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Texte à méditer :   Les hommes normaux ne savent pas que tout est possible.   David Rousset
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Hors des sentiers battus
L'attitude stoïcienne

  "Au demeurant, et conformément à ce qui rassemble tous les stoïciens, je me règle sur la nature ; ne pas s'éloigner d'elle, se lier à sa loi et à son exemple, voilà la sagesse. La vie heureuse, c'est donc celle qui est en accord avec sa propre nature. On n'y peut atteindre que si l'âme est d'abord saine et en constante possession de cette santé, courageuse aussi, et énergique, ensuite magnifiquement patiente, prête à toutes les situations, attentive sans anxiété à son corps et à ce qui le concerne, intéressée enfin par toutes les ressources de la vie sans admiration pour aucune, décidée à user des présents de la fortune sans leur être assujettie. Tu comprends, sans qu'il me soit besoin de le dire, qu'une fois qu'on a chassé aussi bien ce qui nous irrite que ce qui nous effraie, il s'ensuit une tranquillité, une liberté perpétuelles, car, à la place des voluptés, des séductions mesquines et fragiles dont le seul parfum est nuisible, s'installe une joie immense, inébranlable et constante, puis la paix et l'harmonie de l'âme, sa grandeur alliée à sa douceur : tant il est vrai que toute méchanceté a sa source dans la faiblesse.
  On peut aussi définir autrement le bien tel que nous le concevons : j'entends par là qu'une même théorie peut être formulée dans des termes différents. Ainsi, une même armée peut tantôt se déployer largement, tantôt resserrer étroitement ses rangs ; elle peut disposer ses ailes en demi-cercle ou former un front rectiligne. Mais sa force, de quelque manière qu'elle s'ordonne, reste identique comme sa volonté de combattre pour le même parti. De même, la définition du souverain bien peut être soit étirée et étendue, soit condensée et contractée. Ce sera donc la même chose si je dis du souverain bien : « C'est l'âme qui dédaigne les coups du sort se réjouit dans la vertu », ou « la force d'une âme invincible, expérimentée, paisible dans l'action, alliée à beaucoup d'humanité et soucieuse de ses semblables ». On le peut aussi définir en disant que l'homme heureux est celui pour qui il n'est rien de bon ou de mauvais hormis une âme bonne ou mau­vaise : l'homme qui cultive les valeurs d’honnêteté, qui trouve son contentement dans la vertu, que les caprices de la fortune n’exaltent ni n'abattent, qui ne connaît de plus grand bien que celui qu'il se peut donner à soi-même, pour qui le plaisir véritable est le mépris des plaisirs. On peut, si l'on veut développer davantage, présenter la même idée sous tel ou tel angle sans la dimi­nuer ni l'affaiblir : en effet, qu'est-ce qui nous interdit de dire que la vie heureuse, c’est une âme libre, élevée, intrépide, ferme, accessible à la crainte comme à la convoitise, pour qui l'unique bien est l'honnêteté et le mal unique l'indignité morale, et tout le reste, une futile confusion de choses qui n'enlèvent ni n'ajoutent rien au bonheur, dont le va-et-vient n'est ni au bénéfice ni au détriment du souverain bien ?
  Une conviction ainsi enracinée entraîne inévitablement, qu'on le veuille ou non, une gaieté perpétuelle, une profonde allégresse qui sourd du tréfonds de l'être, puisque alors l'homme met sa joie dans ce qu'il possède et ne désire rien de plus que ce qu'il a en soi. Comment tout cela ne compenserait-il pas largement les émotions infimes, frivoles et éphémères de notre corps débile ? Le jour où l'on devient esclave de la volupté, on l'est aussi de la douleur ; tu vois à quelle triste et désastreuse sujétion sera soumis celui que posséderont tour à tour les plaisirs et les douleurs – les plus imprévisibles et les plus despotiques de tous les maîtres : il faut donc trouver une issue vers la liberté. Or, rien ne la procure excepté l'indifférence aux caprices de la fortune. Une fois acquise, elle sera l'ori­gine de ces biens inestimables : la quiétude de l'esprit désormais en sûreté et l'élévation morale; une fois chassées les terreurs, surgiront de la con naissance du vrai une joie immense et inaltérable, la générosité et l'épanouissement de l'âme qui la charmeront non pas en tant que biens, mais comme effets du bien qui est en elle.
  Puisque j'ai commencé à traiter de ce sujet avec abondance, je dirai qu'on peut appeler heureux celui qui est exempt de désirs et de craintes grâce aux bienfaits de la raison : car les pierres et le bétail ignorent aussi la crainte et la tristesse, mais on ne saurait pourtant parler de bonheur chez ce qui n'en a pas la notion. Tu peux mettre sur ce même plan les hommes que leur esprit obtus et leur igno­rance d'eux-mêmes ravalent au rang de bétail ou d'êtres inanimés. Il n'y a pas de différence entre les uns et les autres, puisque en ceux-ci la raison est absente et en ceux-là elle faussée, et adroite seulement à leur faire du tort et à les pervertir ; car nul ne peut être déclaré heureux s'il est en dehors de la vérité.
  La vie heureuse se fonde alors invariablement sur un jugement droit et assuré. Car alors, l'âme est pure et délivrée de tous les maux ; elle évite non seulement les déchirements, mais encore les piqûres d'épingle, résolue à demeurer toujours là où elle s'est établie et à défendre sa position contre la colère et les harcèlements du sort. Quant à la volupté, elle peut bien se répandre partout et glisser par toutes les brèches, caresser l'âme de ses flatteries et employer l'une après l'autre toutes ses armes afin de suborner totalement ou partiellement notre être : quel mortel, pour peu qu'il ait gardé quelques restes de dignité humaine, voudrait être ainsi chatouillé nuit et jour et abandonner son âme pour donner tous ses soins à son corps ?
  L'âme aussi, dit-on, aura ses voluptés. Qu'elle les ait, je le veux bien : alors, s'érige­ant en juge du luxe et des plaisirs, qu'elle se rassasie de tous ceux qui font habituellement les délices des sens, puis, qu'elle porte ses regards vers le passé, et, se remémorant les plaisirs abolis, s'enivre d'impressions anciennes et tende déjà vers les futures, pré­pare la satisfaction de ses désirs, et, tandis que le corps baigne dans ses jouissances présen­tes, qu'elle projette ses pensées vers les jouissances à venir ! elle me paraîtra ainsi plus misérable, car c'est folie de choisir un mal au lieu d'un bien. Nul ne peut être heu­reux sans la santé de l'âme, ni jouir de cette santé s'il convoite comme bien suprême ce qui doit lui faire du mal.

  Heureux, donc, celui dont le jugement est droit ; heureux celui qui se contente des biens qui s'offrent à lui aujourd'hui, quels ils soient, et aime ce qu'il possède ; heureu­x celui pour qui la raison décide de la valeur de tout ce qui lui appartient !"
 

Sénèque, La Vie heureuse, tr. fr François Rosso, Arléa, 2005, p. 22-28.



  "Au demeurant, et conformément à ce qui rassemble tous les stoïciens, je me règle sur la nature ; ne pas s'éloigner d'elle, se lier à sa loi et à son exemple, voilà la sagesse. La vie heureuse, c'est donc celle qui est en accord avec sa propre nature. On n'y peut atteindre que si l'âme est d'abord saine et en constante possession de cette santé, courageuse aussi, et énergique, ensuite magnifiquement patiente, prête à toutes les situations, attentive sans anxiété à son corps et à ce qui le concerne, intéressée enfin par toutes les ressources de la vie sans admiration pour aucune, décidée à user des présents de la fortune sans leur être assujettie. Tu comprends, sans qu'il me soit besoin de le dire, qu'une fois qu'on a chassé aussi bien ce qui nous irrite que ce qui nous effraie, il s'ensuit une tranquillité, une liberté perpétuelles, car, à la place des voluptés, des séductions mesquines et fragiles dont le seul parfum est nuisible, s'installe une joie immense, inébranlable et constante, puis la paix et l'harmonie de l'âme, sa grandeur alliée à sa douceur : tant il est vrai que toute méchanceté a sa source dans la faiblesse.

 

Sénèque, La Vie heureuse, tr. fr François Rosso, Arléa, 2005, p. 22-23.
 

  "Vivre heureusement et vivre conformément à la nature est une même chose. Ce que cette formule signifie, je vais maintenant te l'expliquer. Cela consiste à conserver nos qualités corporelles et tout ce qui est lié à notre nature avec soin, mais sans crainte ; ce sont choses fugitives et donc d'un jour ; ne subissons pas leur esclavage, ne nous laissons pas prendre par des choses qui nous sont étrangères ; tous ces suppléments qui plaisent au corps, mettons-les à la place où se trouvent dans un camp les auxiliaires et les troupes légères ; qu'ils soient à notre service et ne dominent pas, c'est ainsi seulement qu'ils sont profitables à l'âme. Qu'un homme véritable ne se laisse ni corrompre ni dominer par les choses extérieures, qu'il n'admire que lui, qu'il ait foi dans son énergie, qu'il soit prêt à l'une et à l'autre fortune, qu'il soit l'artisan de sa propre vie ; que son assurance n'aille point sans le savoir, ni le savoir sans la constance ; que les résolutions une fois prises persistent et qu'il n'y ait point de rature dans les décisions adoptées. On comprend, même si je n'ajoutais rien, qu'un tel homme aura une vie équilibrée et ordonnée, et qu'il sera dans ses actes bienveillant et magnanime."

 

Sénèque, De la vie heureuse, Éd. Gallimard, trad. E. Bréhier.



  "Lorsque tu dois entreprendre quelque chose, rappelle­ toi ce qu'est la chose dont il s'agit. Si tu vas te baigner, représente-toi ce qui arrive au bain, les gens qui vous éclaboussent, qui vous bousculent, qui vous injurient, qui vous volent. Ainsi, tu seras plus sûr de toi en allant te baigner, si tu te dis aussitôt : « Je veux me baigner, mais je veux encore maintenir ma volonté dans un état conforme à la nature. » Et qu'il en soit ainsi pour toutes tes actions. De cette manière, s'il te survient au bain quelque traverse, tu auras aussitôt présent à l'esprit : « Mais je ne voulais pas me baigner seulement, je voulais encore maintenir ma volonté dans un état conforme à la nature. Je ne la maintiendrais pas, si je m'irritais contre ce qui arrive. »"

 

Épictète, Manuel, II, § 1, tr. fr. Mario Meunier, 1964, GF, p. 185.

 

 "Quand tu veux faire une action, remets-toi en mémoire la nature exacte de cette action. Si tu vas te baigner, représente-toi ce qui se passe dans les bains : l'un écla­bousse ses voisins, l'autre les enfonce sous l'eau, celui-ci crie des injures, celui-là commet des larcins ; tu te met­tras en route plus tranquille si tu te dis en partant : « Ce que je veux, c'est me baigner, mais aussi conformer ma conduite à la nature des choses[1]. » (Voilà ce qu'il faut se dire avant chaque action.) Car alors, si pendant ton bain il t'arrive quelque ennui, tu seras prêt à te dire : « Ce que je voulais, ce n'était pas seulement me baigner, mais aussi conformer ma conduite à la nature des choses et je ne m'y conformerai pas si je m'irrite de ce qui m'arrive. »"

 

Épictète, Manuel, II, § 1, tr. fr. R. Létoquart revue et complétée par C. Chrétien, Haiter, 2000.


[1]. C’est-à-dire accepter l’ordre des choses et leur interdépendance dans la logique du monde.

 



  "Ressembler au promontoire contre lequel incessamment se brisent les flots. Lui, reste debout et, autour de lui, viennent s'assoupir les gonflements de l'onde.
  « Malheureux que je suis, parce que telle chose m'est arrivée ! » Mais non, au contraire : « Bienheureux que je suis, puisque telle chose m'étant arrivée, je persiste à être exempt de chagrin, sans être brisé par le présent, ni effrayé par ce qui doit venir. » Chose pareille, en effet, aurait pu survenir à n'importe qui ; mais n'importe qui n'aurait point su persister de ce fait à être exempt de chagrin. Pourquoi donc cet accident serait-il un malheur, plutôt que cet autre un bonheur ? Appelles-tu, somme toute, revers pour un homme, ce qui n'est pas un revers pour la nature de l'homme ? Et cela te paraît-il être un revers pour la nature de l'homme, ce qui n'est pas contraire à l'intention de sa nature ? Eh quoi ! cette intention tu la connais. Cet accident t'empêche-t-il d'être juste, magnanime, sage, circonspect, pondéré, véridique, réservé, libre, et cætera, toutes vertus dont la réunion fait que la nature de l'homme recueille les biens qui lui sont propres ? Souviens-toi d'ailleurs, en tout événement qui te porte au chagrin, d'user de ce principe : Ceci n'est pas un revers, mais c'est un bonheur que de noblement le supporter."

 

Marc Aurèle, Pensée pour moi-même, livre IV, § XLIX, tr. fr. Mario Meunier, GF, 1964, p. 69.

 

  "Se rendre ferme comme le roc que les vagues ne cessent de battre. Il demeure immobile, et l'écume de l'onde tourbillonne à ses pieds.
  Ah ! quel malheur pour moi, dis-tu, que cet accident me soit arrivé ! » Tu te trompes ; et il faut dire : « Je suis bien heureux, malgré ce qui m'arrive, de rester à l'abri de tout chagrin, ne me sentant, ni blessé par le présent, ni anxieux de l'avenir ». Cet accident en effet pouvait arriver à tout le monde ; mais tout le monde n'aurait pas reçu le coup avec la même impassibilité que toi. Pourquoi donc tel événement passe-t-il pour un malheur plutôt que tel autre pour un bonheur ? Mais peux-tu réellement appeler un malheur pour l'homme ce qui ne fait point déchoir en quoi que ce soit la nature de l'homme ? Or, crois-tu qu'il y ait une vraie déchéance de la nature humaine, là où il n'est rien qui soit contraire au vœu de cette nature ?

  Et quoi! tu connais précisément ce qu'est ce vœu ; et tu croirais que cet accident qui t'arrive peut t'empêcher d'être juste, magnanime, sage, réfléchi, circonspect, sincère, modeste, libre, et d'avoir toutes ces autres qualités qui suffisent pour que la nature de l'homme conserve tous ses caractères propres !
  Quant au reste, souviens-toi, dans toute circonstance qui peut provoquer ta tristesse, de recourir à cette utile maxime : « Non seulement l'accident qui m'est survenu n'est point un malheur; mais de plus, c'est un bonheur véritable, si je sais le supporter avec un généreux courage."

 

Marc Aurèle, Pensées pour moi-même, Livre IV, § XLIX, tr. fr. J. Barthélémy Saint-Hilaire, Librairie Germer-Baillière et Cie, 1876.



  "Le maître intérieur, quand il se conforme à la nature, envisage les événements de telle sorte, qu'il puisse toujours, selon la possibilité qu'il en a, modifier sans peine son attitude envers eux. Il n'a de préférence pour aucune matière déterminée, mais il se porte, après choix, vers ce qu'il croit le meilleur ; et, s'il rencontre un obstacle, il s'en fait une matière, comme le feu lorsqu'il se rend maître des choses qu'on y jette, alors qu'une petite lampe en serait étouffée. Mais un feu ardent a vite fait de s'approprier ce qu'on y ajoute; il le consume et, de par ce qu'on y jette, il s'élève plus haut. […]
    On se cherche des retraites à la campagne, sur les plages, dans  les montagnes. Et toi-même, tu as coutume de désirer ardemment ces lieux d'isolement. Mais tout cela est de la plus vulgaire opinion, puisque tu peux, à l'heure que tu veux, te retirer en toi-même. Nulle part, en effet, l'homme ne trouve de plus tranquille et de plus calme retraite que dans son âme, surtout s'il possède en son for intérieur, ces notions sur lesquelles il suffit de se pencher pour acquérir aussitôt une quiétude absolue, et par quiétude, je n'entends rien d'autre qu'un ordre parfait."

 

Marc Aurèle, Pensées pour moi-même, livre III, § I et III, tr. fr. Mario Meunier, GF, 1964, p. 57.



  "Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l'ordre du monde, et généralement de m'accoutumer à croire qu'il n'y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées, en sorte qu'après que nous avons fait notre mieux touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est au regard de nous absolument impossible. Et ceci seul me semblait être suffisant pour m'empêcher de rien désirer à l'avenir que je n'acquisse, et ainsi pour me rendre content; car notre volonté ne se portant naturellement à désirer que les choses que notre entendement lui représente en quelque façon comme possibles, il est certain que si nous considérons tous les biens qui sont hors de nous comme également éloignés de notre pouvoir, nous n'aurons pas plus de regret de manquer de ceux qui semblent être dus à notre naissance, lorsque nous en serons privés sans notre faute, que nous avons de ne posséder pas les royaumes de la Chine ou de Mexique; et que faisant, comme on dit, de nécessité vertu, nous ne désirerons pas davantage d'être sains étant malades, ou d'être libres étant en prison, que nous faisons maintenant d'avoir des corps d'une matière aussi peu corruptible que les diamants, ou des ailes pour voler comme les oiseaux. Mais j'avoue qu'il est besoin d'un long exercice, et d'une méditation souvent réitérée, pour s'accoutumer à regarder de ce biais toutes les choses; et je crois que c'est principalement en ceci que consistait le secret de ces philosophes qui ont pu autrefois se soustraire de l'empire de la fortune, et, malgré les douleurs et la pauvreté, disputer de la félicité avec leurs dieux. Car, s'occupant sans cesse à considérer les bornes qui leur étaient prescrites par la nature, ils se persuadaient si parfaitement que rien n'était en leur pouvoir que leurs pensées, que cela seul était suffisant pour les empêcher d'avoir aucune affection pour d'autres choses; et ils disposaient d'elles si absolument qu'ils avaient en cela quelque raison de s'estimer plus riches et plus puissants et plus libres et plus heureux qu'aucun des autres hommes, qui, n'ayant point cette philosophie, tant favorisés de la nature et de la fortune qu'ils puissent être, ne disposent jamais ainsi de tout ce qu'ils veulent."

 

René Descartes, Discours de la méthode, 1637, 3e partie, Le Livre de Poche, 1988, p. 119-121.



  "Au reste, toutes sortes de désirs ne sont pas incompatibles avec la béatitude ; il n'y a que ceux qui sont accompagnés d'impatience et de tristesse. Il n'est pas nécessaire aussi que notre raison ne se trompe point ; il suffit que notre conscience nous témoigne que nous n'avons jamais manqué de résolution et de vertu, pour exécuter toutes les choses que nous avons jugé être les meilleures, et ainsi la vertu seule est suffisante pour nous rendre contents en cette vie. Mais néanmoins pour ce que, lorsqu'elle n'est pas éclairée par l'entendement, elle peut être fausse, c'est-à-dire que la volonté et résolution de bien faire nous peut porter à des choses mauvaises, quand nous les croyons bonnes, le contentement qui en revient n'est pas solide ; et pour ce qu'on oppose ordinairement cette vertu aux plaisirs, aux appétits et aux passions, elle est très difficile à mettre en pratique, au lieu que le droit usage de la raison, donnant une vraie connaissance du bien, empêche que la vertu ne soit fausse, et même l'accordant avec les plaisirs licites, il en rend l'usage si aisé, et nous faisant connaître la condition de notre nature, il borne tellement nos désirs, qu'il faut avouer que la plus grande félicité de l'homme dépend de ce droit usage de la raison, et par conséquent que l'étude qui sert à l'acquérir est la plus utile occupation qu'on puisse avoir, comme elle est aussi sans doute la plus agréable et la plus douce."[1]

 

René Descartes, Lettre à Élisabeth du 4 août 1645.


[1] Dans cette lettre, Descartes résume la pensée de Sénèque, telle qu'elle est développée dans le De Vita beata (La Vie heureuse).


 

  "Tout se gâte et périt ; tout se hâte vers sa dissolution […]. Il faut s'attendre chaque jour à des morts – des amis qui nous quittent, des accidents et des calamités inévitables, des maladies, claudications, surdité, perte de la vue, de la mémoire, de membres […]. Tout est misère, déception, regret. En vain cherchons-nous à chasser ces pensées ; en vain nous efforçons-nous par l'humour et la diversion de nous élever ; ce n'est que tomber plus bas. Est seul heureux en quelque façon celui qui peut affronter ces choses ; celui qui peut constamment les regarder sans détourner les yeux ; celui qui peut, connaissant la somme et la conclusion de tout, attendre la fin de son rôle, sa seule préoccupation étant, entre-temps, de jouer le rôle qui lui revient et de préserver son esprit entier et sain, ferme et intègre ; dans l'amitié pour l'humanité et dans l'unité avec cet esprit originel par rapport auquel rien n'arrive ou ne peut arriver que ce qui est le plus agréable et le plus favorable, et qui appartient au bien universel."

 

Shaftesbury, Philosophical Regimen, 1698-1712, in Life and Letters, éd. Rand, p. 256-257.

 

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Date de création : 10/08/2015 @ 14:00
Dernière modification : 08/03/2023 @ 08:37
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