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Texte à méditer :  Je suis homme, et rien de ce qui est humain ne m'est étranger.   Terence
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Hors des sentiers battus
Un monde providentiel ?

  "Figurons-nous que nous soyons plongés dans une obscurité aussi épaisse que celle qui, à ce qu'on rapporte, désola les régions voisines de l'Etna quand ce volcan fut en éruption, que pendant deux jours les gens ne se reconnaissaient plus et qu'on crut revivre quand enfin le soleil reparut. Supposons qu'il nous soit donné au sortir de ces ténèbres de voir la lumière et le ciel, quel aspect revêtirait-il pour nous ? La présence quotidienne de certains objets, l'accoutumance des yeux font que nous les contemplons sans surprise et que nous n'éprouvons pas le besoin de nous les expliquer, comme si la nouveauté d'un spectacle devait, plus que sa grandeur, nous inciter à la recherche des causes. Mérite-t-il vraiment le nom d'homme, celui qui, en présence de tant de mouvements bien réglés, d'un ordre si parfait régnant au ciel, des liens unissant de façon si harmonieuse toutes les parties du monde les unes aux autres, se refuse à croire à une raison ordonnatrice, prétend mettre au compte du hasard un arrangement calculé de façon si savante que notre science en est déconcertée ? Quand nous voyons un mouvement résulter d'un agencement mécanique, comme c'est le cas pour la sphère de Posidonius, pour une horloge et bien d'autres machines, hésitons-nous à croire que c'est l'effet d'un travail de la raison ? Et devant le ciel emporté, avec une vitesse qui confond, dans son mouvement rotatoire, devant les retours périodiques propres à garantir le salut et la conservation de tous les êtres, nous mettrions en doute l'intervention, je ne dis pas seulement d'une raison, mais d'une raison supérieure et divine ? Il est licite au point où nous en sommes de renoncer aux façons rigoureuses d'argumenter propres aux philosophes, il suffit d'ouvrir les yeux à la beauté de l'ensemble que nous disons être l'œuvre d'une providence divine."

 

Cicéron, De la nature des dieux, 45 av. J.-C., Livre II, § 34, tr. fr. Charles Appuhn, Classiques Garnier, 1935, p. 195-197.


 

  "Zénon donc définit la nature en disant qu'elle est un feu artiste procédant avec méthode à la génération des êtres. Il pense, en effet, que le propre de l'art est de créer et d'engendrer : ce que fait la main humaine dans les travaux qu'exécutent nos artisans et nos artistes, la nature l'opère avec un art de beaucoup supérieur ; elle est, comme je viens de le dire, un feu artiste, un maître ès arts. Et il faut l'entendre en ce sens que toute force naturelle est artiste parce qu'elle a sa voie, sa méthode et la suit exactement. À l'égard du monde lui-même, qui comprend dans son unité tout ce qui existe, la nature n'est pas seulement artiste elle est, dit Zénon, architecte ; elle calcule tout, pourvoit à tous les besoins, dispose toutes choses opportunément. Et de même que les autres êtres ont leurs semences propres d'où ils sortent pour se développer, la nature génératrice du monde a ses mouvements volontaires, ses tendances, ses appétitions que les Grecs appellent hormai et elle agit conformément aux forces directrices qui sont en elle tout comme nous nous laissons diriger par nos âmes et nos sentiments. Telle étant l'âme du monde que, pour cette raison, l'on peut appeler justement science de l'utile et providence pronoia, elle met principalement son soin, sa sollicitude à faire que le monde soit le plus capable qu'il se puisse de subsister, puis que tous ses besoins soient satisfaits, par-dessus tout qu'il y ait en lui une beauté supérieure et qu'il atteigne à la perfection."

 

Cicéron, De la nature des dieux, 45 av. J.-C., Livre II, XXII, tr. fr. Charles Appuhn, Classiques Garnier, p. 161-163.

 

  "Donc Zénon définit la nature : « un feu artiste, procédant par méthode à la génération ». Il pense que le propre de l'art est avant tout de créer et d'engendrer ; et ce que fait la main humaine dans les ouvrages de nos arts, la nature le fait avec beaucoup plus d'art encore, la nature, c'est-à-dire, comme je l'ai dit, un feu artiste maître des autres arts ; et de cette manière, toute nature est artiste en ce sens qu'elle a une route et des principes qu'elle suit. Mais la nature du monde lui-même, qui maintient et contient toutes choses en les embrassant, n'est pas seulement faite avec art, elle est elle-même, comme le dit aussi Zénon, un artiste qui veille et pourvoit à l'utilité et à l'avantage de toute chose. Et de même que toutes les autres natures sont engendrées, agrandies et soutenues chacune par leurs semences propres, de même la nature du monde possède les mouvements de la volonté, les tendances, les inclinations, que les Grecs appellent hormai, et y fait correspondre ses actes à la manière dont nous sommes nous-mêmes mus par nos âmes et par nos sens. Puisque donc telle est l'âme du monde, puisque, pour cette raison, on peut l'appeler à bon droit sagesse ou providence (on dit en grec pronoia), ce à quoi elle pourvoit de préférence, ce qui l'occupe avant tout, c'est d'abord que le monde soit le mieux fait possible pour durer, ensuite qu'il ne manque de rien et surtout qu'il ait en lui une beauté éminente et toutes les parures."

 

Cicéron, De la nature des dieux, 45 av. J.-C., Livre II, XI, in É. Bréhier, Les Stoïciens, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1962, p. 429.



  "Car encore que ce soit une pensée pieuse et bonne en ce qui regarde les mœurs, de croire que Dieu a fait toutes choses pour nous afin que cela nous excite d’autant plus à l’aimer et lui rendre grâces de tant de bienfaits, encore aussi qu’elle soit vraie en quelque sens à cause qu’il n’y a rien de créé dont nous ne puissions tirer quelque usage quand ce ne serait que celui d’exercer notre esprit en le considérant, et d’être incités à louer Dieu par son moyen : Il n’est toutefois aucunement vraisemblable que toutes choses ayant été faites pour nous en telle façon que Dieu n’ait eu aucune autre fin en les créant, et ce serait ce me semble être impertinent de se vouloir servir de cette opinion pour appuyer des raisonnements de Physique ; car nous ne saurions douter qu’il n’y ait une infinité de choses qui sont maintenant dans le monde, ou bien qui y ont été autrefois et ont déjà entièrement cessé d’être, sans qu’aucun homme les ait jamais vues ou connues, et sans qu’elles lui aient jamais servi à aucun usage."

 

René Descartes, Principes de la philosophie, 1644, III, § 3.



  "« Homme, prends patience », me disent Pope et Leibniz. « Tes maux sont un effet nécessaire de ta nature, et de la constitution de cet univers. [...] S'il (l'Être éternel) n'a pas mieux fait, c'est qu'il ne pouvait mieux faire. »
Que me dit maintenant votre poème[1] ? « Souffre à jamais, malheureux. S'il est un Dieu qui t'ait créé, sans doute il est tout-puissant ; il pouvait prévenir tous tes maux : n'espère donc jamais qu'ils finissent ; car on ne saurait voir pourquoi tu existes, si ce n'est pour souffrir et mourir. » Je ne sais ce qu'une pareille doctrine peut avoir de plus consolant que l'optimisme et que la fatalité. [...]
  Je ne vois pas qu'on puisse chercher la source du mal moral ailleurs que dans l'homme libre, perfectionné, partant corrompu ; et, quant aux maux physiques [...], ils sont inévitables dans tout système dont l'homme fait partie ; [...] la plupart de nos maux physiques sont encore notre ouvrage. Sans quitter votre sujet de Lisbonne, convenez, par exemple, que, si la nature n'avait point rassemblé là vingt mille maisons de six à sept étages, et que si les habitants de cette grande ville eussent été dispersés plus également, et plus légèrement logés, le dégât eût été beaucoup moindre, et peut-être nul. [...] Combien de malheureux ont péri dans ce désastre, pour vouloir prendre l'un ses habits, l'autre ses papiers, l'autre son argent ? [...]

  Pour revenir, Monsieur, au système que vous attaquez, je crois qu'on ne peut l'examiner convenablement, sans distinguer avec soin le mal particulier, dont aucun philosophe n'a jamais nié l'existence, du mal général que nie l'optimiste. Il n'est pas question de savoir si chacun de nous souffre, ou non ; mais s'il était bon que l'univers fût, et si nos maux étaient inévitables dans la constitution de l'univers [...], et au lieu de Tout est bien, il vaudrait peut-être mieux dire : Le tout est bien, ou Tout est bien pour le tout. Alors il est très évident qu'aucun homme ne saurait donner des preuves directes ni pour ni contre. [...] Si je ramène ces questions diverses à leur principe commun, il me semble qu'elles se rapportent toutes à celle de l'existence de Dieu. Si Dieu existe, il est parfait ; s'il est parfait, il est sage, puissant et juste ; s'il est juste et puissant, mon âme est immortelle ; si mon âme est immortelle, trente ans de vie ne sont rien pour moi, et sont peut-être nécessaires au maintien de l'univers. Si l'on m'accorde la première proposition, jamais on n'ébranlera les suivantes ; si on la nie, il ne faut point disputer sur ses conséquences. [...] Toutes les subtilités de la métaphysique ne me feront pas douter un moment de l'immortalité de l'âme, et d'une Providence bienfaisante."

 

Jean-Jacques Rousseau, Lettre sur la Providence, 18 août 1756.


[1] Rousseau s'adresse ici à Voltaire, auteur du Poème sur le désastre de Lisbonne.



  "Notre proposition : la Raison gouverne et a gouverné le monde, peut [...] s'énoncer sous une forme religieuse et signifier que la Providence divine domine le monde. J'aurais pu m'abstenir d'y faire allusion pour éviter de mentionner la question de la possibilité de connaître Dieu. Je ne l'ai pas fait, en partie pour montrer que tes deux thèmes sont intimement liés, en partie pour défendre la philosophie qui, soupçonnée de mauvaise conscience à l'égard des vérités religieuses, les éviterait et redouterait de les mentionner. Bien au contraire, on en est arrivé de nos jours à une situation où la philosophie doit défendre l'élément religieux contre une certaine forme de théologie.
  On entend souvent dire qu'il est présomptueux de vouloir connaître le plan de la Providence. C'est là une conséquence de l'opinion, devenue aujourd'hui un axiome, selon laquelle il est impossible de connaître Dieu. Lorsque la théologie elle-même en doute, il faut se réfugier dans la philosophie si l'on veut connaître Dieu. On pense que la Raison fait preuve d'outrecuidance lorsqu'elle se propose de connaître quelque chose. Je disais plutôt que la véritable humilité consiste à vouloir connaître et honorer Dieu en toutes choses, et en premier lieu dans l'histoire. La tradition nous dit qu'il faut reconnaître Dieu dans la nature. En effet, un temps ce fut la mode d'admirer la sagesse divine dans les bêtes et les plantes. On a l'air de connaître Dieu lorsqu'on est saisi d'admiration devant certaines productions de la nature ou certaines destinées humaines. Si l'on admet que la Providence se révèle dans ces objets et ces matières, pourquoi pas aussi dans l'histoire universelle ? Cette matière paraît-elle trop vaste ?

  On croit ordinairement que la Providence est efficace uniquement dans les petites choses à la manière d'un homme riche qui distribue ses aumônes aux pauvres et les tient sous son pouvoir. Mais il est faux de croire que la matière de l'histoire universelle est trop vaste pour la Providence. La Sagesse divine est la même dans les grandes choses et dans les petites. Elle est égale dans les plantes et les insectes aussi bien que dans les destins des peuples et des empires et nous ne devons pas considérer Dieu comme trop faible pour employer sa sagesse aux grandes choses. Si, en disant que la Sagesse divine ne s'exerce pas partout, on croit faire preuve d'humilité, celle-ci concerne non la Sagesse de Dieu, mais la matière où elle s'exerce. En outre, la nature occupe un rang inférieur par rapport à l'histoire. La nature est l'existence inconsciente de l'Idée divine ; c'est seulement dans le domaine de l'Esprit que l'Idée se manifeste dans son propre élément et devient connaissable. Armés de ce concept de la Raison, nous devons aborder sans crainte n'importe quelle matière."

 

Hegel, La Raison dans l'histoire, 1830, trad. K. Papaioannou, 10/18, 1988, p. 60-62.


  "Maintenant, en ce qui concerne le vrai Idéal, c'est-à-dire l'idée de la Raison, l'idée à laquelle la philosophie doit aboutir, c'est que le monde réel est tel qu'il doit être ; que la Volonté de la Raison, le Bien, tel qu'il est concrètement, est réellement la plus grande puissance : la puissance absolue qui se réalise. Le vrai Bien, la Raison divine universelle, est aussi la puis­sance capable de se réaliser. La représentation la plus concrète de ce Bien, de cette Raison, est Dieu. Ce Bien, non pas en tant que pensée générale, mais comme force efficace, est ce que nous appelons Dieu. La perspective philosophique veut qu'aucune force ne puisse s'élever au-dessus de la Puissance du Bien, de Dieu ; qu'aucune force ne puisse lui faire obstacle ou s'affirmer indépendante ; que Dieu possède un droit souverain ; que l'histoire ne soit rien d'autre que le Plan de sa Providence. Dieu gouverne le monde ; le contenu de son gouvernement, l'accom­plissement de son plan est l'histoire universelle. Saisir ce plan, voilà la tâche de la philosophie de l'histoire, et celle-ci présuppose que l'Idéal se réalise, que seul ce qui est conforme à l'Idée est réel. À la pure lumière de cette Idée divine, laquelle n'est pas un simple idéal, s'évanouit l'apparence que le monde est un devenir insensé. La philosophie veut connaître le contenu, la réalité de l'idée divine et justifier la réalité méprisée. Car la Raison est l'intellection de l'œuvre divine."

 

Hegel, La Raison dans l'histoire, 1830, trad. K. Papaioannou, Chap. II, 1, coll. 10/18, p. 100.

 

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Date de création : 22/11/2022 @ 10:20
Dernière modification : 06/02/2023 @ 10:06
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