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Texte à méditer :  C'est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher.
  
Descartes
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La vérité scandaleuse : Galilée et Darwin

La question de la vérité à travers l'exemple de Galilée

 

  On peut aborder la question de la vérité en utilisant l'exemple de Galilée d'au moins quatre façons.

 

  1. La question de l'héliocentrisme

 

  Galileo Galilei (1564-1642) incarne, avec Copernic, le passage du géocentrisme à l'héliocentrisme. En affirmant ce dernier, il s'attirera les foudres du l'Église catholique, qui lui intentera un procès et le condamnera.

  De ce point de vue, on peut lier Galilée à l'une des trois blessures narcissiques que, selon Freud, le développement des sciences aurait infligé à l'humanité. Ce dernier écrit en effet, en 1916 :

 

"Le narcissisme universel, l'amour-propre de l'humanité, a subi jusqu'à présent trois graves démentis de la part de la recherche scientifique."[1]

 

Ces trois blessures narcissiques concernent des découvertes qui s'opposent à l'anthropocentrisme (c'est-à-dire à cette conception philosophique qui considère l'homme comme l'entité centrale la plus significative de l'Univers, et qui appréhende la réalité à travers la seule perspective humaine), et qui sont les suivantes :

 

  1. L'affirmation de Copernic selon laquelle la terre n'est pas au centre de l'Univers (héliocentrisme)
  2. L'affirmation de Darwin selon laquelle l'homme est le fruit de l'évolution, et donc qu'il est un animal comme les autres
  3. L'affirmation de Freud lui-même selon laquelle "le Moi n'est pas maître dans sa propre maison"[2].

 

→ texte de Freud, Introduction à la psychanalyse, 1917, Petit Bibliothèque Payot, 1965, p. 266.

 

  "Dans le cours des siècles, la science a infligé à l'égoïsme naïf de l'humanité deux graves démentis. La première fois, ce fut lorsqu'elle a montré que la Terre, loin d'être le centre de l'Univers, ne forme qu'une parcelle insignifiante du système cosmique dont nous pouvons à peine nous représenter la grandeur. Cette première démonstration se rattache pour nous au nom de Copernic, bien que la science alexandrine ait déjà annoncé quelque chose de semblable.

  Le second démenti fut infligé à l'humanité par la recherche biologique, lorsqu'elle a réduit à rien les prétentions de l'homme à une place privilégiée dans l'ordre de la création, en établissant sa descendance du règne animal et en montrant l'indestructibilité de sa nature animale. Cette dernière révolution s'est accomplie de nos jours, à la suite des travaux de Ch. Darwin, de Wallace et de leurs prédécesseurs, travaux qui ont provoqué la résistance la plus acharnée des contemporains.

  Un troisième démenti sera infligé à la mégalomanie humaine par la recherche psychologique de nos jours qui se propose de montrer au moi qu'il n'est seulement pas maître dans sa propre maison, qu'il en est réduit à se contenter de renseignements rares et fragmentaires sur ce qui se passe, en dehors de sa conscience, dans sa vie psychique.

  Les psychanalystes ne sont ni les premiers ni les seuls qui aient lancé cet appel à la modestie et au recueillement, mais c'est à eux que semble échoir la mission d'étendre cette manière de voir avec le plus d'ardeur et de produire à son appui des matériaux empruntés à l'expérience et accessibles à tous. D'où la levée générale de boucliers contre notre science, l'oubli de toutes les règles de politesse académique, le déchaînement d'une opposition qui secoue toutes les entraves d'une logique impartiale".

 

Freud, Introduction à la psychanalyse, 1917, Petit Bibliothèque Payot, 1965, p. 266.

 

  Les trois blessures narcissiques évoquées par Freud ont toutes les trois eu lieu à des moments de l'histoire où la conception du monde et de l'homme va radicalement changer, c'est-à-dire (pour les deux premières du moins) à des révolutions scientifiques, l'une d'entre elles pouvant être qualifiée de "révolution galiléenne".

 

  "Eppur, si muove !", "Et pourtant elle tourne", aurait, selon la légende, murmuré Galilée au moment de sa condamnation en 1633. Le pouvoir de l'Église ne peut s'opposer au pouvoir des faits, autrement dit, elle ne peut rien contre la vérité, à savoir celle du mouvement de la Terre. C'est bien ce qu'affirment les textes de Galilée, bien avant sa condamnation : il y a affrontement de deux pouvoirs, celui de la religion, et celui de la science, celui de la tradition soutenue par une acceptation littérale de l'Écriture, et celui des faits dont lui-même n'est que l'humble représentant. Il faut donc que l'Église reconnaisse et occupe sa seule place légitime de gardienne de la foi et abandonne le reste à la raison humaine. Galilée défie ses opposants de rassembler les faits qu'il prouve qu'il a tort. Tandis qu'il a à sa disposition des milliers d'expériences, ses adversaires n'ont pour eux que l'autorité, déplacée en l'occurrence, des Écritures.

→ opposition entre vérité religieuse, révélée, et vérité scientifique, prouvée expérimentalement

 

Problème : ni Galilée, ni Copernic n'avaient à leur disposition de preuves du mouvement de la Terre. Il faudra attendre le XIXe siècle, avec l'expérience du pendule de Foucault, pour obtenir une première preuve physique de la rotation terrestre.

 

  • Le procès de Galilée

 

  Galilée s'attire des ennemis parmi les scientifiques parmi eu Martin Horky et surtout les religieux. Le système de Copernic est contraire aux Saintes écritures. Pour l'église, l'affirmation du mouvement de la terre est intolérable. Elle remet en cause leur représentation du monde. C'est donc avant tout un procès religieux.

  1. 1616 : Première condamnation. L'ouvrage de Copernic est interdit et les propositions de Galilée sont jugées hérétiques, c'est-à-dire contraire aux pratiques et croyances de l'église catholique. Galilée a l'interdiction d'enseigner l'astronomie de Copernic
  2. 1632 : Galilée publie un nouvel ouvrage où il soutient encore les théories de Copernic. A sa diffusion, Galilée est menacé d'arrestation.
  3. 1633 : Il est arrêté et amené devant le tribunal de l'Inquisition qui est un tribunal chargé de rechercher et de punir les personnes jugées hérétiques. Galilée est vieux, fatigué, déprimé et presque aveugle. Il a peur et il préfère reconnaître ses erreurs. Il jure s'être trompé même s'il continue à penser le contraire.

 

  Galilée est donc à nouveau convoqué par le Saint-office, le 1er octobre 1632. Ce qui lui est reproché n'est pas sa thèse elle-même, mais le détournement d'une mission commanditée, ce qui justifie des sanctions pénales. Son livre est en outre ouvertement pro-copernicien, bafouant l'interdit de 1616 (la mise à l'index de ces thèses ne sera levée qu'en 1757). Malade, il ne peut se rendre à Rome qu'en février 1633. Les interrogatoires se poursuivent jusqu'au 21 juin où une menace de torture est même évoquée sur ordre du pape ; Galilée cède.

Le 22 juin 1633, au couvent dominicain de Santa-Maria, la sentence est rendue :

 

  "Il est paru à Florence un livre intitulé Dialogue des deux systèmes du monde de Ptolémée et de Copernic dans lequel tu défends l'opinion de Copernic. Par sentence, nous déclarons que toi, Galilée, t'es rendu fort suspect d'hérésie, pour avoir tenu cette fausse doctrine du mouvement de la Terre et repos du Soleil. Conséquemment, avec un cœur sincère, il faut que tu abjures et maudisses devant nous ces erreurs et ces hérésies contraires à l’Église. Et afin que ta grande faute ne demeure impunie, nous ordonnons que ce Dialogue soit interdit par édit public, et que tu sois emprisonné dans les prisons du Saint-office."[3]

[]

Il prononce également la formule d'abjuration que le Saint-office avait préparée :

 

  "Moi, Galiléo, fils de feu Vincenzio Galilei de Florence, âgé de soixante dix ans, ici traduit pour y être jugé, agenouillé devant les très éminents et révérés cardinaux inquisiteurs généraux contre toute hérésie dans la chrétienté, ayant devant les yeux et touchant de ma main les Saints Évangiles, jure que j'ai toujours tenu pour vrai, et tiens encore pour vrai, et avec l'aide de Dieu tiendrai pour vrai dans le futur, tout ce que la Sainte Église catholique et apostolique affirme, présente et enseigne. Cependant, alors que j'avais été condamné par injonction du Saint-office d'abandonner complètement la croyance fausse que le Soleil est au centre du monde et ne se déplace pas, et que la Terre n'est pas au centre du monde et se déplace, et de ne pas défendre ni enseigner cette doctrine erronée de quelque manière que ce soit, par oral ou par écrit; et après avoir été averti que cette doctrine n'est pas conforme à ce que disent les Saintes Écritures, j'ai écrit et publié un livre dans lequel je traite de cette doctrine condamnée et la présente par des arguments très pressants, sans la réfuter en aucune manière; ce pour quoi j'ai été tenu pour hautement suspect d'hérésie, pour avoir professé et cru que le Soleil est le centre du monde, et est sans mouvement, et que la Terre n'est pas le centre, et se meut. J'abjure et maudis d'un cœur sincère et d'une foi non feinte mes erreurs. […]"[4][]

 

  1. L'émergence de la science moderne

 

  D'un autre point de vue, on peut voir Galilée comme le promoteur d'une science nouvelle. En effet, les textes scientifiques de Galilée constituent la première expression de ce qui caractérise la science moderne.

 

  Dans son livre devenu classique, Du monde clos à l'univers infini (1957), Alexandre Koyré défend la thèse selon laquelle la révolution scientifique du XVIIe siècle, qui a donné naissance à la science "moderne", se caractérise par deux éléments principaux. Il s'agit de :

  1. la destruction du cosmos
  2. la géométrisation de l'espace

 

En d'autres termes, on a affaire d'une part au passage du monde clos des Anciens au monde ouvert (l'univers infini) des Modernes, c'est-à-dire, de manière plus précise, et pour reprendre le propos de Koyré lui-même, à :

 

"la destruction du monde conçu comme un tout fini et bien ordonné, dans lequel la structure spatiale incarnait une hiérarchie de valeur et de perfection, monde dans lequel « au-dessus » de la Terre lourde et opaque, centre de la région sublunaire du changement et de la corruption, s' « élevaient » les sphères célestes des astres impondérables, incorruptibles et lumineux"[5]

 

Et on a affaire d'autre part au :

 

"remplacement de la conception aristotélicienne de l'espace, ensemble différencié de lieux intramondains, par celle de l'espace de la géométrie euclidienne - extension homogène et nécessairement infinie - désormais considéré comme identique, en sa structure, avec l'espace réel de l'univers."[6]

 

Or, dans les deux cas, Galilée a joué un rôle majeur. C'est d'ailleurs dans cette transformation par Galilée de la conception de l'espace que réside, selon Michel Foucault le véritable scandale de l'œuvre de Galilée. Selon Foucault, l'espace médiéval était un espace de localisation (constitué de "lieux") :

 

"[L'espace] était au Moyen Âge un ensemble hiérarchisé de lieux : lieux sacrés et lieux profanes, lieux protégés et lieux au contraire ouverts et sans défense, lieux urbains et lieux campagnards (voilà pour la vie réelle des hommes) ; pour la théorie cosmologique, il y avait les lieux supra-célestes opposés au lieu céleste, et le lieu céleste à son tour s'opposait au lieu terrestre ; il y avait les lieux où les choses se trouvaient placées parce qu'elles avaient été déplacées violemment et puis les lieux, au contraire, où les choses trouvaient leur emplacement et leurs repos naturels.

  C'était toute cette hiérarchie, cette opposition, cet entrecroisement de lieux qui constituaient ce qu'on pourrait appeler très grossièrement l'espace médiéval : espace de localisation."[7]

 

Cet espace de localisation va disparaître avec Galilée :

 

"Cet espace de localisation s'est ouvert avec Galilée, car le vrai scandale de l'œuvre de Galilée, ce n'est pas tellement d'avoir découvert, d'avoir redécouvert plutôt, que la terre tournait autour du soleil, mais d'avoir constitué un espace infini, et infiniment ouvert : de telle sorte que le lieu du Moyen Âge s'y trouvait en quelque sorte dissout, le lieu d'une chose n'était plus qu'un point dans son mouvement, tout comme le repos d'une chose n'était que son mouvement indéfiniment ralenti. Autrement dit, à partir de Galilée, à partir du XVIIe siècle, l'étendue se substitue à la localisation."[8]

 

  On peut aussi considérer que la naissance de la science moderne coïncide avec l'avènement de la méthode expérimentale, dont Galilée a été l'un des ardents défenseurs.

  Comme l'écrit Koyré, "sans doute, le caractère expérimental de la science classique en forme-t-il un des traits les plus caractéristiques"[9]. Toutefois, il ne s'agit pas de l'expérience brute, de l'observation du sens commun, mais de l'expérimentation ou interrogation méthodique de la nature qui présuppose "et le langage dans lequel elle pose ses questions, et un vocabulaire permettant d'interpréter les réponses."[10]

La méthode expérimentale désigne donc le recours systématique à la raison, qui échafaude les hypothèses, élabore les théories, et à l'expérience, qui en permet la vérification.

 

  1. L'apparition de la physique mathématique

 

  Dans ses Études galiléennes, Koyré montre que Galilée ne "respecte" pas les faits. En effet, les formules mathématiques de la chute des corps graves ne peuvent être vérifiées par l'expérience (notamment parce qu'elles supposent une absence de frottements qui n'existe pas dans la réalité).

  C'est parce que Galilée était convaincu de ce qu'il lui fallait dépasser les phénomènes pour atteindre leur essence, et parce qu'il croyait que seules les mathématiques peuvent exprimer  cette essence qu'il a pu énoncer les lois de la chute des corps graves. Pour Galilée la vérité n'est pas empirique, mais mathématique. Ce faisant, il peut être considéré comme l'inventeur de la physique mathématique.

  Comme l'écrit Alexandre Koyré : "Le processus dont est sortie la physique classique consiste dans un effort de rationaliser, autrement dit de géométriser l'espace et de mathématiser les lois de la nature."[11]

  Galilée écrit ainsi :

 

  "La philosophie est écrite dans ce livre gigantesque qui est continuellement ouvert à nos yeux (je parle de l'Univers), mais on ne peut le comprendre si d'abord on n'apprend pas à comprendre la langue et à connaître les caractères dans lesquels il est écrit. Il est écrit en langage mathématique, et les caractères sont des triangles, des cercles, et d'autres figures géométriques, sans lesquelles il est impossible d'y comprendre un mot. Dépourvu de ces moyens, on erre vainement dans un labyrinthe obscur."[12]

 

Propos qu'il réitère dans sa Lettre à Fortunio Liceti, en janvier 1641 :

 

  "Le livre de la philosophie [c'est-à-dire de la physique] est celui qui est perpétuellement ouvert devant nos yeux ; mais comme il est écrit en des caractères différents de ceux de notre alphabet, il ne peut être lu de tout le monde ; les caractères de ce livre ne sont autres que triangles, carrés, cercles, sphères, cônes et autres figures mathématiques, parfaitement appropriés à telle lecture."

 

→ texte de Galilée, L'essayeur, 1623.

 

  "Il me semble découvrir en Sarsi[13] la ferme croyance qu'il est indispensable, en philosophant, de s'appuyer sur l'autorité de quelque auteur célèbre, comme si notre intelligence, à moins de  se marier au raisonnement d'autrui, devait demeurer entièrement stérile et inféconde ! Peut-être croit-il que la philosophie est un livre, un produit de la fantaisie humaine, comme l'Iliade et l'Orlando furioso[14] œuvres dans lesquelles ce qui importe le moins, c'est que ce qui y est écrit soit vrai. Il n'en est point ainsi, seigneur Sarsi. La philosophie est écrite dans ce livre immense qui se tient continuellement ouvert sous nos yeux, l'univers, veux-je dire, et qui ne se peut comprendre si l'on n'a préalablement appris à en comprendre la langue, et à connaître les caractères employés pour récrire. Ce livre est écrit dans la langue mathématique ; ses caractères sont des triangles, des cercles, et d'autres figures géométriques, sans l'intermédiaire desquels il est impossible d'en comprendre humainement un seul mot."

 

Galilée, L'essayeur, 1623.

 

Cependant, selon l'historien Stillman Drake, Galilée n'a pas, dès le début, tenté de déduire des conséquences observables d'une définition mathématique a priori. C'est ainsi qu'il écrit :

 

"C'est une erreur de penser que [Galilée] a fait l'hypothèse, dès le départ, que les mathématiques gouvernaient la nature et que la physique devait s'y conformer ; les mathématiques lui ont plutôt graduellement forcé la main dans la question épineuse du changement littéralement continu."

 

Le problème posé à Galilée consiste à concevoir une vitesse indépendamment du mouvement qui permet de le mesurer, c'est-à-dire aussi inventer un sens physique, une manière de caractériser, de mesurer une vitesse à laquelle ne correspond aucun mouvement. Ce que Galilée considère comme une "démonstration" n'est autre que la recherche d'un "accord" entre les différentes relations dont il disposait à propos du mouvement.

 

  1. Galilée et la mécanique rationnelle

 

  Enfin, on peut voir en Galilée l'inventeur de la mécanique rationnelle, c'est-à-dire d'une mécanique qui établit le principe rationnel de l'égalité entre la cause et l'effet.

 


[1] "Une difficulté de la psychanalyse", in Essais de Psychanalyse appliquée.

[2] "Une difficulté de la psychanalyse", in Essais de Psychanalyse appliquée.

[3] Sentence du Saint-office, 22 juin 1633.

[4]

[5] Du monde clos à l'univers infini, tel, 1993, p. 11.

[6] Ibid.

[7] Des espaces autres", conférence prononcée le 14 mars 1967 à Paris, in Dits et Écrits : 1954-1988, Volume 4, Gallimard, 1994, p. 753.

[8] Ibid.

[9] Études galiléennes, Hermann, 1966, p. 13.

[10] Ibid.

[11] Études galiléennes, Hermann, 1966, p. 97.

[12] Il Saggiatore, traduction française de Christiane Chauviré, L'Essayeur, Les Belles-Lettres, Paris, 1980.

[13] Sarsi est le pseudonyme du jésuite Orazio Grassi, qui écrivit une dissertation contre le Discours sur les comètes écrit par l'élève de Galilée, Mario Guidicci (1619), dissertation à laquelle Galilée répond dans L'Essayeur (Il Saggiatore).

[14] Orlando Furioso (ou Roland furieux) est un poème épique comptant plus de 38 000 vers composé par Ludovico Ariosto, dit « l'Arioste ». L'ouvrage, dont la rédaction a commencé en 1503, a connu une première publication en 1516, puis a été repris et développé en 1521 et achevé en 1532.

 

Le scandale de Darwin

 

  Ce qui a fait scandale chez Darwin, c'est le fait qu'il propose une explication de l'évolution des êtres vivants sans recours au finalisme.

  Il n'a fallu que quelques années après la parution de L'origine des espèces, pour que l'idée d'évolution des espèces s'impose au monde scientifique, puis dans le public (cultivé du moins). On peut l'expliquer d'une part, comme nous l'avons vu plus haut, par le fait que l'idée de transformation ou d'évolution des espèces n'était pas si nouvelle que cela, puisqu'elle avait déjà été défendue plus d'un demi-siècle auparavant, et qu'elle était déjà "dans l'air" à l'époque de Darwin. D'autre part, la théorie de l'évolution permettait d'éclairer sous un jour nouveau des données jusque là inexpliquées ou disparates, comme la succession des strates fossilifères, les parentés anatomiques des êtres vivants ou encore les similitudes embryologiques. L'idée géniale de Darwin est en effet d'avoir compris que le lien "caché" entre les espèces est leurs ascendants communs. Classer les espèces animales (taxinomie) est donc strictement équivalent à retracer l'histoire de leur généalogie. Ainsi, malgré d'importants débats, l'idée d'évolution et de descendance commune des êtres vivants défendue par Darwin est d'emblée accueillie favorablement par les scientifiques.

  Cependant, la théorie de la sélection naturelle, autrement dit le principe explicatif de cette évolution tel qu'il est explicité par Darwin, a eu beaucoup plus de mal à être acceptée. Par conséquent, si l'on considère que l'idée d'évolution des espèces avait déjà plus d'un demi-siècle d'existence quand elle a commencé à être largement acceptée, et si l'on prend en compte le fait que le principe de la sélection naturelle était encore largement débattu au début du XXe siècle, on peut affirmer que la théorie darwinienne (idée d'évolution + sélection naturelle) ne s'est pleinement imposée que lentement. Comment l'expliquer ?

 

→ texte de Stephen Jay Gould, Darwin et les énigmes de la vie, Prologue, 1977, tr. fr. Marcel Blanc, Points Sciences, 1997, p. 9-11.

 

  "Pourquoi Darwin a-t-il été si difficile à comprendre ? En l'espace de dix ans, il convainquit le monde intellectuel de l'existence de l'évolution, mais sa théorie de la sélection naturelle ne fut jamais très populaire de son vivant. Elle ne s'est imposée que dans les années quarante et, aujourd'hui encore, bien qu'elle soit au cœur de notre théorie de l'évolution, elle est généralement mal comprise, mal citée et mal appliquée. La difficulté ne réside pourtant pas dans la complexité de sa structure logique, car les fondements de la sélection naturelle sont la simplicité même. Ils se résument à deux constatations indubitables entraînant une conclusion inévitable :

1. Les organismes varient et leurs variations se transmettent (en partie du moins) à leurs descendants.

2. Les organismes produisent plus de descendants qu'il ne peut en survivre.

3. En règle générale, le descendant qui varie dans la direction favorisée par l'environnement survivra et se reproduira. La variation favorable se répandra donc dans les populations par sélection naturelle.

  Ces trois propositions établissent que la sélection naturelle peut fonctionner, mais elles ne lui garantissent pas, par elles-mêmes, le rôle fondamental que lui a attribué Darwin.

  L'idée suivant laquelle la sélection naturelle est la force créatrice de l'évolution et pas seulement le bourreau qui exécute les inadaptés est l'essence de la théorie darwinienne. La sélection naturelle doit également construire l'adapté, c'est-à-dire élaborer progressivement l'adaptation en conservant, génération après génération, les éléments favorables dans un ensemble de variations dues au hasard. Si la sélection naturelle est créatrice, il faut compléter la première proposition, relative à la variation, par deux observations supplémentaires.

  Premièrement, la variation doit être le fruit du hasard ou, tout au moins, ne pas tendre de préférence vers l'adaptation. Car si la variation est préprogrammée dans la bonne direction, la sélection naturelle ne joue aucun rôle créateur et se contente d'éliminer les individus non conformes. Le lamarckisme suivant lequel les animaux réagissent de manière créative à leurs besoins et transmettent les caractéristiques acquises à leurs descendants, est, de ce point de vue, une théorie non darwinienne. Ce que nous savons des variations génétiques laisse penser que Darwin avait raison de soutenir que la variation n'est pas préprogrammée. L'évolution est un mélange de hasard et de nécessité[1]. Hasard dans la variation, nécessité dans le fonctionnement de la sélection.

  Deuxièmement, la variation doit être petite relativement à l'ampleur de l'évolution manifestée dans la formation d'espèces nouvelles. En effet, si les espèces nouvelles apparaissent d'un seul coup, le seul rôle de la sélection consiste simplement à faire disparaître les populations en place afin de laisser le champ libre aux formes améliorées qu'elle n'a pas élaborées. De nouveau, nos connaissances en génétique vont dans le sens de Darwin, qui croyait que les petites mutations constituent l'essentiel de l'évolution.

  Ainsi, la théorie de Darwin, simple en apparence, ne va pas, dans les faits, sans complexité. Il semble néanmoins que les réticences qu'elle suscite tiennent moins aux éventuelles difficultés scientifiques qu'au contenu philosophique des conceptions de Darwin, qui constituent en effet un défi à un ensemble d'idées particulières à l'Occident et que nous ne sommes pas encore prêts d'abandonner.

  Pour commencer, Darwin prétend que l'évolution n'a pas un but. Les individus luttent pour accroître la représentation de leurs gènes dans les générations futures, un point c'est tout. S'il existe un ordre et une harmonie dans le monde, ce ne sont que les conséquences accidentelles de l'activité d'individus qui ne cherchent que leur profit personnel….

  En second lieu, Darwin soutient que l'évolution n'est pas dirigée, qu'elle ne conduit pas inévitablement à l'apparition de caractéristiques supérieures. Les organismes ne font que s'adapter à leur environnement. La « dégénérescence » du parasite est aussi parfaite que l'élégance de la gazelle.

  Enfin, Darwin fait reposer son interprétation de la nature sur une philosophie matérialiste. La matière est le fondement de toute existence ; l'intelligence, l'esprit et Dieu ne sont que des mots qui servent à désigner les manifestations de la complexité du cerveau."

 

Stephen Jay Gould, Darwin et les énigmes de la vie, Prologue, 1977, tr. fr. Marcel Blanc, Points Sciences, 1997, p. 9-11.

 

 

Gould fait donc apparaître trois raisons qui, selon lui, ont empêché la théorie darwinienne de s'imposer immédiatement :

  1. L'absence de finalisme : les théories biologiques dominantes du XVIIIe siècle s'inscrivaient dans le mouvement de la théologie naturelle, ou encore physico-théologie, à savoir une doctrine qui soutenant que l'ordre et la beauté du monde (et en particulier du monde vivant) manifestent l'existence d'un être supérieur, créateur de ce monde. et étaient de nature finaliste. Même la théorie de Lamarck, pourtant mécaniste, peut aussi être reformulée de manière finaliste.

Il existe un biais psychologique qui nous pousse à préférer les théories finalistes.

  1. Absence de progrès et de hiérarchie des êtres : l'homme n'occupe plus une place privilégiée au sein du monde vivant, il n'est plus l'aboutissement de la création (d'où la blessure narcissique évoquée par Freud)
  2. Le matérialisme.

 


[1] Cette idée selon laquelle l'évolution est le produit du hasard et de la nécessité, est affirmée avec force par le titre d'un célèbre ouvrage de Jacques Monod, justement intitulé Le hasard et la nécessité (1970).

 


Date de création : 08/04/2015 @ 18:56
Dernière modification : 08/04/2015 @ 18:56
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