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Hors des sentiers battus
Espace féminin et espace masculin

  "L'espace domestique, espace fermé, pourvu d'un toit (protégé) est, pour le Grec, à connotation féminine. L'espace du dehors, du grand air, à connotation masculine. La femme est dans son domaine à la maison. C'est là qu'est sa place ; en principe elle n'en doit pas sortir. L'homme représente au contraire, dans l'oikos, l'élément centrifuge : c'est à lui de quitter l'enclos rassurant du foyer pour affronter les fatigues, les dangers, les imprévus de l'extérieur, à lui d'établir les contacts avec le dehors, d'entrer en commerce avec l'étranger. Qu'il s'agisse du travail, de la guerre, du négoce, des relations d'amitié, de la vie publique, qu'il soit aux champs, à l'agora, sur la mer ou par route, les activités de l'homme sont orientées vers le dehors. Xénophon ne fait qu'exprimer le sentiment commun quand, après avoir opposé l'espèce humaine au bétail comme ce qui a besoin d'un toit pour s'abriter à ce qui vit en plein air, il ajoute que la divinité a doté l'homme et la femme de natures contraires. Corps et âme, l'homme est fait pour les activités de plein air, les occupations au dehors, la femme pour celles du dedans. Aussi est-il « plus convenable pour la femme de rester à la maison que de sortir au dehors, plus honteux pour l'homme de demeurer au dedans que de s'occuper à l'extérieur »[1].
  Il est pourtant un cas où cette orientation de l'homme vers le dehors, de la femme vers le dedans, se trouve inversée : dans le mariage, contrairement à toutes les autres activités sociales, la femme constitue l'élément mobile dont la circulation fait le lien entre groupes familiaux différents, l'homme restant au contraire fixé à son propre foyer domestique. L'ambiguïté du statut féminin consiste donc en ceci que la fille de la maison, - plus liée que le garçon, par sa nature féminine, à l'espace domestique -, ne peut pourtant s'accomplir en femme par le mariage sans renoncer à ce foyer dont elle a la charge."

 

Jean-Pierre Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs, 1965, Éd. Maspéro, t.1, p.131-133.


 

  "L'espace des chasseurs nomades ne peut se répartir selon les mêmes lignes que celui des agriculteurs sédentaires. Divisé pour ceux-ci en espace de la culture, que constituent le village et les jardins, et en espace de la nature occupé par la forêt environnante, il se structure en cercles concentriques. Pour les Guayaki au contraire, l'espace est constamment homogène, réduit à la pure extension où s'abolit, semble-t-il, la différence de la nature et de la culture. Mais, en réalité, l'opposition déjà relevée [entre les hommes et les femmes] au plan de la vie matérielle fournit également le principe d'une dichotomie de l'espace qui, pour être plus masquée qu'en des sociétés d'un autre niveau culturel, n'en est pour autant pas moins pertinente. Il y a chez les Guayaki un espace masculin et un espace féminin, respectivement définis par la forêt où chassent les hommes et par le campement où règnent les femmes. Sans doute les haltes sont-elles très provisoires : elles durent rarement plus de trois jours. Mais elles sont le lieu du repos où l'on consomme la nourriture préparée par les femmes, tandis que la forêt est le lieu du mouvement spécialement voué aux courses des hommes lancés à la recherche du gibier. On n'en saurait conclure, bien entendu, que les femmes sont moins nomades que leurs époux. Mais, en raison du type d'économie à quoi est suspendue l'existence de la tribu, les vrais maîtres de la forêt sont les chasseurs : ils l'investissent effectivement obligés qu'ils sont de l'explorer avec minutie pour en exploiter systématiquement toutes les ressources. Espace du danger et du risque, de l'aventure toujours renouvelée pour les hommes, la forêt est au contraire, pour les femmes, espace parcouru entre deux étapes, traversée monotone et fatigante, simple étendue neutre. Au pôle opposé, le campement offre au chasseur la tranquillité du repos et l'occasion du bricolage routinier, tandis qu'il est pour les femmes le lieu où s'accomplissent leurs activités spécifiques et se déploie une vie familiale qu'elles contrôlent largement. La forêt et le campement se trouvent ainsi affectés de signes contraires selon qu'il s'agit des hommes ou des femmes. L'espace, pourrait-on dire, de la « banalité quotidienne », c'est la forêt pour les femmes, le campement pour les hommes : pour ceux-ci l'existence ne devient authentique que lorsqu'ils la réalisent comme chasseurs, c'est-à-dire dans la forêt, et pour les femmes lorsque, cessant d'être des moyens de transport, elles peuvent vivre dans le campement comme épouses et comme mères.
  On peut donc mesurer la valeur et la portée de l'opposition socio-économique entre hommes et femmes à ce qu'elle structure le temps et l'espace des Guayaki."

 

Pierre Clastres, La société contre l'État, 1974, chapitre 5 : L'arc et le panier, Éditions de minuit, p. 90-91.


[1] Xénophon, Économique, VII, 30.

 

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Date de création : 05/02/2014 @ 16:29
Dernière modification : 05/02/2014 @ 16:29
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