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Texte à méditer :  Une vie sans examen ne mérite pas d'être vécue.  Socrate
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Hors des sentiers battus
La loi du Talion

  "Mais quel est le mode et quel est le degré du châtiment que la justice publique doit adopter comme principe et mesure ? Il n'en est point d'autre que le principe de l'égalité (figuré par la position de l'aiguille dans la balance de la justice), et qui consiste à ne pas se pencher d'un côté plutôt que de l'autre. Ainsi : le mal immérité que tu infliges à un autre dans le peuple, tu le fais à toi-même. Si tu l'outrages, c'est toi-même que tu outrages ; si tu le voles, tu te voles toi-même ; si tu le frappes, tu te frappes toi-même ; si tu le tues, tu te tues toi-même. Seule la loi du talion (ius talionis), mais bien entendu à la barre du tribunal (et non dans un jugement privé), peut fournir avec précision la qualité et la quantité de la peine ; toutes les autres sont chancelantes et ne peuvent, en raison des considérations étrangères qui s'y mêlent, s'accorder avec la sentence de la pure et stricte justice. – Certes, il semble que la différence des conditions (sociales) ne permette pas l'application du principe du talion : d'égal à égal ; mais s'il ne peut être possible à la lettre, il demeure toujours valable selon l'effet, relativement à la manière de sentir de ceux qui sont les plus privilégiés. – Ainsi, par exemple, une amende infligée pour une injure verbale n'a de fait aucun rapport à l'offense, car celui qui a beaucoup d'argent peut bien se permettre ceci parfois à titre de plaisir ; mais l'atteinte portée à l'honneur de l'un pourrait cependant être égalée par la blessure de l'orgueil de l'autre si ce dernier, par un jugement et par le droit, n'était pas seulement contraint de présenter des excuses publiquement, mais encore, par exemple, à baiser la main du premier, bien qu'il soit d'un rang inférieur."

 

Emmanuel Kant, Métaphysique des mœurs, 1797, "Doctrine du droit", tr. fr. Alexis Philonenko, Vrin, 1971, p. 215.


 

  "Il est très facile de montrer l'absurdité de la peine comme talion (ainsi vol pour vol, brigandage pour brigandage, œil pour œil, dent pour dent, qui nous représentent le criminel borgne et édenté), mais le concept n'a rien à voir avec cela, seule l'idée de cette égalité spécifique est responsable de ces images. La valeur, comme l'équivalence interne de choses qui dans leur existence externe sont spécifiquement très différentes, est une notion qui apparaît déjà dans les contrats, ainsi que dans l'action civile contre le crime, et par elle la représentation passe de la caractéristique immédiate de la chose à l'universel. Dans le crime, où le caractère indéfini de l'action est une détermination fondamentale, les distinctions spécifiques extérieures sont d'autant plus effacées, et l'égalité ne peut plus être la règle que pour l'essence de ce que le criminel a mérité, mais non pour la forme extérieure de cette peine. Ce n'est qu'au point de vue de cette dernière que la punition du vol et du brigandage, peine pécuniaire ou de prison, sont inégales, mais quant à leur valeur, à leur propriété commune d'être des dommages, ils sont comparables. C'est alors, on l'a vu, l'affaire de l'intelligence de chercher l'approximation de l'égalité de valeur. Si l'on ne conçoit pas la connexion interne virtuelle du crime et de l'acte qui l'abolit, et que, par suite, on n'aperçoive pas l'idée de la valeur et de la comparabilité selon la valeur, on en arrive à ne voir dans une peine proprement dite que la liaison arbitraire d'un mal avec une action défendue."

 

Hegel, Principes de la philosophie du droit, 1821, extrait de l'Addition au § 101, tr. fr. André Kaan, Gallimard, 1940, p. 138.


 

  "La force et la violence sont d'autant plus menaçantes qu'elles s'appuient sur la passion spontanée de justice. Tel est le cas du sentiment de vengeance qui, même quand il se donne l'allure de la justice (œil pour œil, dent pour dent) est, dans sa logique, négation de la justice.
  Dans cette sphère de l'immédiateté du droit, la suppression du crime est sous sa forme punitive vengeance. Selon son contenu, la vengeance est juste, dans la mesure où elle est la loi du talion. Mais, selon sa forme, elle est l'action d'une volonté subjective, qui peut placer son infinité dans toute violation de son droit et qui, par suite, n'est juste que d'une manière contingente, de même que, pour autrui, elle n'est qu'une volonté particulière. Du fait même qu'elle est l'action positive d'une volonté particulière, la vengeance devient une nouvelle violation du droit : par cette contradiction, elle s'engage dans un processus qui se poursuit indéfiniment et se transmet de génération en génération, et cela, sans limite. [...]

    Addition : Le châtiment prend toujours la forme de la vengeance dans un état de la société, où n'existent encore ni juges ni lois. La vengeance reste insuffisante, car elle est l'action d'une volonté subjective et, de ce fait, n'est pas conforme à son contenu. Les personnes qui composent un tribunal sont certes encore des personnes, mais leur volonté est la volonté universelle de la loi, et elles ne veulent rien introduire dans la peine, qui ne soit pas dans la nature de la chose. Pour celui qui a été victime d'un crime ou d'un délit, par contre, la violation du droit n'apparaît pas dans ses limites quantitatives et qualitatives, mais elle apparaît comme une violation du droit en général. C'est pourquoi celui qui a été ainsi lésé peut être sans mesure quand il use de représailles, ce qui peut conduire à une nouvelle violation du droit. La vengeance est perpétuelle et sans fin chez les peuples non civilisés."

 

Hegel, Principes de la philosophie du Droit, 1821, § 102, trad. Dérathé, Vrin, p. 116.


 

 "Il n'y a pas de règle, [en matière de rapport entre délits et peines], qui se recommande plus fortement au sentiment primitif et spontané de la justice que la lex talionis : œil pour œil et dent pour dent. Quoique ce principe, qui appartient à la loi juive et à la loi mahométane, ait été généralement abandonné en Europe comme maxime pratique, je soupçonne que la plupart des esprits conservent pour lui une secrète passion et quand, accidentellement, le châtiment qui frappe un délinquant prend cette forme précise, la satisfaction générale qui se manifeste montre à quel point est naturel le sentiment qui nous fait bien accueillir ce dédommagement en nature. Pour beaucoup de gens, la justice parfaite en matière pénale exigerait que la punition fût proportionnée au délit ; c'est-à-dire qu'elle fût exactement à la mesure de la culpabilité morale du délinquant (quel que soit l'étalon qu'ils adoptent pour mesurer la culpabilité morale). D'après eux, la question de savoir quel degré de peine est nécessaire pour détourner du délit, n'a rien à voir avec la justice ; tandis que pour d'autres, cette considération est la seule qui compte. Ces derniers soutiennent qu'il n'est pas juste, du moins pour l'homme, d'infliger à un de ses semblables, quelles que puissent être ses fautes, une quantité de souffrance supérieure à celle qui serait juste suffisante pour l'empêcher de récidiver et pour détourner les autres d'imiter son inconduite."


John Stuart Mill, L'Utilitarisme, 1861, tr. fr. Georges Tannesse, Champs classiques, 1988, p. 144-145.



  "L'équilibre est donc une notion importante dans la théorie ancienne du droit et de la morale ; l'équilibre est la base de la justice. Si celle-ci énonce en des temps plus brutaux : « Œil pour œil, dent pour dent », c'est qu'elle suppose l'équilibre atteint et veut le maintenir par ces représailles : en sorte que, si maintenant l'un porte quelque tort à l'autre, celui-ci ne se venge plus avec un aveugle acharnement. L'équilibre des rapports de puissance perturbés est au contraire rétabli en vertu du jus talionis, car un œil, un bras de plus sont, dans des conditions aussi primitives, une parcelle de puissance, un poids de plus. – Au sein d'une communauté dans laquelle tous s'estiment de poids égal, il existe, contre les délits, c'est-à-dire contre les violations du principe d'équilibre, l'opprobre et le châtiment ; l'opprobre est un contrepoids mis dans le plateau contre l'individu coupable d'empiètement, qui s'est, par cet empiètement, procuré certains avantages, mais qui, en retour, subit maintenant du fait de l'opprobre un détriment qui contrebalance les avantages précédents et même l'emporte sur eux. Il en est de même pour le châtiment : il met dans la balance, contre la prépondérance que tout malfaiteur se promet, un contrepoids beaucoup plus grand, le cachot contre la violence, la restitution et l'amende contre le vol. On rappelle ainsi au criminel qu'il s'est, par son acte, exclu de la communauté et des avantages de sa morale : elle le traite comme un être inégal, un faible, qui se tient en dehors d'elle ; c'est pourquoi le châtiment n'est pas seulement un acte de représailles, il contient quelque chose de plus, quelque chose de la dureté de l'état de nature ; c'est à celui-ci, justement, qu'il veut faire penser".

 

Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain, II, Le voyageur et son ombre, 1878, tr. fr. Robert Rovini, Folio essais, 1999, p. 189-190.


 

  "Si quelqu'un fait périr une créature humaine, il sera mis à mort. S'il fait périr un animal, il le paiera corps pour corps. Et si quelqu'un fait une blessure à son prochain, comme il a agi lui-même, on agira à son égard fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent selon la lésion qu'il aura faite à autrui, ainsi lui sera-t-il fait. Qui tue un animal doit le payer et qui tue un homme doit mourir. Même législation vous régira, étrangers comme nationaux ; car je suis l'Éternel, votre Dieu à tous. »
  Sévères paroles. ! Combien éloignées de celles qui magnifient la non-résistance au mal. Vous y avez sans doute pensé à cette autre page des Écritures - le juste qui présente sa joue à celui qui frappe et qui se rassasie d'humiliations. Vous reconnaissez ce passage et vous vous rappelez les références. Il s'agit bien entendu des Lamentations de Jérémie, chapitre 3, verset 30. Un autre fragment de ce même, si ancien, Testament.

  Fracture pour fracture ! Sévères paroles mais nobles d'exigence. Dans leur rigueur, elles commandent de très haut. Admirons-en la fin, du moins, qui énonce l'unité du genre humain. Ce message d'universalisme n'a pas attendu pour retentir dans l'espace que l'industrie à l'échelle mondiale nous révèle ou nous impose la solidarité humaine. Une loi unique pour tous, voilà le principe que l'Ancien Testament, se moquant des redites, nous redit près de cinquante fois, dans les lignes pourtant si concises, si comptées, de son premier Rouleau. Comment supposer, dès lors, qu'une pensée qui, à l'époque des tribus et des clans, s'éleva à la vision de l'humanité, ait pu en rester à la loi du maquis ? Je voudrais vous montrer la sagesse qui s'exprime dans ces mots mystérieux et le drame auquel elle répond.
  Car il existe un drame de la justice qui s'humanise.
    Dent pour dent, œil pour œil [...]. Le principe d'apparence si cruel que la Bible énonce ici ne recherche que la justice. Il s'insère dans un ordre social où aucune sanction, si légère soit-elle, ne s'inflige en dehors d'une sentence juridique. Les rabbins n'ont jamais appliqué ni compris à la lettre ce texte. Ils l'ont interprété à la lumière de l'esprit qui parcourt la Bible dans sa totalité. On appelle cette méthode de comprendre : Talmud. Les docteurs de Talmud devancèrent les scrupules des Modernes : dent pour dent - est une peine d'argent, une amende. Le passage relatif aux dommages matériels que la Bible exige pour la perte du bétail ne voisine pas pour rien avec le précepte du talion. Il invite à relire les versets relatifs aux blessures faites à l'homme, comme si la question des dommages devait l'emporter chez le juge sur la noble colère que suscite le méfait. La violence appelle la violence. Mais il faut arrêter cette réaction en chaîne. La justice est ainsi. Telle est du moins sa mission une fois que le mal est commis. L'humanité naît dans l'homme à mesure qu'il sait réduire les offenses mortelles à des litiges d'ordre civil, à mesure que punir se ramène à réparer ce qui est réparable et à rééduquer le méchant. Il ne faut pas à l'homme une justice sans passion seulement. Il nous faut une justice sans bourreau."

 

Emmanuel Lévinas, Difficile liberté, 1963 et 1976, "La loi du Talion", Le Livre de Poche, 1984, p. 207-209.

 

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Date de création : 18/04/2024 @ 16:38
Dernière modification : 18/04/2024 @ 16:38
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