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Biologie du désir

  "Nous ne vivons que pour maintenir notre structure biologique, nous sommes programmés depuis l’œuf fécondé pour cette seule fin, et toute structure vivante n’a pas d’autre raison d’être, que d’être. Mais pour être elle n’a pas d’autres moyens à utiliser que le programme génétique de son espèce. Or ce programme génétique chez l’Homme aboutit à un système nerveux, instrument de ses rapports avec l’environnement inanimé et animé, instrument de ses rapports sociaux, de ses rapports avec les autres individus de la même espèce peuplant la niche où il va naître et se développer. Dès lors, il se trouvera soumis entièrement à l’organisation de cette dernière. Mais cette niche ne pénétrera et ne se fixera dans son système nerveux que suivant les caractéristiques structurales de celui-ci. Or, ce système nerveux répond d’abord aux nécessités urgentes, qui permettent le maintien de la structure d’ensemble de l’organisme. Ce faisant, il répond à ce que nous appelons les pulsions, le principe de plaisir, la recherche de l’équilibre biologique, encore que la notion d’équilibre soit une notion qui demande à être précisée. Il permet ensuite, du fait de ses possibilités de mémorisation, donc d’apprentissage, de connaître ce qui est favorable ou non à l’expression de ces pulsions, compte tenu du code imposé par la structure sociale qui le gratifie, suivant ses actes, par une promotion hiérarchique. Les motivations pulsionnelles, transformées par le contrôle social qui fournit une expression nouvelle à la gratification, au plaisir, seront enfin à l’origine aussi de la mise en jeu de l’imaginaire. Imaginaire, fonction spécifiquement humaine qui permet à l’homme contrairement aux autres espèces animales, d’ajouter de l’information, de transformer le monde qui l’entoure. Imaginaire, seul mécanisme de fuite, d’évitement de l’aliénation environnementale, sociologique en particulier, utilisé aussi bien par le drogué, le psychotique, que par le créateur artistique ou scientifique. Imaginaire dont l’antagonisme fonctionnel avec les automatismes et les pulsions, phénomènes inconscients, est sans doute à l’origine du phénomène de conscience."

 

Henri Laborit, Éloge de la fuite, 1976, Folio essais, 2004, p. 12-13.


 

  "Nous rappellerons que la fonction du système nerveux consiste essentiellement dans la possibilité qu'il donne à un organisme d'agir, de réaliser son autonomie motrice par rapport à l'environnement, de telle façon que la structure de cet organisme soit conservée. Pour cela, deux sources d'informations lui sont nécessaires : l'une le renseigne sur les caractéristiques changeantes de l'environnement qui sont captées par les organes des sens et lui sont transmises. L'autre le renseigne sur l'état interne de l'ensemble de la communauté cellulaire organique dont il a mission de protéger la structure en, en permettant l'autonomie motrice. Bien que le terme d'équilibre soit faux ou du moins qu'il exige une assez longue diversion pour en préciser le contenu, nous parlerons de recherche de l'équilibre organique, d'homéostasie, ou dans un langage plus psychologique, du bien-être, du plaisir. Les structures les plus primitives du cerveau, l'hypothalamus et le tronc cérébral, suffisent à assurer ce comportement simple d'une action répondant à un stimulus interne que nous dénommerons « pulsion ». C'est un comportement inné, permettant l'assouvissement de la faim, de la soif et de la sexualité.
  Avec les premiers mammifères apparaît le système limbique qui va autoriser les processus de mémoire à long terme. Dès lors, les expériences qui résultent du contact d'un organisme avec son environnement ne se perdront pas, elles seront mises en réserve et leur évocation à l'intérieur de cet organisme pourra survenir sans relations de causalité évidente avec les variations survenant dans le milieu extérieur. Elles seront enregistrées comme agréables ou désagréables, les expériences agréables étant celles qui permettent le maintien de la structure de l'organisme, les expériences désagréables celles dangereuses pour lui. Les premières auront tendance à être répétées : c'est ce que l'on appelle le « réenforcement ». Les autres à être évitées. L'action résulte dans tous les cas d'un apprentissage. Ainsi, nous définirons le besoin auquel répond l'activité du système nerveux comme la quantité d'énergie et d'information nécessaire au maintien de la structure, soit innée, soit acquise par apprentissage. Le modelage des réseaux neuroniques à la suite d'un apprentissage constitue en effet une structure acquise. Elle est à la base des émotions qui s'accompagnent de réajustements vasomoteurs et de déplacements de la masse sanguine, suivant les variations d'activité des organes mis en jeu pour réaliser l'action. Le système cardio-vasculaire sous contrôle du système nerveux végétatif permettra cette adaptation. La motivation fondamentale des êtres vivants semble donc bien être le maintien de leur structure organique. Mais elle dépendra soit de pulsions, en réponse à des besoins fondamentaux, soit de besoins acquis par apprentissage. Dans un langage psychanalytique, la recherche (pulsionnelle ou résultant de l'apprentissage) de la répétition de l'expérience agréable répond au principe du plaisir qui n'est pas ainsi exclusivement sexuel, ou même quand il l'est se trouve occulté, transformé par l'expérience. La connaissance de la réalité extérieure, l'apprentissage des interdits socio-culturels et des conséquences désagréables qu'il peut en coûter de les enfreindre, comme de celles, agréables, dont le groupe social peut récompenser l'individu pour les avoir respectés, répond au principe de réalité.

  Enfin, avec le cortex on accède à l'anticipation, à partir de l'expérience mémorisée des actes gratifiants ou nociceptifs[1], et à l'élaboration d'une stratégie capable de les satisfaire ou de les éviter respectivement. Il semble donc exister trois niveaux d'organisation de l'action. Le premier, le plus primitif, à la suite d'une stimulation interne et/ou externe, organise l'action de façon automatique, incapable d'adaptation. Le second organise l'action en prenant en compte l'expérience antérieure, grâce à la mémoire que l'on conserve de la qualité, agréable ou désagréable, utile ou nuisible, de la sensation qui en est résultée. L'entrée en jeu de l'expérience mémorisée camoufle le plus souvent la pulsion primitive et enrichit la motivation de tout l'acquis dû à l'apprentissage. Le troisième niveau est celui du désir. Il est lié à la construction imaginaire anticipatrice du résultat de l'action et de la stratégie à mettre en œuvre pour assurer l'action gratifiante ou celle qui évitera le stimulus nociceptif. Le premier niveau fait appel à un processus uniquement présent, le second ajoute à l'action présente l'expérience du passé, le troisième répond au présent, grâce à l'expérience passée par anticipation du résultat futur."

 

Henri Laborit, Éloge de la fuite, 1976, Folio essais, 2004, p. 19-21.


[1] Relatif à la nociception, c'est-à-dire à une fonction défensive, d'alarme. C'est l'ensemble des phénomènes permettant l'intégration au niveau du système nerveux central d'un stimulus douloureux via l'activation des nocicepteurs (récepteurs à la douleur) cutanés, musculaires et articulaires.


 

  "Nous distinguerons trois types fondamentaux de comportements : les réflexes, les instincts et les comportements désirants. […]
  Dans son acception classique, [un réflexe] décrit une action stéréotypée, reproductible et liée de façon inévitable au stimulus qui lui a donné naissance. […] Si l'acte réflexe est bien la structure fondamentale qui lie l'animal à son milieu, il ne saurait à lui seul rendre compte de l'organisation des comportements complexes. L'animal en action n'est pas seulement une machine à répondre ; il agit aussi spontanément ou ne répond que de façon inconstante selon les modalité du désir ou de l'instinct ; spontanéité et inconstance étant conçues comme l'expression de la variabilité de l'état interne de l'animal au moment de l'acte. […]
  [L'instinct] est un acte ou une série d'actes qui ne changent pas lors de répétitions (fixed-action pattern). Phénomène essentiellement inné, l'instinct peut être modifié par l'apprentissage, qui joue en en général un rôle d'affinage et d'amélioration de la performance : qualité du vol pour l'oiseau, de la tétée pour le petit rat, du choix des proies pour le jeune calmar, etc. Bien loin d'expliquer la diversité du comportement entre les individu­s, l'apprentissage assure un comportement instinctif en conformité parfaite avec le modèle défini pour l'espèce. L'apprentissage est donc ici un facteur de conformité qui fait l'individu semblable à l'autre, à l'inverse des comporte­ments désirants qui permettent à chaque individu de tirer de l'apprentissage son individualité et sa différence. L'instinct serait fasciste et le désir démocrate. […] II est de bon ton de s'émerveiller devant l'intelligence et la perfection de l'instinct animal ; il faudrait plutôt s'étonner par­fois de la stupidité et de l'absurdité de l'instinct. Ce qui différencie l'instinct du comportement désirant, c'est l'aveuglement du premier et son ignorance du but. C'est l'instinct qui précipite l'insecte contre la lampe. […]

  Il est d'usage, depuis Craig, de distinguer dans le comportement une phase appétitive faite de mouvements d'orientation, d'agitation et de recherche qui traduisent l'exaltation du désir, et une phase consommatoire s'achève par la satisfaction du désir.
  La première caractéristique d'un comportement désirant est l'individualisation, qui s'exprime dans la différence des comportements de chaque animal et qui est fonction de son expérience acquise et de ses capacités. Le désir traduit le génie particulier de chaque homme ou de chaque rat et fait ainsi la différence entre les individus.
  La deuxième caractéristique du désir est la faculté d'anticipation dont l'instinct est dépourvu. Une expérience de Schneirla illustre cette différence. Un rat et une fourmi sont tous deux capables d'apprendre à parcourir un labyrinthe ; examinés séparément, on observe toutefois la différence dans leurs manières d'apprendre. La fourmi s'initie lentement et intègre successivement chaque choix correct, étape après étape. Le rat, au contraire, anticipe à chaque étape les étapes à venir ; bien mieux, il apprend à apprendre et améliore ses performances lorsqu'il est confronté à de nouveaux labyrinthes. Le rat se précipite avec une allure d'autant plus grande vers un but qu'il sait d'après une expérience antérieure, y trouver plus de nourriture. Cette attente si caractéristique du désir est traduite dans l'activité électrique du cerveau. Sur l'électro-encéphalogramme de l'homme, on peut observer une onde négative dans la région frontale qui accompagne l'attente précédant l'action (variation contingente négative). En enregistrant l'activité électrique des cellules à l'intérieur du système nerveux central, on peut montrer que certaines régions sont sollicitées particulièrement dans la phase préparatoire à l'acte.
  La dernière caractéristique d'un comportement désirant réside dans l'association d'une composante affective et émotionnelle à l'anticipation et au déroulement de l'action. Il s'agit de manifestations viscérales et de sécrétions hormo­nales qui offrent une véritable traduction somatique de l'émotion. Le paysage émotionnel qui accompagne un comportement est la marque du désir ; il se différencie du désert affectif qui caractérise l'instinct."

 

Jean-Didier Vincent, Biologie des passions, 1986, Points 1988, p. 164-168.

 

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Date de création : 04/09/2019 @ 13:29
Dernière modification : 10/09/2019 @ 07:15
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