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Hors des sentiers battus
La langue comme produit social

  "Une langue est la forme linguistique idéale qui s'impose à tous les individus d'un même groupe social et c'est de la nature et de l'extension du groupe que résulte le caractère de la langue. […]
  En France, à côté de la langue littéraire qui s'écrit partout et que les gens cultivés ont la prétention de réaliser en parlant, il y a des dialectes, comme le franc-comtois ou le limousin, qui se subdivisent eux-mêmes en un grand nombre de parlers locaux. Ce sont là autant de langues correspondant à autant de groupements. D'autre part, à l'intérieur d'une seule ville, comme Paris, il y a un certain nombre de langues diverses qui se superposent : la langue des salons n'est pas celle des casernes, ni la langue des bourgeois celle des ouvriers ; il y a le jargon des tribunaux et l'argot des faubourgs. Ces langues diffèrent parfois tellement entre elles que l'on peut fort bien savoir l'une et ne rien comprendre à l'autre.

  La variété de ces langues tient à la complexité des rapports sociaux. Et comme un individu vit rarement enfermé en un seul groupe social, il n'y a guère de langue qui ne s'étende à des groupements différents. Chaque individu en se déplaçant porte avec lui la langue de son groupe et agit par sa langue sur celle du groupe voisin où il s'introduit.
  Deux familles voisines n'ont pas exactement la même langue ; mais la différence de langage qui les sépare, même si elle contenait en germe le principe d'une segmentation destinée à s'affirmer dans l'avenir, est pour le moment présent si peu sensible qu'on a le droit de n'en pas tenir compte. D'ailleurs, la langue qu'échangent ces deux familles s'unifie fatalement puisque les relations réciproques tendent dès le premier jour à atténuer les différences et à établir une norme commune. Imaginons deux frères qui vivraient en commun, sans exercer le même métier. Chacun d'eux, à l'atelier, serait en contact avec des groupes différents, dont il prendrait fatalement la langue avec les habitudes de pensée, les occupations et l'outillage. Mais la distinction qui s'établirait chaque journée entre les deux frères et qui ne tendrait à rien de moins, s'ils restaient un long temps sans se voir, qu'à leur faire constater, comme on dit, qu'ils ne parlent plus la même langue, est effacée chaque soir par le commerce qu'ils reprennent entre eux. Ainsi ils se trouvent soumis tout à tour à quelques heures d'intervalle à deux influences contraires, et la langue qu'ils parlent entre eux s'épure constamment des éléments de dissociation apportés du dehors.
  Nous avons là un bon exemple de cette lutte pour l'équilibre qui est la loi de toute l'évolution des langues. Deux tendances contraires entraînent les langues en deux directions opposées. L'une est la tendance à la différenciation. Le développement du langage aboutit à une segmentation de plus en plus fragmentaire ; le résultat est un émiettement, qui s'augmente au fur et à mesure de l'emploi de la langue ; des groupes d'individus livrés à eux-mêmes, sans aucun contact entre eux, y seraient fatalement condamnés. Mais la différenciation n'est jamais achevée. Une raison majeure l'arrête en chemin ; c'est qu'en rendant de plus en plus étroits les groupes entre lesquels le langage sert de moyen d'échange, elle finirait par ôter au langage sa raison d'être ; le langage s'anéantirait lui-même, il deviendrait inapte aux communications entre les hommes. Aussi contre la tendance à la différenciation agit sans cesse une tendance à l'unification qui rétablit l'équilibre. C'est du jeu de ces deux tendances que résultent les diverses sortes de langues, dialectes, langues spéciales, langues communes."

 

Joseph Vendryes, Le langage. Introduction linguistique à l'histoire, 1921, La Renaissance du Livre, p. 285-287.

 

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Date de création : 17/01/2017 @ 17:58
Dernière modification : 17/01/2017 @ 17:58
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