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Hors des sentiers battus
Violence et sentiment d'insécurité

  "Loin d'être un concept opératoire, ce qu'on appelle « sentiment d'insécurité » est une notion mal définie, aux évocations multiples, qui ressortissent plus ou moins de la psychanalyse. Le besoin de sécurité est fondamental, écrit Jean Delumeau, historien de la peur. Il est à la base de l'affectivité et de la morale humaines, L'insécurité est symbole de mort et la sécurité symbole de vie », Rien de plus profond et de plus subjectif que le sentiment d'insécurité qui alimente aussi bien de la peur de l'agression, de l'exaspération contre les contraintes urbaines (ou administratives) que, plus fondamen­talement, d'une crainte de l'avenir ou d'une angoisse existentielle diffuse, Rien donc de plus versatile et de plus malléable : c'est au lendemain de grandes campagnes de presse sur des crimes particulièrement odieux qu'il se réveille, mais il n'est que très rarement en relation directe avec la violence vécue par soi-même, ou ses proches ; en réalité, son lien avec la violence objective est des plus ténus : divers sondages d'opinion ont montré que « la violence est ressentie comme indirecte et lointaine ».
  Si l'on admet, pour simplifier, que l'opinion publique sondée sur cette question, conçoive la notion de « sentiment d'insécurité » dans son acception la plus étroite, celle que retient le policier ou le magistrat, alors comment rendre compte d'une apparente montée de ce sentiment d'insécurité ? Plusieurs facteurs peuvent y contribuer :
 
- L'augmentation de la délinquance, phénomène par nature inflationniste, dès lors qu'une société s'enrichit, diversifie ses échanges et multiplie ses règlements. Mais, dans cette aggravation de la délinquance, tout est affaire de pondération et les indices habituels sont trompeurs. De plus en plus fréquents, les cambriolages et les vols de voiture, en particulier sont très mal vécus par les victimes ; perçues comme une atteinte à l'intimité personnelle, ces infractions sont parmi les plus génératrices d'insécurité.
 
- L'intrusion croissante des médias dans la sphère intime des individus, et notamment de la télévision, dont l'incidence est importante sur les personnes âgées, retraitées, plus fragiles, souvent isolées. Or, les « informations sont une sélection » d'événements où, par leur caractère attractif et accessible, nouvelles sanglantes occupent une place démesurée et se font soudain très proches par le petit écran. Des attentats comme ceux perpétrés contre les présidents Reagan et Sadate ou contre le pape Jean-Paul II, ont fait pleurer dans les chaumières les plus obscures et ont contribué à accréditer l'idée d'insécurité, même si, comme tout acte terroriste, ils ne visent que les personnalités internationales les plus en vue. L'information crée l'événement.
 
- L'aménagement de dispositifs de sécurité dans tous les domaines de la vie quotidienne (Sécurité sociale, assurance-chômage, assurance-vie, etc.) a pour résultat de créer nouveaux réflexes de demande de sécurité. La sécurité physique est considérée comme un droit ; elle est l'objet d'une soif croissante au fur et à mesure que les autres aléas de l'existence sont couverts. Cette demande de sécurité est particulièrement forte dans les classes moyennes non salariées politiquement influentes, dont la position sociale ne cesse de se marginaliser et dont la morale, fondée sur l'éthique du travail et de l'épargne, est plus sévère que celle des couches salariées.
 
- Les progrès de l'esprit démocratique qui, au fil des décennies, se sont traduits par une plus grande ressemblance des conditions sociales des individus et un attachement grandissant à la liberté. Avec l'évolution générale des mœurs et des techniques médicales (anesthésie, contrôle de la souf­france), les sensibilités se sont affinées ; le seuil de tolérance à la violence s'est considérablement abaissé. Une conscience de la violence est ainsi née, fondée sur le principe de réciprocité : on ne fait pas à autrui (puisqu'il est semblable) ce qu'on ne se fait pas à soi-même.
 
- La diminution même de la violence qui, en augmentant la sécurité objective, diminue l'insécurité subjective, C'est le fameux paradoxe de Tocqueville : plus un phénomène désa­gréable diminue, plus ce qu'il en reste devient insupportable. C'est là, du reste, l'idée clef du débat sur la violence ; le piège dans lequel il faut à tout prix éviter de tomber est précisément d'assimiler la montée du sentiment global d'insécurité à une aggravation de la violence réelle, puisque les deux sont animés de mouvements antagonistes."

 

Jean-Claude Chesnais, Histoire de la violence en Occident de 1800 à nos jours, 1981, Préface, Hachette Pluriel, 1982, p. 16-18.


 

  "[Il faut] rappeler ce que, du reste, depuis Tocqueville, l'on savait déjà : plus un phénomène désagréable diminue, plus ce qu'il en reste est perçu et vécu comme insupportable. Ainsi, toute diminution du niveau de violence s'accompagne d'une sensibilité accrue à la violence, donc d'une aggravation du sentiment d'insécurité. Dès lors, interpréter la poussée du sentiment d'insécurité en termes d'accroissement de la violence objective est non seu­lement illusoire, mais mystificateur. Une grande partie des conduites violentes ou irrégulières supportées dans une société traditionnelle, indépendante et fermée, n'est plus tolérée dans me société interdépendante, formalisée et ouverte : le droit de réponse direct à l'injustice n'est plus accepté, les conflits sont médiatisés. La migration vers les villes a, en réalité, produit un type d'homme plus socialisé, plus scrupuleux, plus cour­tois, plus raffiné, plus sensible. Les premières polices furent urbaines, Dès le XIXe siècle, le citadin a été conditionné à exiger aide et protection des autorités publiques, donc à discuter, et à transiger…"

 

Jean-Claude Chesnais, Histoire de la violence en Occident de 1800 à nos jours, 1981, 3e partie, chapitre XVIII, Hachette Pluriel, 1982, p. 436.
 

 

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Date de création : 23/01/2024 @ 12:13
Dernière modification : 23/01/2024 @ 14:47
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