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Benjamin Franklin
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Hors des sentiers battus
La quête d'unité ; la dimension synthétique du progrès scientifique

  "Dans l'histoire du développement de la physique, on distingue deux tendances inverses. D'une part, on découvre à chaque instant des liens nouveaux entre des objets qui semblaient devoir rester à jamais séparés ; les faits épars cessent d'être étrangers les uns aux autres ; ils tendent à s'ordonner en une imposante synthèse. La science marche vers l'unité et la simplicité.
  D'autre part, l'observation nous révèle tous les jours des phénomènes nouveaux ; il faut qu'ils attendent longtemps leur place et quelquefois, pour leur en faire une, on doit démolir un coin de l'édifice. Dans les phénomènes connus eux-mêmes, où nos sens grossiers nous montraient l'uniformité, nous apercevons des détails de jour en jour plus variés ; ce que nous croyions simple redevient complexe et la science paraît marcher vers la variété et la complication.

  De ces deux tendances inverses, qui semblent triompher tour à tour, laquelle l'emportera ? Si c'est la première, la science est possible ; mais rien ne le prouve a priori, et l'on peut craindre qu'après avoir fait de vains efforts pour plier la nature malgré elle à notre idéal d'unité, débordés par le flot toujours montant de nos nouvelles richesses, nous ne devions renoncer à les classer, abandonner notre idéal, et réduire la science à l'enregistrement d'innombrables recettes."

 

Henri Poincaré, La Science et l'hypothèse, 1902, Champs Flammarion, 1989, p. 183.


 

  "Pour l'esprit préscientifique, l'unité est un principe toujours désiré, toujours réalisé à bon marché. Il n'y faut qu'une majuscule. Les diverses activités naturelles deviennent ainsi des manifestations variées d'une seule et même Nature. On ne peut concevoir que l'expérience se contredise ou même qu'elle se compartimente. Ce qui est vrai du grand doit être vrai du petit et vice-versa. À la moindre dualité, on soupçonne une erreur. Ce besoin d'unité pose une foule de faux problèmes.
  On pourrait d'ailleurs écrire tout un livre en étudiant les œuvres, encore nombreuses au XVIIIe siècle, où la Physique est associée à une Théologie, où la Genèse est considérée comme une Cosmogonie scientifique, où l'Histoire du Ciel est considérée « selon les idées des Poètes, des Philosophes et de Moïse ». Des livres comme celui de l'abbé Pluche, qui travaille sous cette inspiration, sont, au XVIIIe siècle, entre toutes les mains. Ils connaissent des rééditions jusqu'à la fin du siècle.

  Sans nous étendre sur l'imprudence de telles pensées, essayons, d'un mot, de caractériser l'état d'âme de leurs auteurs. Ils ont à peine avancé une de ces hypothèses d'unification grandiose qu'ils font acte d'humilité intellectuelle, rappelant que les desseins de Dieu sont cachés. Mais cette humilité, qui s'exprime d'une manière si diserte et si tardive, voile mal une immodestie primitive. On retrouve toujours un orgueil à la base d'un savoir qui s'affirme général en dépassant l'expérience, en sortant du domaine d'expériences où il pourrait subir la contradiction."

 

Gaston Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, 1938, Vrin, 1970, p. 86-87.



  "Dans le premier tiers du XXe siècle, le fossé séparant les généticiens expérimentalistes des naturalistes semblait si profond, qu'il paraissait impossible de jamais pouvoir le combler. Le biologiste allemand Buddenbrock dit en 1930 : « La controverse […] est aussi insoluble aujourd'hui qu'elle l'était il y a soixante-dix ans […]. Aucun des camps n'a été capable de réfuter les arguments de ses opposants, et l'on doit supposer que cette situation n'est pas appelée de sitôt à changer. » Les membres des deux factions continuèrent à parler des langages différents, à poser des questions différentes, à adhérer à des conceptions différentes, comme il ressort de la littérature de l'époque.
  Comment débloquer cette situation ? Comment chacun des deux camps aurait-il admis que certaines de ses suppositions étaient erronées, ou encore – particulièrement dans le cas des expérimentalistes – que son cadre explicatif omettait d'importantes composantes ? Deux conditions devaient être remplies avant que les deux groupes puissent se rejoindre : 1) une nouvelle génération de généticiens devait s'intéresser à l'étude de la diversité et aux aspects populationnels ; 2) les naturalistes devaient reconnaître que l'interprétation génétique de cette seconde génération n'était plus opposée au gradualisme de la sélection naturelle.

  Lorsque ce stade fut atteint, la rencontre des esprits se fit complètement, en douze ans, de 1936 à 1947. Durant ces années, les biologistes appartenant aux disciplines les plus diverses, et provenant de tous les pays, acceptèrent deux conclusions majeures : 1) l'évolution est graduelle, elle s'explique en termes de petits changements génétiques et de recombinaisons, de mise en ordre de cette variation génétique par la sélection naturelle ; 2) en introduisant le concept de population, en introduisant les espèces comme des agrégats de populations reproductivement isolées, et en analysant l'effet des facteurs écologiques (occupation de niches, concurrence, radiation adaptative) sur la diversité et l'apparition des taxa supérieurs, on explique tous les phénomènes évolutifs d'une manière compatible avec les mécanismes génétiques connus et avec les données d'observation des naturalistes. Julian Huxley (1942) baptisa ce consensus synthèse évolutionniste. Il fallait pour cela que les naturalistes renoncent à croire en l'hérédité « flexible », et que les expérimentalistes abandonnent leurs conceptions typologiques pour accepter d'envisager la diversité dans leurs programmes de recherche. Dès lors, le concept de pression de mutation déclina, et à l'inverse, on observa les pouvoirs de la sélection naturelle associée à la variation génétique dans les populations naturelles.
  Tout ceci, pendant que l'on réalisait la synthèse ; cela ne nous dit pas comment elle a pu se produire. Il est maintenant admis que la réconciliation entre les deux camps fut l'œuvre d'une poignée d'évolutionnistes capables de jeter des ponts entre différentes disciplines et de mettre fin aux incompréhensions réciproques. […]
  La synthèse évolutionniste mit fin une fois pour toutes à de nombreuses controverses anciennes, et ouvrit la voie à la discussion de problèmes nouveaux. Ce fut manifestement un événement décisif dans l'histoire de la biologie évolutionniste, le plus important depuis la publication de l'Origine des espèces en 1859. Cependant, les historiens et les philosophes des sciences s'interrogèrent : comment la réalisation de la synthèse s'intègre-t-elle dans la théorie généralement acceptée du progrès scientifique ? Il ne s'agissait pas d'une révolution, puisque ce n'était que la phase de maturation de la théorie de Darwin. Mais méritait-elle l'épithète de « synthèse » ? À cela je réponds oui, catégoriquement.
  J'ai décrit ci-dessus les préoccupations et les modes de pensée radicalement différents des deux camps évolutionnistes, les généticiens expérimentalistes, et les naturalistes s'occupant des populations. Ils représentaient réellement deux « traditions de recherche » différentes, comme l'a dit Laudan (1977). Cet auteur a observé qu' « il y a des moments où deux ou plusieurs traditions de recherche, loin de se contredire réciproquement, peuvent s'amalgamer, engendrant une synthèse qui représente un progrès par rapport à chacune d'entre elles ». Ce qui s'est produit en biologie de 1936 à 1947, c'était précisément une synthèse entre deux traditions de recherche auparavant incapables de communiquer. Il n'y eut pas de victoire d'un paradigme sur l'autre, comme le voudrait la théorie des révolutions scientifiques de Kuhn ; mais bien plutôt une mise en commun des composantes les plus solides des deux traditions."

 

Enrst Mayr, Histoire de la biologie, 1982, tr. fr. Marcel Blanc, Le Livre de poche, 1995, p. 747-748 et p. 751-752.

 

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Date de création : 16/04/2024 @ 13:13
Dernière modification : 26/04/2024 @ 08:18
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