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Texte à méditer :  La raison du plus fort est toujours la meilleure.
  
La Fontaine
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Hors des sentiers battus
Les limites de la démonstration

  "Par suite on peut se demander pourquoi, en plus de l'intuition, nous avons ajouté ici un autre mode de connaissance qui se fait par déduction ; par laquelle nous entendons tout ce qui conclut nécessairement d'autres choses connues avec certitude, bien qu'elles ne soient pas elles-mêmes évidentes, du moment qu'elles sont déduites de principes vrais et connus, par un mouvement continu et ininterrompu de la pensée qui a l'intuition de chaque terme d'une manière distincte. C'est ainsi que nous savons que le dernier anneau de quelque longue chaîne est connecté au premier, même si nous ne voyons d'un seul et même coup d'œil tous les intermédiaires dont dépend ce lien. Il suffit que nous les ayons parcourus un à un, et que nous nous souvenions que, du premier au dernier, chacun tient au précédent et au suivant. Nous distinguons donc ici l'intuition intellectuelle d'une déduction certaine en ce que l'on conçoit en celle-ci un mouvement ou une certaine succession, et pas dans l'autre ; et que de plus, pour la déduction une évidence actuelle n'est pas exigée comme pour l'intuition, mais plutôt qu'elle tire sa certitude de la mémoire. D'où il s'ensuit, concernant les propositions qui sont la conséquence immédiate des premiers principes, qu'on peut dire, selon la manière de les considérer, tantôt qu'on les connaît au moyen de l'intuition, tantôt qu'on les connaît au moyen de la déduction ; mais les premiers principes eux-mêmes ne sont connus que par intuition ; et, à l'inverse, les conclusions éloignées ne peuvent être connues que par déduction."


Descartes, Règles pour la direction de l'esprit, 1628, III, trad. originale François Deviers-Jonlon.

 

    "Je ne puis faire mieux entendre la conduite qu'on doit garder pour rendre les démonstrations convaincantes, qu'en expliquant celle que la géométrie observe.

    Mais il faut auparavant que je donne l'idée d'une méthode encore plus éminente et plus accomplie, mais où les hommes ne sauraient jamais arriver : car ce qui passe la géométrie nous surpasse ; et néanmoins il est nécessaire d'en dire quelque chose, quoiqu'il soit impossible de le pratiquer.

    Cette véritable méthode, qui formerait les démonstrations dans la plus haute excellence, s'il était possible d'y arriver, consisterait en deux choses principales : l'une, de n'employer aucun terme dont on n'eût auparavant expliqué nettement le sens ; l'autre, de n'avancer jamais aucune proposition qu'on ne démontrât par des vérités déjà connues; c'est-à-dire, en un mot, à définir tous les termes et à prouver toutes les propositions. [...]

    Certainement cette méthode serait belle, mais elle est absolument impossible : car il est évident que les premiers termes qu'on voudrait définir en supposeraient de précédents pour servir à leur explication, et que de même les premières propositions qu'on voudrait prouver en supposeraient d'autres qui les précédassent; et ainsi il est clair qu'on n'arriverait jamais aux premières.

    Aussi, en poussant les recherches de plus en plus, on arrive nécessairement à des mots primitifs qu'on ne peut plus définir, et à des principes si clairs qu'on n'en trouve plus qui le soient davantage pour servir à leur preuve. D'où il paraît que les hommes sont dans une impuissance naturelle et immuable de traiter quelque science que ce soit dans un ordre absolument accompli."

 

Pascal, De l'esprit géométrique (rédigé vers 1657, publié en 1776), section I.


 

    "Nous connaissons la vérité non seulement par la raison, mais aussi par le cœur ; et c’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes. C’est en vain que le raisonnement qui n’y a point de part essaye de les combattre. Les Pyrrhoniens qui n’ont que cela pour objet y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point ; quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l’incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent. Car la connaissance des premiers principes, comme, par exemple, qu’il y a espace, temps, mouvement, nombre, matière, est aussi ferme qu’aucune de celle que nos raisonnements nous donnent. Et c’est sur ces connaissances du cœur et de l'instinct qu’il faut que la raison s’appuie, et qu’elle fonde tout son discours (Le cœur sent qu’il y a trois dimensions dans l’espace, et que les nombres sont infinis ; et la raison démontre ensuite, qu’il n’y a point deux nombres carrés, dont l’un soit double de l’autre. Les principes se sentent ; les propositions se concluent ; le tout avec certitude, quoique par différentes voies). Et il est aussi inutile et ridicule que la raison demande au cœur des preuves de ces premiers principes pour vouloir y consentir, qu’il serait ridicule que le cœur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu’elle démontre, pour vouloir les recevoir."

 

Pascal, Pensées, 282 (L. Brunschvicg), 110 Lafuma.



  "Tout le monde demeure d'accord qu'il y a des propositions si claires et si évidentes d'elles-mêmes, qu'elles n'ont pas besoin d'être démontrées ; et que toutes celles qu'on ne démontre point doivent être telles pour être principes d'une véritable démonstration : car si elles sont tant soit peu incertaines, il est clair qu'elles ne peuvent être le fondement d'une conclusion tout à fait certaine.
  Mais plusieurs ne comprennent pas assez en quoi consiste cette clarté et cette évidence d'une proposition, car, premièrement, il ne faut pas s'imaginer qu'une proposition ne soit claire et certaine, que lorsque personne ne la contredit; et qu'elle doive passer pour douteuse, ou qu'au moins on soit obligé de la prouver, lorsqu'il se trouve quelqu'un qui la nie. Si cela était, il n'y aurait rien de certain ni de clair, puisqu'il s'est trouvé des philosophes qui ont fait profession de douter généralement de tout, et qu'il y en a même qui ont prétendu qu'il n'y avait aucune proposition qui fût plus vraisemblable que sa contraire. Ce n'est donc point par les contestations des hommes qu'on doit juger de la certitude ni de la clarté ; car il n'y a rien qu'on ne puisse contester, surtout de parole : mais il faut tenir pour clair ce qui paraît tel à tous ceux qui veulent prendre la peine de considérer les choses avec attention, et qui sont sincères à dire ce qu'ils en pensent intérieurement."

 

Antoine Arnauld et Pierre Nicole, La logique ou l'art de penser, 1662, 4e partie, Chapitre VI, Champs Flammarion, 1978, p. 386.



  "Tous les objets sur lesquels s'exerce la raison humaine ou qui sollicitent nos recherches se répartissent naturellement en deux genres : les relations d'idées et les choses de fait. Au premier genre appartiennent les propositions de la géométrie, de l'algèbre et de l'arithmétique, et, en un mot, toutes les affirmations qui sont intuitivement ou démonstrativement certaines. Cette proposition : le carré de l'hypoténuse est égal à la somme des carrés des deux autres côtés, exprime une relation entre ces éléments géométriques. Cette autre : trois fois cinq égalent la moitié de trente, exprime une relation entre ces nombres. On peut découvrir les propositions de ce genre par la simple activité de la pensée et sans tenir compte de ce qui peut exister dans l'univers. N'y eût-il jamais eu dans la nature de cercle ou de triangle, les propositions démontrées par Euclide n'en garderaient pas moins pour toujours leur certitude et leur évidence.
  Les choses de fait, qui constituent la seconde classe d'objets sur lesquels s'exerce la raison humaine, ne donnent point lieu au même genre de certitude ; et quelque évidence que soit pour nous leur vérité, cette évidence n'est pas de même nature que la précédente. Le contraire d'une chose de fait ne laisse point d'être possible, puisqu'il ne peut impliquer contradiction, et qu'il est conçu par l'esprit avec la même facilité et la même distinction que s'il était aussi conforme qu'il se pût à la réalité. Une proposition comme celle-ci : le soleil ne se lèvera pas demain, n'est pas moins intelligible et n'implique pas davantage contradiction que cette autre affirmation : il se lèvera. C'est donc en vain que nous tenterions d'en démontrer la fausseté. Si elle était fausse démonstrativement, elle impliquerait contradiction, et jamais l'esprit ne pourrait la concevoir distinctement."

 

Hume, Enquête sur l'entendement humain, 1748, 4e section, 1ère partie, tr. fr. D. Deleule, LGF, Le livre de poche, 1999, p. 82-83.



  "Une proposition comme celle-ci : le soleil ne se lèvera pas demain, n'est pas moins intelligible et n'implique pas davantage contradiction que cette autre affirmation : il se lèvera. C'est donc en vain que nous tenterions d'en démontrer la fausseté. Si elle était fausse démonstrativement, elle impliquerait contradiction, et jamais l'esprit ne pourrait la concevoir distinctement.
 
Il pourrait donc être intéressant de rechercher quelle est la nature de cette évidence qui nous donne la certitude d'une existence réelle et d'une chose de fait en l'absence du témoignage présent de nos sens ou des souvenirs enregistrés par notre mémoire. [...]
  Tous les raisonnements relatifs à une chose de fait paraissent fondés sur la relation de cause à effet. Seule cette relation nous permet de dépasser le témoignage de notre mémoire et de nos sens. Demandez à un homme pourquoi il ajoute foi à la réalité d'une chose de fait dont il n'est pas témoin : pourquoi il croit que son ami est à la campagne, par exemple, ou en France; il vous donnerait une raison, et cette raison serait un autre fait: il a reçu une lettre de lui, ou il connaît ses résolutions et ses promesses antérieures. L'homme qui trouverait une montre, ou quelque autre instrument, dans une île déserte, en conclurait qu'il y a eu autrefois des hommes dans cette île. Tous nos raisonnements en matière de fait sont de même nature. On suppose constamment qu'il y a un lien entre le fait présent et celui qui en est inféré. [...]
  Ainsi, pour déterminer à notre propre satisfaction la nature de cette évidence qui est la source de notre certitude touchant les choses de fait, il nous faut rechercher comment nous acquérons la connaissance de la cause et de l'effet.
 
Je me permettrai d'affirmer - et c'est là, selon moi, une proposition générale qui ne souffre point d'exception - que la connaissance de cette relation n'est acquise en aucun cas par des raisonnements a priori ; mais qu'elle vient uniquement de l'expérience, qui nous montre des objets particuliers dans une liaison constante. Présentez un objet à une personne: quelles que soient la raison naturelle et les facultés que vous lui supposiez, si cet objet est pour elle entièrement nouveau, elle sera impuissante, fût-ce par l'examen le plus attentif de ses qualités sensibles, à découvrir aucune de ses causes, aucun de ses effets."

 

Hume, Enquête sur l'entendement humain, 1748, Le Livre de Poche, coll. «Classiques de la philosophie », 1999, p. 83-86.



  "Si l'homme était forcé de se prouver à lui-même toutes les vérités dont il se sert chaque jour, il n'en finirait point ; il s'épuiserait en démonstrations préliminaires sans avancer ; comme il n'a pas le temps, à cause du court espace de la vie, ni la faculté, à cause des bornes de son esprit, d'en agir ainsi, il en est réduit à tenir pour assurés une foule de faits et d'opinions qu'il n'a eu ni le loisir ni le pouvoir d'examiner et de vérifier par lui-même, mais que de plus habiles ont trouvés ou que la foule adapte. C'est sur ce premier fondement qu'il élève lui-même l'édifice de ses propres pensées. Ce n'est pas sa volonté qui l'amène à procéder de cette manière ; la toi inflexible de sa condition l'y contraint.
   Il n'y a pas de si grand philosophe dans le monde qui ne croie un million de choses sur la foi d'autrui, et qui ne suppose beaucoup plus de vérités qu'il n'en établit.
  Ceci est non seulement nécessaire, mais désirable. Un homme qui entreprendrait d'examiner tout par lui-même ne pourrait accorder que peu de temps etd'attention à chaque chose ; ce travail tiendrait son esprit dans une agitation perpétuelle qui l'empêcherait de pénétrer profondément dans aucune vérité et de se fixer avec solidité dans aucune certitude. Son intelligence sera tout à la fois indépendante et débile[1]. Il faut donc que, parmi les divers objets des opinions humaines, il fasse un choix et qu'il adopte beaucoup de croyances sans les discuter, afin d'en mieux approfondit un petit nombre dont il s'est réservé l'examen.
  Il est vrai que tout homme qui reçoit une opinion sur la parole d'autrui met son esprit en esclavage, mais c'est une servitude salutaire qui permet de faim un bon usage de la liberté."

 
Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, 1840, II, GF, 1981, p. 15-16.

[1] Affaiblie.


    " [...] il importe cependant d'établir une distinction entre deux raisons différentes pour lesquelles on peut se dire insatisfait. Y a t-il insatisfaction parce que notre principe ne peut se prouver ? ou simplement parce que, les uns et les autres, nous ne sommes pas d'accord sur ce principe ? J'incline à penser que cette dernière raison est la raison principale. Car le simple fait qu'en certains cas il soit impossible de fournir une preuve ne nous cause pas habituellement le moindre malaise. Par exemple, personne ne peut prouver que ce qui est à côté de moi est une chaise ; et pourtant je ne vais pas supposer que quiconque s'estime pour cette raison très insatisfait. Nous sommes tous d'accord sur le fait que c'est une chaise, et cela suffit à nous contenter, bien qu'il soit tout à fait possible que nous ayons tort. Il va de soi qu'un fou pourrait rentrer dans la pièce et dire que ce n'est pas une chaise, mais un éléphant. Nous ne pourrons prouver qu'il a tort, et le fait qu'il soit en désaccord avec nous pourrait commencer à nous mettre mal à l'aise. Ce malaise sera encore plus réel si quelqu'un que nous ne prenons pas pour un fou est en désaccord avec nous. Nous essaierons de discuter avec lui, et nous serons satisfaits si nous l'amenons à partager nos vues, même dans le cas où nous n'aurons pas apporté la preuve de notre point de vue. La seule façon dont nous pouvons le persuader, c'est en lui montrant que notre conception est compatible avec autre chose qu'il considère comme vrai, chose avec laquelle sa propre conception est en contradiction. Mais il sera impossible de prouver que cette "autre chose", dont lui et moi convenons qu'elle est vraie, l'est réellement ; nous nous satisferons d'avoir réglé la question au moyen de cette "autre chose", simplement parce que nous sommes mis d'accord à son sujet. En bref, notre insatisfaction dans de tels exemples est presque toujours du type de celle que ressent le pauvre fou de l'histoire. "J'ai dit que le monde est fou, dit-il, et le monde a dit que je suis fou ; et, zut ! alors, ce sont eux qui ont la majorité." Je le répète, c'est presque toujours un désaccord de cet ordre, et non l'impossibilité de prouver, qui nous fait qualifier cet état de choses insatisfaisant. Car, en vérité, qui peut prouver que la preuve soit elle-même garante de vérité ? Tout le monde s'accorde à dire que les lois de la logique sont vraies, c'est pourquoi nous acceptons un résultat prouvé au moyen de ces lois ; mais cette preuve ne nous satisfait que parce que nous sommes tous pleinement d'accord sur le fait que c'est un garant de la vérité. Et cependant, nous ne pouvons, étant donné la nature de l'objet en question, prouver que nous avons raison d'être en accord".

G.E. Moore, Principia ethica, 1903, Paris, PUF, 1998, tr. fr. Michel Gouverneur (revue par Ruwen Ogien), p. 128-129.

 

 


Date de création : 25/02/2006 @ 15:15
Dernière modification : 01/02/2015 @ 14:32
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