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Texte à méditer :  

Il est vrai qu'un peu de philosophie incline l'esprit de l'homme à l'athéisme ; mais que davantage de philosophie le ramène à la religion.   Francis Bacon


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Hors des sentiers battus
Nature et morale

  "On peut alors demander, en général et à propos de cette peine ou de ce plaisir qui distinguent le bien et le mal : de quels principes procèdent-ils et d'où viennent-ils, dans l'esprit humain ? À cela je réponds d'abord qu'il est absurde d'imaginer que dans chaque cas particulier ces sentiments sont produits par une qualité originelle et une disposition primitive. Car, puisque le nombre de nos devoirs est en quelque sorte infini, il est impossible que nos instincts originels se déploient jusqu'à chacun d'entre eux et impriment dans l'esprit, dès notre toute première enfance, toute la multitude de préceptes que contient le système d'éthique le plus achevé. Une telle façon de procéder n'est pas compatible avec les maximes habituelles qui mènent la nature, selon lesquelles un petit nombre de principes produisent toute cette variété que nous observons dans l'univers et où tout est conduit de la manière la plus simple et la plus facile. Il est donc nécessaire de réduire ces impulsions primitives et de trouver les principes plus généraux sur lesquels soient fondées toutes nos notions de la morale.
  Mais, en second lieu, dans le cas où l'on demanderait s'il nous faut chercher ces principes dans la nature ou si nous devons leur chercher une autre origine, je répliquerais que notre réponse à cette question dépend de la définition du mot nature et qu'il n'y pas de mot plus équivoque et ambigu. Si l'on oppose la nature aux miracles, non seulement la distinction entre le vice et la vertu est naturelle, mais aussi chaque événement qui a jamais eu lieu dans le monde, à l'exception de ces miracles sur lesquels notre religion se fonde. En disant dès lors que les sentiments du vice et de la vertu sont naturels en ce sens, nous ne faisons pas une découverte bien extraordinaire.
  Mais la nature peut aussi être opposée au rare et à l'inhabituel et, en ce sens courant du mot, des discussions peuvent fréquemment surgir quant à ce qui est naturel et à ce qui ne l'est pas, et l'on peut affirmer d'une manière générale que nous ne sommes pas en possession de quelque critère très précis qui nous permette de clore ces débats. Le fréquent et le rare dépendent du nombre d'exemples que nous avons observés et, comme ce nombre est susceptible d'augmenter ou de diminuer par degrés, il sera impossible de déterminer des frontières exactes entre ces deux notions. Nous pouvons seulement affirmer sur ce chapitre que, s'il y eût jamais quelque chose qui puisse être appelé naturel en ce sens, assurément les sentiments de la moralité le peuvent, puisqu'il n'y a jamais eu une nation du monde, ni une seule personne en aucune nation qui en fût absolument privée et qui ne montrât jamais, en aucun cas, la moindre approbation ou le moindre rejet de certaines mœurs. Ces sentiments sont enracinés dans notre constitution et dans notre disposition au point qu'il est impossible de les arracher et de les détruire, sauf si la maladie ou la folie bouleversent entièrement l'esprit.
  Mais la nature peut également être opposée à l'artifice, aussi bien qu'à ce qui est rare et inhabituel ; et en ce sens, on peut discuter pour savoir si les notions de la vertu sont naturelles ou non. Nous oublions volontiers que les desseins, les projets et les manières de voir des hommes sont des principes aussi nécessaires dans leur façon d'opérer que le chaud et le froid, l'humide et le sec ; mais, les prenant pour libres et entièrement nôtres, il nous est habituel de les opposer aux autres principes de la nature. Par conséquent, si l'on demandait si le sens de la vertu est naturel ou artificiel, mon opinion est qu'il m'est en ce moment impossible de donner une réponse précise à cette question. Peut-être apparaîtra-t-il, par la suite, que notre sens de certaines vertus est artificiel et celui d'autres vertus, naturel. La discussion de cette question sera plus opportune quand nous en viendrons à examiner le détail précis de chaque vertu et de chaque vice particulier.
  En attendant, il ne peut être déplacé de remarquer, d'après ces définitions du naturel et du non-naturel, que rien ne peut être moins antiphilosophique que ces systèmes qui affirment que la vertu est identique à ce qui est naturel et le vice, à ce qui ne l'est pas. Car au premier sens du mot « nature », en tant qu'on l'oppose aux miracles, le vice et la vertu sont tous deux également naturels, et au deuxième sens, opposé à ce qui est inhabituel, il se peut que l'on découvre que la vertu est ce qu'il y a de moins naturel. Il faut au moins concéder que la vertu héroïque est aussi peu naturelle que la barbarie la plus cruelle, car elle est aussi inhabituelle. Pour ce qui est du troisième sens du mot, il est certain que le vice et la vertu sont tous deux également artificiels et différents de la nature. En effet, bien que l'on puisse discuter pour savoir si les idées du mérite ou du démérite qu'il y a dans certaines actions sont naturelles ou artificielles, il est évident que les actions elles-mêmes sont artificielles et accomplies avec un certain dessein et une certaine intention, sinon elles n'auraient jamais pu être rangées sous l'une ou l'autre de ces appellations. Il est donc impossible que les caractères de naturel ou de non-naturel puissent jamais,en quelque sens que ce soit, tracer les frontières entre le vice et la vertu."

 

Hume, Traité de la nature humaine, 1740, Livre III : La morale, tr. fr. Philippe Saltel, GF, 1993, p. 69-72.

 

  "Rien ne peut être plus antiphilosophique que les systèmes qui affirment l'identité du vertueux et du naturel et celle du vicieux et du non-naturel. Car, au premier sens du mot, nature par opposition à miracles, le vice et la vertu sont tous deux également naturels ; au second sens, celui qui s'oppose à inhabituel, c'est peut-être la vertu qui, trouvera-t-on, est la moins naturelle. Du moins faut-il avouer que la vertu héroïque, parce qu'elle est inhabituelle, est aussi peu naturelle que la sauvagerie la plus brutale. Quant au troisième sens du mot, assurément le vice et la vertu sont tous deux également artificiels et hors de la nature. Car, même si l'on peut discuter pour savoir si la notion de mérite ou de démérite dans certaines actions est naturelle ou artificielle, évidemment les actes eux-mêmes sont artificiels ; on les accomplit avec un certain dessein et une certaine intention ; sinon on ne les aurait jamais rangés sous l'une de ces dénominations. Il est donc impossible que les caractères de naturel et de non-naturel puissent jamais, en aucun sens, marquer les frontières du vice et de la vertu."

 

Hume, Traité de la nature humaine, 1740, Partie III : La morale, Partie I, Section 2.

 

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Date de création : 02/03/2016 @ 16:39
Dernière modification : 03/03/2016 @ 15:35
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