"LIBERTÉ [liberty], ou FRANCHISE [freedom], signifie (proprement) l'absence d'opposition (par opposition, j'entends les obstacles extérieurs au mouvement) et le mot ne peut pas moins être appliqué aux créatures privées de raison et inanimées qu'aux créatures raisonnables. D'une chose, en effet, fixée dans un environnement tel qu'elle ne puisse se mouvoir, sauf dans un espace précis, espace déterminé par la résistance d'un corps extérieur, on dit qu'elle n'a pas la liberté d'avancer. Et il en va de même de toutes les créatures vivantes quand elles sont emprisonnées, ou retenues par des murs et des chaînes ; de l'eau quand elle est retenue par des rives ou contenue dans des vases, de sorte que sans cela elle se répandrait sur un espace plus étendu, on a l'habitude de dire qu'elles ne sont pas libres de se mouvoir de la façon dont elles le feraient s'il n'y avait pas ces obstacles extérieurs. Mais, si l'obstacle au mouvement est la constitution de la chose elle-même, on n'a pas l'habitude de dire qu'elle manque de liberté, mais de puissance de se mouvoir, comme quand une pierre reste là ou que l'on est cloué au lit par la maladie.
Conformément à la signification propre et généralement admise du mot, UN HOMME LIBRE est celui qui, pour ces choses que selon sa force et son intelligence il est capable de faire, n'est pas empêché de faire ce qu'il a la volonté de faire. Mais, quand les mots libre et liberté sont appliqués à autre chose qu'à des corps, c'est un abus de langage ; en effet, ce qui n'est pas susceptible de mouvement n'est pas sujet à des empêchements. Par conséquent, quand (par exemple), il est dit que la voie est libre, on ne veut pas dire que la liberté est celle de la voie, mais que ceux qui s'y déplacent le font sans obstacle. Et quand on dit qu'une donation est libre, cela ne veut pas dire que la liberté est dans la donation, mais dans la personne qui la fait, sans qu'elle y ait été contrainte [bound] par une loi ou par une convention. De même, quand nous parlons librement, il ne s'agit pas de la liberté de la voix, ou de l'articulation, mais de celle de la personne qu'aucune loi n'a contrainte [obliged] à s'exprimer autrement qu'elle l'a fait. Enfin, on ne peut pas déduire de l'emploi des mots volonté libre [free will], une quelconque liberté de la volonté, du désir ou de l'inclination, mais la liberté de l'homme consistant en ceci qu'il ne rencontre pas d'obstacle pour faire ce qu'il a la volonté, le désir ou l'inclination de faire."
Thomas Hobbes, Léviathan, 1651, Livre I, § 21, tr. fr. Gérard Mairet, Folio essais, 2000, p. 336-338.
"Je suis libre, dit-on généralement, dans la mesure où personne ne vient gêner mon action. En ce sens, la liberté politique n’est que l’espace à l’intérieur duquel un homme peut agir sans que d’autres l’en empêchent. Si d’autres m’empêchent de faire ce qu’autrement j’aurais fait, je ne suis pas entièrement libre ; et si cet espace se trouve réduit en dessous d’un certain minimum, on peut dire que je suis contraint, opprimé et peut-être même asservi. Toutefois, la contrainte ne recouvre pas toutes les formes d'incapacité. Si je suis incapable d'accomplir des sauts de plus de trois mètres, si je ne peux pas lire parce que je suis aveugle ou si je ne peux pas comprendre les passages les plus obscurs de Hegel, il serait incongru de dire que je suis asservi ou contraint de quelque manière. La contrainte implique l'intervention délibérée d'autrui dans l'espace à l'intérieur duquel je pourrais normalement agir. Il n'y a absence de liberté politique que lorsque des individus empêchent d'autres individus d'atteindre une fin. […] Si ma pauvreté était une espèce de maladie qui m'empêcherait d'acheter du pain, de m'offrir un voyage autour du monde ou de plaider ma cause devant un tribunal, au même titre qu'une claudication m'empêche de courir, cette incapacité ne pourrait, bien entendu, être qualifiée de manque de liberté, et certainement pas de manque de liberté politique. C'est seulement parce que je crois que mon incapacité à obtenir telle ou telle chose tient au fait que des hommes se sont arrangés pour que, contrairement à d'autres, je ne dispose pas de l'argent nécessaire pour l'obtenir, que je m'estime victime d'une forme de contrainte ou d'oppression. En d'autres termes, cet emploi du mot liberté se rattache à une théorie sociale et économique bien précise concernant les causes de ma pauvreté ou de mon impuissance. […] Si […] j'ai la conviction que je suis dans le besoin à cause d'un ordre social que j'estime injuste, je peux parler de servitude ou d'oppression économique. […] Il y a oppression dans la mesure où d'autres, directement ou non, délibérément ou non, frustrent mes désirs. Être libre, en ce sens, signifie être libre de toute immixtion extérieure. Plus vaste est cette aire de non-ingérence, plus étendue est ma liberté."
Isaiah Berlin, Éloge de la liberté, 1969, tr. fr. Jacqueline Carnaud et Jacqueline Lahana, Calmann-Lévy, 1994, p. 171-172.
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