"Le processus énorme de la techno-marchandisation a pour corollaire la transformation des besoins. Les besoins de base sont noyés sous les autres. Notre mode de vie a éclaté en miettes, et chacun de ces miettes fait l'objet d'étude de marketing pour ajuster les besoins et les produits de la technique. Mais s'agit-il encore de besoins ? […]
Et parfois ces besoins apparaissent alors qu'ils étaient refoulés depuis longtemps ! À cela correspondent, par exemple, ces 15 000 couples français qui demandent une fécondation in vitro (au Centre autonome de Clamart) : besoin qui évidemment ne pouvait apparaître qu'à partir du moment où l'opération était possible : mais dès cet instant il y a explosion du désir ! Le consommateur pris dans cet engrenage de production d'objets→influence→production de besoin→production de besoins secondaires, ne cesse d'être à la recherche de nouveaux objets. Il en redemande : il se précipite vers toute nouveauté qui répondra peut-être à un désir ! Mais il y a plus complexe : comme le cadre de vie lui-même est constamment modifié, les besoins par retour sont aussi constamment modifiés. Pour vivre dans cette société, il faut supporter des contraintes, ces contraintes créent à leur tour des besoins, mais les produits destinés à répondre à ces besoins créent à leur tour de nouvelles contraintes. On est bien obligés absolument, de consommer de l'auto et de la télévision. La télévision pour remplacer l'absence de culture collective créée par un groupe vivant. L'auto pour fuir la ville et consommer de l'autoroute en croyant que c'est la campagne".
Jacques Ellul, Le Bluff technologique, 1988, Hachette, Pluriel, 2012, p. 473-474.
"La frontière sacro-sainte entre les besoins « véritables » ou légitimes et les pseudo-besoins « faux » ou répréhensibles (c'est-à-dire, besoins de choses dont on pourrait bien se passer, sauf par orgueil et désir morbide de lucre, de luxure et d'ostentation) n'a absolument pas été effacée. Tous les besoins, les actuels, ceux que nous connaissons, et les futurs, ceux que nous ne pouvons même pas imaginer, sont véritables, et les inimaginables pas moins que ceux que nous ressentons en ce moment.
Les « besoins » augmentent, renforcés par des occasions de consommation. Les « besoins » sont des désirs provoqués par l'exposition à ces occasions. Le devoir auto-proclamé de la publicité à informer les consommateurs potentiels des nouveaux produits qu'ils n'auraient pas désirés auparavant puisqu'ils ne savaient pas qu'ils existaient ; produits qu'ils ne désireraient pas maintenant si on ne les tentait pas ni ne les séduisait. La majeure partie des sommes allouées aux budgets publicitaires passe dans l'information sur des produits promettant de satisfaire des besoins que les consommateurs autrement n'auraient pas conscience d'éprouver. La publicité a pour but de créer de nouveaux désirs et de modifier et réorienter les désirs existants ; or l'effet sommaire de l'exposition à la publicité n'est jamais de permettre à ces désirs – désirs de choses non encore possédées et de sensations non encore vécues – de s'adoucir et de s'apaiser."
Zygmunt Bauman, La Société assiégée, 2002, IV, tr. fr Christophe Rosson, Hachette Littératures, coll. Pluriel, p. 203-204.
Retour au menu sur le désir