pas faire que deux fois deux ne fassent pas quatre ». […]

  Quand on la considère du point de vue politique, la vérité a un caractère despotique. Elle est donc haïe des tyrans, qui craignent à juste titre la concurrence d'une force coercitive qu'ils ne peuvent pas monopoliser, et elle jouit d'un statut plutôt précaire aux yeux des gouvernements qui reposent sur le consentement et qui abhorrent la coercition. Les faits sont au-delà de l'accord et du consentement, et toute discussion à leur sujet – tout échange d'opinions qui se fonde sur une opinion exacte – ne contribuera en rien à leur établissement. On peut discuter une opinion importune, la rejeter ou transiger avec elle, mais les faits importuns ont cette exaspérante ténacité que rien ne saurait ébranler, sinon de purs et simples mensonges."

 

Hannah Arendt, "Vérité et politique", 1967, in La Crise de la culture, trad. P. Lévy, Éd. Gallimard, Folio, 2007, p. 307-308.


[1] Économiste (1720-1793).

 

Date de création : 02/07/2012 @ 14:51
Dernière modification : 05/03/2015 @ 08:50
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