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Hors des sentiers battus
La violence comme moyen (la violence instrumentale ou rationnelle)

  "La violence, instrumentale par sa nature même, est rationnelle dans la mesure où elle atteint le but qu'elle s'était fixé et qui doit la justifier. Or, du fait que nous ne pouvons jamais prévoir avec certitude les conséquences finales de nos actes, la violence ne saurait être rationnelle que si elle se fixe des objectifs à très court terme. La violence est incapable de soutenir des causes, de conduire la marche de l'histoire, de promouvoir la révolution, de défendre le progrès ou la réaction ; mais par la dramatisation des griefs, elle sollicité très vivement l'attention du public. Ainsi que le faisait remarquer, au « Théâtre des idées », à l'occasion d'un débat sur la légitimité de la violence, Conor Cruise O'Brien […] « il peut arriver que la violence soit l'unique moyen de faire entendre la voix de la modération ». Exiger l'impossible afin de pouvoir obtenir le possible s'avère parfois rentable. En fait, la violence, à l'encontre de ce dont ses prophètes s'efforcent de nous persuader, est beaucoup plus l'arme des réformes que celle de la révolution. Le système d'enseignement périmé qui existait en France n'aurait pas été modifié par une loi, la plus novatrice depuis Napoléon, s'il n'y avait pas eu la révolte étudiante de mai 1968 ; l'administration de l'Université Columbia n'aurait jamais accepté de procéder à des réformes si des manifestations violentes n'avaient pas eu lieu au cours du printemps 1968 ; et nous n'avons aucune raison de mettre en doute le fait qu'en Allemagne, « on ne remarque même pas l'existence des minorités dissidentes si elles n'ont pas recours à des actes de provocation ». Sans aucun doute, « la violente est payante », mais il est fâcheux qu'elle puisse tout aussi bien conduire à l'organisation de cours destinés uniquement aux Noirs et à celle de cours de swahili qu'à des réformes véritables. Du fait même que les tactiques de choc et de violence ne peuvent guère se fixer que des objectifs à court terme, les pouvoirs établis céderont plus facilement à des demandes déraisonnables, et nocives à l'évidence comme on a pu le constater récemment aux États-Unis, pourvu qu'il soit relativement aisé de procéder à ces « réformes » – telle que l'admission dans les universités d'étudiants non pourvus des qualifications nécessaires et la création de disciplines sans objet – alors que la violence s'avérera inefficace dans le cas de la poursuite d'objectifs à plus long terme ou dans celui d'une demande de modification des structures. En outre, lors même que la violence se propose simplement d'atteindre des objectifs à court terme dans le cadre d'une idéologie non extrémiste, le danger n'en demeure pas moins que les moyens prennent le pas sur la fin. Si les objectifs ne sont pas rapidement atteints, les conséquences n'en seront pas seulement la défaite du mouvement, mais l'introduction de la pratique de la violence dans l'ensemble du corps politique. Les actes irréversibles, et, en cas d'échec, le retour au statu quo est toujours improbable. Comme n'importe quelle action, la pratique de la violence peut changer le monde, mais il est infiniment probable que ce changement nous conduise vers un monde plus violent."

 

Hannah Arendt, "Sur la violence", 1971, in Du mensonge à la violence, tr. Fr. Guy Durand, Pocket, 1994, p. 179-181.


 

  "La violence est instrumentale tant qu'elle est un moyen pour parvenir à une fin. C'est alors la fin qui la dirige et justifie son emploi. C'est la fin qui canalise les activités, prescrit la direction et le terme, délimite l'emploi et son ampleur. Quelqu'un poursuit un intérêt, se heurte à une résistance et, quand d'autres moyens échouent, il recourt à la violence. Elle trouve son fondement dans le rapport qu'elle entretient avec la fin. Une fois le but atteint et l'adversaire maté, toute violence supplémentaire est absurde. Jusque-là, nous sommes habitués à comprendre. L'énigme commence quand le rapport s'inverse, quand la rationalité elle-même est au service de la violence, quand l'intelligence n'est plus que l'instrument de son accroissement. Devant toutes les formes de violence qui ont leur fin en elles-mêmes, le savoir, l'expérience, la technologie ne sont là que pour maintenir en mouvement le processus de la violence. Le lien avec des fins externes a sauté. La violence est dès lors sans fondement et absolue. Elle n'est rien qu'elle-même. La violence absolue n'a pas besoin de justification. Elle ne serait pas absolue si elle était liée à des raisons. Elle ne vise que la poursuite et l'accroissement d'elle-même. Elle a bien une direction, mais elle n'est pas soumise à une fin qui lui fixerait un terme. Elle a jeté par-dessus bord le lest des fins, elle a réduit la rationalité en esclavage. Elle n'obéit plus désormais aux lois du faire, de la poiésis. Elle est pure praxis : la violence pour la violence. Elle ne veut rien obtenir. Ce qui compte est l'action elle-même. Dans la mesure où la violence se libère de toutes considérations et devient tout entière elle-même, elle se métamorphose en cruauté. L'inversion et la suppression des structures finales révèlent les limites du modèle rationnel. Si l'on en reste à cette dernière conception, on obtient de la violence réelle une image tout à fait unilatérale. Le fait que beaucoup d'actes soient perpétrés avec préméditation n'implique nullement qu'ils aient un but quelconque. Certes, de loin, on arrive toujours à leur attribuer quelque fonction ou finalité. Mais cela n'a fréquemment pas grand chose à voir avec ce qui gouverne réellement les actes en question. Comme s'il fallait qu'il existe, pour tout comportement humain, une raison suffisante, un sens téléologique transcendant les simples actes. La violence absolue se suffit à elle-même. Aussi la conception instrumentale de la violence rate-t-elle dès le départ ce seuil où la violence tourne à la cruauté, et ne saurait voir tous les processus qui ne sont pas commandés par des calculs, pour la bonne raison que ce sont eux qui commandent tout calcul."

 

Wolfgang Sofsky, Traité de la violence, 1996, tr.fr. Bernard Lortholary, Gallimard Tel, 1998, p. 51-52.
 

 

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Date de création : 11/01/2024 @ 17:33
Dernière modification : 01/02/2024 @ 13:32
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