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Texte à méditer :   Les hommes normaux ne savent pas que tout est possible.   David Rousset
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Hors des sentiers battus
La science établit des lois universelles

  "Si l'homme s'était borné à recueillir des faits, les sciences ne seraient qu'une nomenclature stérile, et jamais il n'eût connu les grandes lois de la nature. C'est en comparant entre eux les phénomènes et en cherchant à saisir leurs rapports, qu'il est parvenu à découvrir ces lois toujours empreintes dans leurs effets les plus variés. Alors, la nature en se dévoilant, lui a présenté le spectacle d'un petit nombre de causes générales donnant naissance à la foule des phénomènes qu'il avait observés ; il a pu déterminer ceux que les circonstances successives doivent faire éclore ; et lorsqu'il s'est assuré que rien ne trouble l'enchaînement de ces causes à leurs effets, il a porté ses regards sur l'avenir, et la série des événements que le temps doit développer, s'est offerte à sa vue. C'est principalement dans la théorie du système du monde, que l'esprit humain, par une longue suite d'efforts heureux, s'est élevé à cette hauteur."

 

Pierre-Simon de Laplace, Exposition du système du monde, 1796, tome I, Livre second, Cercle-Social, p. 169-170.



  "Depuis que la subordination constante de l'imagination à l'observation a été unanimement reconnue comme la première condition fondamentale de toute saine spéculation scientifique, une vicieuse interprétation a souvent conduit à abuser beaucoup de ce grand principe logique, pour faire dégénérer la science réelle en une sorte de stérile accumulation de faits incohérents, qui ne pourrait offrir d'autre mérite essentiel que celui de l'exactitude partielle. Il importe donc de bien sentir que le véritable esprit positif n'est pas moins éloigné, au fond, de l'empirisme que du mysticisme ; c'est entre ces deux aberrations, également funestes, qu'il doit toujours cheminer : le besoin d'une telle réserve continue, aussi difficile qu'importante, suffirait d'ailleurs pour vérifier, conformément à nos explications initiales, combien la vraie positivité doit être mûrement préparée, de manière à ne pouvoir nullement convenir à l'état naissant de l'Humanité. C'est dans les lois des phénomènes que consiste réellement la science, à laquelle les faits proprement dits, quelque exacts et nombreux qu'ils puissent être, ne fournissent jamais que d'indispensables matériaux.
  Or, en considérant la destination constante de ces lois, on peut dire, sans aucune exagération, que la véritable science bien loin d'être formée de simples observations, tend toujours à dispenser autant que possible, de l'exploration directe, en y substituant cette prévision rationnelle, qui constitue, à tous égards, le principal caractère de l'esprit positif, comme l'ensemble des études astronomiques nous le fera clairement sentir. Une telle prévision, suite nécessaire des relations constantes découvertes entre les phénomènes, ne permettra jamais de confondre la science réelle avec cette vaine érudition qui accumule machinalement des faits sans aspirer à les déduire les uns des autres. [...] L'exploration directe des phénomènes accomplis ne pourrait suffire à nous permettre d'en modifier l'accomplissement, si elle ne nous conduisait pas à le prévoir convenablement. Ainsi, le véritable esprit positif consiste surtout à voir pour prévoir, à étudier ce qui est afin d'en conclure ce qui sera, d'après le dogme général de l'invariabilité des lois naturelles."

 

Comte, Discours sur l'esprit positif, 1842, § 15, Vrin, 1995, p. 71-74.



  "[Les sciences physiques] ont pour but de découvrir les lois d'après lesquelles les faits particuliers de la nature sont liés à des règles générales : ces règles étant connues, permettent à leur tour, de déterminer tous les faits particuliers.
  Ces règles, telles que la loi de la Réfraction ou de la Réflexion de la lumière, celles de Mariotte et de Gay-Lussac relatives au volume des gaz, etc., ne sont évidemment que des conceptions générales qui embrassent un ensemble de phénomènes.

  La recherche de ces règles appartient à la science expérimentale, tandis que la science théorique étudie les causes inconnues à l'aide des actions sensibles, et cherche à les saisir suivant la loi de la causalité. Ces études sont justifiées et imposées par cet axiome : Tout changement dans la nature est dû à une cause suffisante.
  Les causes les plus prochaines que nous attribuons aux phénomènes de la nature, peuvent être invariables ou variables. Si elles sont variables, le même axiome nous conduit à chercher de nouveau les causes de cette variation, et ainsi de suite, jusqu'à ce que nous arrivions à une dernière cause agissant suivant une loi fixe, c'est-à-dire, produisant à chaque instant et dans les mêmes circonstances, le même effet.
  Le but final des sciences théoriques est donc de trouver les causes constantes des phénomènes. Il ne s'agit pas ici de décider si réellement tous les faits peuvent se ramener a de telles causes c'est-à-dire, si la nature est toujours intelligible, ou bien si elle présente des variations qui, se dérobant à la loi d'une causalité nécessaire, appartiennent au domaine de la spontanéité, de la liberté. Mais, on peut l'affirmer la science qui a pour but de concevoir la nature, doit admettre la possibilité de cette conception ; et elle doit, en suite de son hypothèse, poursuivre son œuvre, ne fut-ce que pour acquérir la certitude irrécusable que nos connaissances sont limitées."

 

Hermann Ludwig von Helmholtz, Mémoire sur la conservation de l'énergie, 1847, Introduction, tr. fr. Louis Pérard, Paris, Victor Masson et fils, 1869, p. 58-59.


 

  "D'une part, on trouve les sciences de la nature. Le terme de « nature » les caractérise tout autant pour ce qui est de leur objet, que pour ce qui est de leur méthode. Elles voient dans leurs objets un être ou événement libre de tout rapport à une valeur, et leur intérêt se porte sur la découverte des relations conceptuelles générales, si possible des lois, qui concernent cet être ou événement. Le particulier n'est pour elles qu'un « exemplaire ». Ceci vaut pour la psychologie tout autant que pour la physique. Toutes deux ne font aucune sorte de différence entre les divers corps et âmes par rapport aux valeurs et aux évaluations, toutes deux rejettent l'individuel en tant qu'inessentiel, et toutes deux ne saisissent dans leurs concepts que ce qui est commun à la plupart de leurs objets. Il n'existe aucun objet qui soit soustrait par principe à ce traitement relevant des sciences de la nature au sens le plus large du terme. La nature est l'ensemble de la réalité psycho-physique, indifférente sur le plan axiologique et saisie par voie de généralisation.
  De l'autre côté, on trouve les sciences historiques de la culture. Pour les caractériser, il nous manque un terme, équivalent de celui de « nature », qui les désignerait tout autant par rapport à leur objet que par rapport à leur méthode. Nous devons donc choisir deux expressions qui correspondent aux deux significations du terme de « nature ». En tant que sciences de la culture, elles traitent des objets liés aux valeurs culturelles générales, et compris par conséquent comme signifiants, et en tant que sciences historiques, elles représentent l'évolution unique de ces objets dans sa particularité et dans son individualité ; en cela, le fait qu'il s'agit de processus culturels fournit à leur méthode historique le principe de sa formation de concepts, car l'essentiel pour elle est uniquement ce qui, en tant que porteur de sens, et dans sa spécificité individuelle, possède une signification pour la valeur culturelle directrice. De ce fait, elles sélectionnent en tant que « culture » au sein de la réalité, sur le mode de l'individualisation, tout autre chose que les sciences de la nature, qui considèrent la même réalité en tant que « nature » sur le mode de la généralisation ; dans la plupart des cas en effet, la signification d'un processus culturel repose sur la spécificité qui le différencie de tous les autres, alors qu'à l'inverse, ce qu'il possède en commun avec d'autres, donc ce qui constitue son essence pour les sciences de la nature, sera inessentiel pour les sciences historiques de la culture."

 

Heinrich Rickert, Science de la nature et science de la culture, 1899, tr. fr. Anne-Hélène Nicolas, Gallimard nrf, 1997, p. 137-138.


 

  "On dit souvent : qui sait si les lois n'évoluent pas et si on ne découvrira pas un jour qu'elles n'étaient pas à l'époque carbonifère ce qu'elles sont aujourd'hui ? Qu'entend-on par  ? Ce que nous croyons savoir de l'état passé de notre globe, nous le déduisons de son état présent. Et comment se fait cette déduction, c'est par le moyen des lois supposées connues. La loi étant une relation entre l'antécédent et le conséquent, nous permet également bien de déduire le conséquent de l'antécédent, c'est-à-dire de prévoir l'avenir et de déduire l'antécédent du conséquent, c'est-à-dire de conclure du présent au passé. L'astronome qui connaît la situation actuelle des astres, peut en déduire leur situation future par la loi de Newton, et c'est ce qu'il fait quand il construit des éphémérides ; et il peut également en déduire leur situation passée. Les calculs qu'il pourra faire ainsi ne pourront pas lui enseigner que la loi de Newton cessera d'être vraie dans l'avenir, puisque cette loi est précisément son point de départ ; ils ne pourront pas davantage lui apprendre qu'elle n'était pas vraie dans le passé. Encore en ce qui concerne l'avenir, ses éphémérides pourront être un jour contrôlées et nos descendants reconnaîtront peut-être qu'elles étaient fausses. Mais en ce qui concerne le passé, le passé géologique qui n'a pas eu de témoins, les résultats de son calcul, comme ceux de toutes les spéculations nous cherchons à déduire le passé du présent, échappent par leur nature même à toute espèce de contrôle. De sorte que si les lois de la nature n'étaient pas les mêmes à l'âge carbonifère qu'à l'époque actuelle, nous ne pourrons jamais le savoir, puisque nous ne pouvons rien savoir de cet âge que ce que nous déduisons de l'hypothèse de la permanence de ces lois.
  On dira peut-être que cette hypothèse pourrait conduire à des résultats contradictoires et qu'on sera obligé de l'abandonner. Ainsi, en ce qui concerne l'origine de la vie, on peut conclure qu'il y a toujours eu des êtres vivants, puisque le monde actuel nous montre toujours la vie sortant de la vie ; et on peut conclure aussi qu'il n'y en a pas toujours eu, puisque l'application des lois actuelles de la physique à l'état présent de notre globe nous enseigne qu'il y a eu un temps ce globe était tellement chaud que la vie y était impossible. Mais les contradictions de ce genre peuvent toujours se lever de deux manières : on peut supposer que les lois actuelles de la nature ne sont pas exactement celles que nous avons admises ; ou bien on peut supposer que les lois de la nature sont actuellement celles que nous avons admises, mais qu'il n'en a pas toujours été ainsi.

  Il est clair que les lois actuelles ne seront jamais assez bien connues pour qu'on ne puisse adopter la première de ces deux solutions et qu'on soit contraint de conclure à l'évolution des lois naturelles.
  D'autre part supposons une pareille évolution ; admettons, si l'on veut, que l'humanité dure assez pour que cette évolution puisse avoir des témoins. Le même antécédent produira par exemple des conséquents différents à l'époque carbonifère et à l'époque quaternaire. Cela veut dire évidemment que les antécédents sont à peu près pareils ; si toutes les circonstances étaient identiques, l'époque carbonifère deviendrait indiscernable de l'époque quaternaire. Évidemment ce n'est pas ce que l'on suppose. Ce qui reste, c'est que tel antécédent, accompagné de telle circonstance accessoire, produit tel conséquent ; et que le même antécédent, accompagné de telle autre circonstance accessoire, produit tel autre conséquent. Le temps ne fait rien à l'affaire.
  La loi, telle que la science mal informée l'aurait énoncée, et qui aurait affirmé que cet antécédent produit toujours ce conséquent, sans tenir compte des circonstances accessoires ; cette loi, dis-je, qui n'était qu'approchée et probable, doit être remplacée par une autre loi plus approchée et plus probable qui fait intervenir ces circonstances accessoires. Nous retombons donc toujours sur ce même processus que nous avons analysé plus haut, et si l'humanité venait à découvrir quelque chose dans ce genre, elle ne dirait pas que ce sont les lois qui ont évolué, mais les circonstances qui se sont modifiées."

 

Henri Poincaré, La valeur de la science, 1905, Champs Flammarion, 1970, p. 174-176.



  "Qu'arrivera-t-il en fin de compte? Nous continuons à trouver des lois, combien de lois aurons-nous à trouver? Je n'en sais rien. Certains de mes collègues disent que cet aspect fondamental de notre science continuera ; mais je crois qu'il n'y aura certainement pas constamment du nouveau, disons pendant les mille ans à venir. Nous ne pouvons pas continuer indéfiniment à découvrir de plus en plus de nouvelles lois. Si cela devait arriver on se lasserait de tant de niveaux les uns au-dessous des autres. Ce qui peut se passer dans l'avenir, me semble-t-il, c'est que toutes les lois soient connues – c'est-à-dire si on avait suffisamment de lois dont on puisse calculer les conséquences et qui s'accorderaient toujours avec l'expérience, ce qui serait l'extrémité de la chaîne – ou bien que les expériences deviennent de plus en plus difficiles à réaliser, de plus en plus coûteuses, de sorte qu'on connaîtra 99,9 % des phénomènes mais il y aura toujours un phénomène tout récent, très difficile à mesurer et ne s'accordant pas avec la théorie ; et à peine aurait-on réussi à l'expliquer, qu'un autre surgirait, ça deviendrait de plus en plus lent et de moins en moins intéressant Cela peut finir aussi comme cela. Mais je pense que cela doit se terminer de l'une ou l'autre façon. Nous avons beaucoup de chance de vivre à une époque où l'on fait encore des découvertes. C'est comme la découverte de l'Amérique – on ne la découvre qu'une fois. Nous vivons à l'époque de la découverte des lois fondamentales de la nature, et cette époque ne reviendra plus. C'est passionnant c'est merveilleux, mais ça ne peut pas durer."

 

Richard Feynman, La Nature des lois  physiques, 1965, tr. fr. Hélène Isaac et Jean-Marc Lévy-Leblond, Points sciences, 1980, p. 205.
 

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Date de création : 25/11/2015 @ 15:59
Dernière modification : 10/04/2018 @ 12:02
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