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Texte à méditer :  Soyez philosophe ; mais, au milieu de toute votre philosophie, soyez toujours un homme.  David Hume
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Qu'est-ce qu'une démonstration ?

  "La question de savoir s'il existe encore un autre mode de connaissance sera examinée plus tard. Mais ce que nous appelons ici savoir c'est connaître par le moyen de la démonstration. Par démonstration j'entends le syllogisme scientifique, et j'appelle scientifique un syllogisme dont la possession même constitue pour nous la science. – Si donc la connaissance scientifique consiste bien en ce que nous avons posé, il est nécessaire aussi que la science démonstrative parte de prémisses qui soient vraies, premières, immédiates, plus connues que la conclusion, antérieures à elles, et dont elles sont les causes.
  C'est à ces conditions, en effet, que les principes de ce qui est démontré seront aussi appropriés à la conclusion. Un syllogisme peut assurément exister sans ces conditions, mais il ne sera pas une démonstration, car il ne sera pas productif de science. Les prémisses doivent être vraies, car on ne peut pas connaître ce qui n'est pas, par exemple la commensurabilité de la diagonale. Elles doivent être premières et indémontrables, car autrement on ne pourrait les connaître faute d'en avoir la démonstration, puisque la science des choses qui sont démontrables, s'il ne s'agit pas d'une science accidentelle, n'est pas autre chose que d'en posséder la démonstration. Elles doivent être causes de la conclusion, être plus connues qu'elle, et antérieures à elle : causes, puisque nous n'avons la science d'une chose qu'au moment où nous avons connu la cause ; antérieures, puisqu'elles sont causes ; antérieures aussi au point de vue de la connaissance, cette pré-connaissance ne consistant pas seulement à comprendre de la seconde façon que nous avons indiquée, mais encore à savoir que la chose est."

 

Aristote, Seconds analytiques, I, 2, 71b 16, Éditions Vrin, trad. Tricot.

  

 

  "Nous estimons posséder la science d’une manière absolue, et non pas, à la façon des sophistes, d’une manière purement accidentelle, quand nous croyons que nous connaissons la cause par laquelle la chose est, que nous savons que cette cause est celle de la chose, et qu’en outre il n’est pas possible que la chose soit autre qu’elle n’est […]. Par démonstration j’entends le syllogisme scientifique. Si donc la connaissance scientifique consiste bien en ce que nous avons posé, il est nécessaire aussi que la science démonstrative parte de prémisses qui soient vraies, premières, immédiates, plus connues que la conclusion, antérieures à elle, et dont elles sont les causes. […] Les prémisses doivent être vraies, car on ne peut connaître ce qui n’est pas. Elles doivent être premières et indémontrables, car autrement on ne pourrait les connaître, faute d’en avoir la démonstration. Elles doivent être les causes de la conclusion, être plus connues qu’elle, et antérieures à elle."

 

Aristote, Seconds analytiques, I, 2.


 

  "La démonstration donc, à ce qu'ils [les stoïciens] disent, est un raisonnement qui par le biais de prémisses sur lesquelles on s'accorde, révèle de façon concluante une conséquence obscure. Mais ce qu'ils disent deviendra plus clair à partir de ce qui suit.
  Un raisonnement est un système composé de prémisses et d'une conséquence. On dit que ses prémisses sont des propositions adoptées d'un commun accord en vue de l'établissement de la conclusion, et que la conséquence, la conclusion, est la proposition établie à partir des prémisses. Par exemple dans ce raisonnement : « S'il fait jour, il y a de la lumière ; mais il fait jour ; donc il y a de la lumière » ; « donc il y a de la lumière » est la conclusion, le reste sont les prémisses.

  Parmi les raisonnements les uns sont concluants, les autres non concluants. Ils sont concluants quand l'énoncé connectif qui a pour antécédent la combinaison des prémisses du raisonnement et pour conséquent sa conséquence est valide ; ainsi, le raisonnement cité ci-dessus est concluant, puisque de la conjonction de ses prémisses « il fait jour, et s'il fait jour, il y a de la lumière », il s'ensuit que « il y a de la lumière », dans l'énoncé connectif suivant : « Si (il fait jour, et s'il fait jour il y a de la lumière), alors il y a de la lumière. » Sont non concluants ceux qui ne sont pas ainsi.
  Parmi les raisonnements concluants les uns sont vrais, les autres non vrais. Ils sont vrais quand non seulement l'énoncé connectif constitué de la conjonction des prémisses et de la conséquence est valide, comme nous l'avons dit, mais aussi que la conclusion et la conjonction de ses prémisses sont vraies, conjonction qui est l'antécédent dans l'énoncé connectif.. Or une conjonction est vraie quand tout ce qu'elle contient est vrai, comme dans « il fait jour, et s'il fait jour, il y a de la lumière ». Sont non vrais ceux qui ne sont pas ainsi. En effet un raisonnement tel que « s'il fait nuit, il fait sombre ; mais il fait nuit ; donc il fait sombre » est concluant puisque cet énoncé connectif « si (il fait nuit, et s'il fait nuit, il fait sombre), alors il fait sombre » est valide, mais il n'est pas vrai, car la conjonction antécédente « il fait nuit et s'il fait nuit, il fait sombre » est fausse, puisqu'elle contient du faux en elle, à savoir « il fait nuit ». Car est fausse la conjonction qui contient en elle du faux. À partir de là, ils disent plus précisément qu'un raisonnement vrai est celui qui par le biais de prémisses vraies conduit à une conclusion vraie.
  Ensuite parmi les raisonnements vrais les uns sont démonstratifs, les autres non démonstratifs. Sont démonstratifs ceux qui conduisent à une <conclusion> obscure par le biais de <prémisses> obvies, sont non démonstratifs ceux qui ne sont pas ainsi. Par exemple un raisonnement de ce genre : « S'il fait jour il y a de la lumière ; mais il fait jour ; donc il y a de la lumière » n'est pas démonstratif ; en effet le fait qu'il fasse de la lumière, qui est sa conclusion, est obvie. A l'inverse un raisonnement de ce genre : « Si la sueur coule à travers la surface <du corps>, il y a des pores saisissables par l'intellect ; mais la sueur coule à travers la surface ; donc il y a des pores saisissables par l'intellect » est démonstratif parce qu'il a une conclusion obscure, à savoir « il y a des pores saisissables par l'intellect ».
  Parmi les raisonnements qui conduisent à <une conclusion> obscure, les uns nous mènent des prémisses à la conclusion d'une manière simplement progressive, les autres d'une manière à la fois progressive et révélatrice. D'une manière progressive, par exemple ceux qu'on estime dépendre de la croyance et de la mémoire, tels que celui-ci : « Si un dieu t'a dit que cet individu deviendra riche, il deviendra riche ; mais ce dieu – je prends Zeus à titre d'hypothèse – t'a dit que cet individu deviendrait riche ; donc cet individu deviendra riche. » En effet nous donnons notre assentiment à la conclusion non pas tant du fait de la nécessité des prémisses que parce que nous croyons en l'affirmation du dieu. Les autres nous conduisent à la conclusion de manière non seulement progressive mais encore révélatrice, par exemple celui-ci : « Si la sueur coule à travers la surface, il y a des pores saisissables par l'intellect; mais le premier ; donc le second. » En effet, que la sueur coule est révélateur du fait qu'il y a des pores, à cause de la préconception. Selon laquelle un liquide ne peut pas passer à travers un corps compact.
  La démonstration doit donc être un raisonnement, concluant, vrai, ayant une conclusion obscure, révélateur par le pouvoir des prémisses ; et pour cette raison on dit que la démonstration est un raisonnement qui, par le biais de prémisses sur lesquelles on s'accorde, révèle de façon concluante une conséquence obscure. C'est donc ainsi qu'ils ont coutume d'éclairer la notion de démonstration."

 

Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, Livre II, 12, § 136-143, tr. fr. Pierre Pellegrin, Seuil, Points essais, 1997, p. 277-281.



  "Et je n'ai choisi cette science [la géométrie] [...] que parce qu'elle seule sait les véritables règles du raisonnement, et, sans s'arrêter aux règles des syllogismes qui sont tellement naturelles qu'on ne peut les ignorer, s'arrête et se fonde sur la véritable méthode de conduire le raisonnement en toutes choses, que presque tout le monde ignore, et qu'il est si avantageux de savoir, que nous voyons par expérience qu'entre esprits égaux et toutes choses pareilles, celui qui a de la géométrie l'emporte et acquiert une vigueur toute nouvelle. Je veux donc faire entendre ce que c'est que démonstration par l'exemple de celle de géométrie, qui est presque la seule des sciences humaines qui en produise d'infaillibles, parce qu'elle seule observe la véritable méthode, au lieu que toutes les autres sont par une nécessité naturelle dans quelque sorte de confusion que les seuls géomètres savent extrêmement reconnaître. Cette véritable méthode qui formerait les démonstrations dans la plus haute excellence, s'il était possible d'y arriver, consisterait en deux choses principales : l'une, de n'employer aucun terme dont on n'eût auparavant expliqué nettement le sens, l'autre, de n'avancer jamais aucune proposition qu'on ne démontrât par des vérités déjà connues : c'est-à-dire, en un mot, à définir tous les termes et à prouver toutes les propositions."
 
Pascal, De l'esprit géométrique (rédigé vers 1657, publié en 1776), section I.


  "Une vraie démonstration demande deux choses : l'une, que dans la matière il n'y ait rien que de certain et indubitable ; l'autre, qu'il n'y ait rien de vicieux dans la forme d'argumenter ; or, on aura certainement l'un et l'autre, si l'on observe les deux règles que nous avons posées.  Car il n'y aura rien que de véritable et de certain dans la matière, si toutes les propositions qu'on avancera pour servir de preuves sont :
  Ou les définitions des mots qu'on aura expliqués, qui, étant arbitraires, ne peuvent être contestées ;
  Ou les axiomes qui auront été accordés, et que l'on n'a point  dû supposer s'ils n'étaient clairs et évidents d'eux-mêmes par la troisième règle ;
  Ou des propositions déjà démontrées, et qui, par conséquent, sont devenues claires et évidentes par la démonstration qu'on en a faite ;
  Ou la construction de la chose même dont il s'agira lorsqu'il y aura quelque opération à faire, ce qui doit être aussi indubitable que le reste, puisque cette construction doit avoir été auparavant démontrée possible, s'il y avait quelque doute qu'elle ne le fût pas.
  Il est donc clair qu'en observant la première règle, on n'avancera jamais pour preuve aucune proposition qui ne soit certaine et évidente.
  Il est aussi aisé de montrer qu'on ne péchera point contre la forme de l'argumentation, en observant la seconde règle , qui est de n'abuser jamais de l'équivoque des termes, en manquant d'y substituer mentalement les définitions qui les restreignent et les expliquent.
  Car s'il arrive jamais qu'on pèche contre les règles des syllogismes, c'est en se trompant dans l'équivoque de quelque terme, et le prenant en un sens dans l'une des propositions, et en un autre sens dans l'autre, ce qui arrive principalement dans le moyen du syllogisme, qui, étant pris en deux divers sens dans les deux premières propositions, est le défaut le plus ordinaire des arguments vicieux. Or, il est clair qu'on évitera ce défaut si l'on observe cette seconde règle.
  Ce n'est pas qu'il n'y ait encore d'autres vices de l'argumentation outre celui qui vient de l'équivoque des termes ; mais c'est qu'il est presque impossible qu'un homme d'un esprit médiocre , et qui a quelque lumière, y tombe jamais, surtout en des matières spéculatives, et ainsi il serait inutile d'avertir d'y prendre garde et d'en donner des règles ; et cela serait même nuisible , parce que l'application qu'on aurait à ces règles superflues pourrait divertir de l'attention qu'on doit avoir aux nécessaires. Aussi nous ne voyons point que les géomètres se mettent jamais en peine de la forme de leurs arguments , ni qu'ils pensent à les conformer aux règles de la logique , sans qu'ils y manquent néanmoins, parce que cela se fait naturellement et n'a pas besoin d'étude.
  Il y a encore une observation à faire sur les propositions qui ont besoin d'être démontrées. C'est qu'on ne doit pas mettre de ce nombre celles qui peuvent l'être par l'application de la règle de l'évidence à chaque proposition évidente ; car si cela était, il n'y aurait presque point d'axiome qui n'eût besoin d'être démontré, puisqu'ils peuvent l'être presque tous par celui que nous avons dit pouvoir être pris pour le fondement de toute évidence : Tout ce que l'on voit clairement être contenu dans une idée claire et distincte, peut en être affirmé avec vérité. On peut dire, par exemple :
  Tout ce qu'on voit clairement être contenu dans une idée claire et distincte, peut en être affirmé avec vérité :
  Or, on voit clairement que l'idée claire et distincte qu'on a du tout, enferme d'être plus grand que sa partie :
  Donc on peut affirmer avec vérité que le tout est plus grand que sa partie.
  Mais, quoique cette preuve soit très-bonne, elle n'est pas néanmoins nécessaire, parce que notre esprit supplée cette majeure, sans avoir besoin d'y faire une attention particulière ; et ainsi voit clairement et évidemment que le tout est plus grand que sa partie, sans qu'il ait besoin de faire réflexion d'où lui vient cette évidence ; car ce sont deux choses différentes, de connaître évidemment une chose, et de savoir d'où nous vient cette évidence."

 

Antoine Arnauld et Pierre Nicole, La logique ou l'art de penser, 1662, 4e partie, Chapitre VIII, Champs Flammarion, 1978, p. 395-396.


"Deux règles touchant les définitions.

1. Ne laisser aucun des termes un peu obscurs ou équivoques sans le définir.
2. N'employer dans les définitions que des termes parfaitement connus ou déjà expliqués.

Deux règles pour les axiomes.

3. Ne demander en axiomes que des choses parfaitement évidentes.
4. Recevoir pour évident ce qui n'a besoin que d'un peu d'attention pour être reconnu véritable.

Deux règles pour les démonstrations.

5. Prouver toutes les propositions un peu obscures, en n'employant à leur preuve que les définitions qui auront précédé, et les axiomes qui auront été accordés, ou les propositions qui auront déjà été démontrées.
6. N'abuser jamais de l'équivoque des termes, en manquant de substituer mentalement les définitions qui les restreignent et qui les expliquent.

Deux règles pour la méthode.

7. Traiter les choses, autant qu'il se peut, dans leur ordre naturel, en commençant par les plus générales et les plus simples, et expliquant tout ce qui appartient à la nature du genre avant que de passer aux espèces particulières.
8. Diviser, autant qu'il se peut, chaque genre en toutes ses espèces, chaque tout en toutes ses parties, et chaque difficulté en tous ses cas."

 

Antoine Arnauld et Pierre Nicole, La logique ou l'art de penser, 1662, 4e partie, Chapitre XI, Champs Flammarion, 1978, p. 407-408.



  "[...] La démonstration est un raisonnement par lequel une proposition devient certaine. Ce qui arrive chaque fois qu'on montre à partir de quelques suppositions (qui sont posées comme assurées) que celle-là s'ensuit nécessairement. Nécessairement, dis-je, c'est-à-dire de manière que le contraire implique contradiction, ce qui est le véritable et unique signe de l'impossibilité. En outre, de même que le nécessaire répond à l'impossible, de même la proposition identique répond à la proposition impliquant contradiction : car, de même que le premier impossible dans les propositions est « A n'est pas A » , le premier nécessaire dans les propositions est « A est A » .
    Par suite seules les propositions identiques sont indémontrables. Or, tous les axiomes - bien que le plus souvent ils soient si clairs et si faciles qu'ils n'aient pas besoin de démonstration - sont cependant démontrables, ce qui signifie que, par la compréhension achevée des termes (la compréhension revient à la substitution de la définition au défini), on rend évidente la nécessité des axiomes, c'est-à-dire la contradiction dans les termes impliquée par leur contraire.
    Et cela est aussi dans l'esprit de l'Ecole. Or il est évident, sans la pleine compréhension des termes, c'est-à-dire sans leur résolution, que les propositions identiques sont nécessaires, car je sais que tout ce qui finalement est compris par A se réduit à « A est A ». Or toutes les propositions dont la vérité montre sa nécessité seulement par résolution et compréhension des termes sont démontrables par leur résolution, c'est-à-dire par définition. Par quoi il est évident qu'une démonstration est une chaîne de définitions. Car dans la démonstration de quelque proposition, il ne faut rien de plus que des définitions, des axiomes (auxquels je réduis ici les postulats), des théorèmes déjà démontrés et des expériences. Et comme à leur tour les théorèmes doivent être démontrés et que tous les axiomes, excepté les identiques, peuvent même l'être, il est enfin évident que toutes les vérités se résolvent en définitions, propositions identiques et expériences (bien que les vérités purement intelligibles n'aient pas besoin d'expérience) ; et la résolution parfaite étant achevée, il apparaît qu'une chaîne de démonstration commence par des propositions identiques ou des expériences; elle s'arrête à la conclusion. Or, par l'intervention des définitions les principes sont rattachés à la conclusion et c'est en ce sens que j'ai dit que la démonstration est une chaîne de définitions. La définition de quelque idée composée est la résolution en ses parties. De cette façon, une démonstration n'est pas autre chose que la résolution d'une vérité en d'autres vérités déjà connues. Et la résolution d'un problème qui est à effectuer est la résolution de ce problème en d'autres problèmes plus faciles, à savoir ceux que déjà il renferme manifestement en lui.
    Telle est mon analyse qui a fait ses preuves et devra réussir en mathématiques et aussi bien dans les autres sciences. Si quelqu'un en a une autre, je m'étonnerai que finalement elle ne se ramène pas à la mienne ou n'en soit pas une partie ou un corollaire."

 

Leibniz, Lettre à Hermann Conring, 19-29 mars 1678.


    "Ce n'est pas une vérité tout à fait immédiate que deux et deux sont quatre, supposé que quatre signifie trois et un. On peut donc la démontrer, et voici comment :

Définitions :

1) Deux est un et un.

2) Trois est deux et un.

3) Quatre est trois et un.

Axiome. Mettant des choses égales à la place, l'égalité demeure.

Démonstration :

2 et 2 est 2 et 1 et 1 (par la déf. 1) 2 + 2

2 et 1 et 1 est 3 et 1 (par la déf. 2) 2 + 1 + 1

3 et 1 est 4 (par la déf. 3) 3 + 1

                                                4

Donc (par l'axiome)
2 et 2 est 4. Ce qu'il fallait démontrer.

Je pouvais, au lieu de dire que 2 et 2 est 2 et 1 et 1, mettre que 2 et 2 est égal à 2 et 1 et 1, et ainsi des autres. Mais on peut le sous-entendre partout, pour avoir plus tôt fait ; et cela en vertu d'un autre axiome qui porte qu'une chose est égale à elle-même, ou ce qui est le même égal."
 

 

Leibniz, Nouveaux essais sur l'entendement humain, 1703, Livre IV, Chapitre 7, GF, p. 326.


  

  "[…] il faut bien concéder que le raisonnement mathématique a par lui-même une sorte de vertu créatrice et par conséquent qu'il se distingue du syllogisme. […]
Le débat est ancien ; déjà Leibniz cherchait à démontrer que 2 et 2 font 4 ; examinons un peu sa démonstration.
  Je suppose que l'on ait défini le nombre 1 et l'opération x + 1 qui consiste à ajouter l'unité à un nombre x.

  Ces définitions, quelles qu'elles soient, n'interviendront pas dans la suite du raisonnement.
  Je définis ensuite les nombres 2, 3 et 4 par les égalités :

(1) 1 + 1 = 2 ; (2) 2 + 1 = 3 ; (3) 3 + 1 = 4.

    Je définis de même l'opération x + 2 par la relation :

(4) x + 2 = (x + 1) + 1

    Cela posé nous avons :

2 + 2 = (2 + 1) + 1 (Définition 4)

(2 + 1) + 1 = 3 + 1 (Définition 2)

3 + 1 = 4 (Définition 3)

    d'où

2 + 2 = 4 C.Q.F.D.

 

    On ne saurait nier que ce raisonnement ne soit purement analytique. Mais interrogez un mathématicien quelconque : « Ce n'est pas une démonstration proprement dite, vous répondra-t-il, c'est une vérification ». On s'est borné à rapprocher l'une de l'autre deux définitions purement conventionnelles et on a constaté leur identité, on n'a rien appris de nouveau. La vérification diffère précisément de la véritable démonstration, parce qu'elle est purement analytique et parce qu'elle est stérile. Elle est stérile parce que la conclusion n'est que la traduction des prémisses dans un autre langage. La démonstration véritable est féconde au contraire parce que la conclusion y est en un sens plus générale que les prémisses.
    L'égalité 2 + 2 = 4 n'a été ainsi susceptible d'une vérification que parce qu'elle est particulière. Tout énoncé particulier en mathématique pourra toujours être vérifié de la sorte. Mais si la mathématique devait se réduire à une suite pareille de vérifications, elle ne serait pas une science. […] Il n'y a de science que du général."

 

Henri Poincaré, La science et l'hypothèse, 1902, Flammarion, p. 32-34.


 
  "Depuis les Grecs, qui dit mathématique dit démonstration : certains doutent même qu'il se trouve, en dehors des mathématiques, des démonstrations au sens précis et rigoureux que ce mot a reçu des Grecs et qu'on entend lui donner ici. On a le droit de dire que ce sens n'a pas varié, car ce qui était une démonstration pour Euclide en est toujours une à nos yeux ; et, aux époques où la notion a menacé de s'en perdre et où de ce fait la mathématique s'est trouvée en danger, c'est chez les Grecs qu'on en a recherché les modèles. Mais à ce vénérable héritage sont venues s'ajouter depuis un siècle d'importantes conquêtes.
  En effet, l'analyse du, mécanisme des démonstrations dans des textes mathématiques bien choisis a permis d'en dégager la structure, du double point de vue du vocabulaire et de la syntaxe. On arrive ainsi à la conclusion qu'un texte mathématique suffisamment explicite pourrait être exprimé dans une langue conventionnelle ne comportant qu'un petit nombre de « mots » invariables assemblés suivant une syntaxe qui consisterait en un petit nombre de règles inviolables : un tel texte est dit formalisé. La description d'une partie d'échecs au moyen de la notation usuelle, une table de logarithmes, sont des textes formalisés ; les formules du calcul algébrique ordinaire en seraient aussi, si l'on avait complètement codifié les règles gouvernant l'emploi des parenthèses et qu'on s'y conformât strictement, alors qu'en fait certaines de ces règles ne s'apprennent guère qu'à l'usage, et que l'usage autorise à y faire certaines dérogations.
 La vérification d'un texte formalisé ne demande qu'une attention en quelque sorte mécanique, les seules causes d'erreur possibles étant dues à la longueur ou à la complication du texte ; c'est pourquoi un mathématicien fait le plus souvent confiance à un confrère qui lui transmet le résultat d'un calcul algébrique, pour peu qu'il sache que ce calcul n'est pas trop long et a été fait avec soin. Par contre, dans un texte non formalisé, on est exposé aux fautes de raisonnement que risquent d'entraîner, par exemple, l'usage abusif de l'intuition, ou le raisonnement par analogie. En fait, le mathématicien qui désire s'assurer de la parfaite correction, ou, comme on dit, de la « rigueur » d'une démonstration ou d'une théorie, ne recourt guère à l'une des formalisations complètes dont on dispose aujourd'hui, ni même le plus souvent aux formalisations partielles et incomplètes fournies par le calcul algébrique et d'autres similaires ; il se contente en général d'amener l'exposé à un point où son expérience et son flair de mathématicien lui enseignent que la traduction en langage formalisé ne serait plus qu'un exercice de patience (sans doute fort pénible). Si, comme il arrive mainte et mainte fois, des doutes viennent à s'élever, c'est en définitive sur la possibilité d'aboutir sans ambiguïté à une telle formalisation qu'ils portent, soit qu'un même mot soit employé en des sens variables suivant le contexte, soit que les règles de la syntaxe aient été violées par l'emploi inconscient de modes de raisonnement non spécifiquement autorisés par elles, soit encore qu'une erreur matérielle ait été commise. Ce dernier cas mis à part, le redressement se fait invariablement, tôt ou tard, par la rédaction de textes se rapprochant de plus en plus d'un texte formalisé, jusqu'à ce que, de l'avis général des mathématiciens, il soit devenu superflu de pousser ce travail plus loin ; autrement dit, c'est par une comparaison, plus ou moins explicite, avec les règles d'un langage formalisé, que se fait l'essai de la correction d'un texte mathématique."
 
Nicolas Bourbaki, Éléments de mathématique, 1954,fasc. XVII, l. I, dans Lectures sur les problèmes de la pensée contemporaine, C. Brunold et J. Jacob, Belin, 1970, p. 160-161.


Date de création : 28/03/2006 @ 15:26
Dernière modification : 15/05/2015 @ 12:38
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