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Texte à méditer :  Soyez philosophe ; mais, au milieu de toute votre philosophie, soyez toujours un homme.  David Hume
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Hors des sentiers battus
L'évolution des théories scientifiques

  "Le raisonnement expérimental est précisément l'inverse du raisonnement scolastique. La scolastique veut toujours un point de départ fixe et indubitable, et ne pouvant le trouver ni dans les choses extérieures, ni dans la raison, elle l'emprunte à une source irrationnelle quelconque : telle qu'une révélation, une tradition ou une autorité conventionnelle ou arbitraire. Une fois le point de départ posé, le scolastique ou le systématique en déduit logiquement toutes les conséquences, en invoquant même l'observation ou l'expérience des faits comme arguments quand ils sont en sa faveur [...] Au contraire [...] Toutes les théories qui servent de point de départ au physicien, au chimiste, et à plus forte raison au physiologiste, ne sont vraies que jusqu'à ce qu'on découvre qu'il y a des faits qu'elles ne referment pas ou qui les contredisent. Lorsque ces faits contradictoires se montreront bien solidement établis, loin de se roidir, comme le scolastique ou le systématique, contre l'expérience, pour sauvegarder son point de départ, l'expérimentateur s'empressera, au contraire, de modifier sa théorie, parce qu'il sait que c'est la seule manière d'avancer et de faire des progrès dans les sciences. L'expérimentateur doute donc toujours, même de son point de départ ; il a l'esprit nécessairement modeste et souple, et accepte la contradiction à la seule condition qu'elle lui soit prouvée."

 

Claude Bernard, Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, 1865, Chapitre II, § 5, Flammarion, pp. 84-85.




    "Les théories sont comme des degrés successifs que monte la science en élargissant de plus en plus son horizon, parce que les théories représentent et comprennent nécessairement d'autant plus de faits qu'elles sont plus avancées. Le vrai progrès est de changer de théorie pour en prendre de nouvelles qui aillent plus loin que les premières jusqu'à ce qu'on en trouve une qui soit assise sur un plus grand nombre de faits. Dans le cas qui nous occupe, la question n'est pas de condamner l'ancienne théorie au profit de celle qui est plus récente. Ce qui est important, c'est d'avoir ouvert une voie nouvelle, car ce qui ne périra jamais, ce sont les faits bien observés que les théories éphémères ont fait surgir ; ce sont là les seuls matériaux sur lesquels l'édifice de la science s'élèvera un jour quand elle possédera un nombre de faits suffisants et qu'elle aura pénétré assez loin l'analyse des phénomènes pour en connaître la loi ou le déterminisme exact.
    En résumé, les théories ne sont que des hypothèses vérifiées par un nombre plus ou moins considérable de faits ; celles qui sont vérifiées par le plus grand nombre de faits sont les meilleures ; mais encore ne sont-elles jamais définitives et ne doit-on jamais y croire d'une manière absolue".

Claude Bernard, Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, 1865, Flammarion, p. 231.



  "D'habitude, une théorie approfondit notre compréhension d'une autre manière encore : elle montrera que les lois empiriques qu'on avait formulées antérieurement et qui étaient censées fournir une explication ne sont pas strictes et sans exceptions, mais constituent des approximations valables à l'intérieur de certaines limites. Ainsi, la théorie de Newton, en rendant compte du mouvement des planètes, montre que les lois de Kepler sont seulement approchées, et explique pourquoi il en est ainsi : les principes de Newton impliquent que, si une planète se mouvait autour du Soleil sous la seule influence gravitationnelle de ce dernier, son orbite serait, certes, une ellipse ; mais ils impliquent aussi que l'attraction exercée sur elle par les autres planètes la conduit à s'écarter d'une trajectoire rigoureusement elliptique. La théorie rend compte de façon chiffrée des perturbations dues aux autres corps célestes, en fonction de leur masse et de leur distribution dans l'espace. De même, la théorie newtonienne rend compte de la loi de Galilée sur la chute des corps en la traitant comme simple cas particulier des lois fondamentales du mouvement sous l'effet de l'attraction gravitationnelle ; mais, ce faisant, elle montre aussi que la loi (même si on l'applique à la chute libre dans le vide) n'est qu'une approximation. L'une des raisons en est que, dans la formule de Galilée, l'accélération de la chute libre apparaît comme une constante (deux fois le facteur 4,9 dans la formule s = 4,9 t2) alors que, dans la loi de Newton, où l'attraction est inversement proportionnelle au carré de la distance, la force qui agit sur le corps qui tombe augmente quand sa distance au centre de la Terre diminue ; par conséquent, en vertu de la seconde loi newtonienne du mouvement, son accélération, elle aussi, augmente au cours de la chute. On pourrait faire des remarques analogues sur les lois de l'optique géométrique, quand on se place au point de vue de la théorie ondulatoire. Ainsi, même dans un milieu homogène, la lumière ne se propage pas strictement en ligne droite ; elle peut contourner un obstacle. Et, en optique géométrique, les lois de la réflexion dans les miroirs courbes et celles de la formation des images à travers les lentilles ne valent que de façon approchée et à l'intérieur de certaines limites.
  Dès lors, on peut être tenté de dire que, souvent, les théories n'expliquent pas les lois antérieurement établies, mais les réfutent. Mais ce serait là présenter une image déformée de ce que nous fait voir une théorie. Après tout, une théorie ne réfute pas simplement les généralisations précédentes qui relèvent de son domaine ; elle montre plutôt qu'à l'intérieur de certaines limites définies par des conditions de validité, ces généralisations sont vraies avec une très bonne approximation. Les lois de Kepler ne couvrent que les cas où les masses des autres planètes qui perturbent la trajectoire de la planète considérée sont faibles en comparaison de celle du Soleil, ou bien les cas où les distances de ces planètes perturbatrices à la planète donnée sont grandes en comparaison de la distance de cette dernière au Soleil. De même, la théorie montre que la loi de Galilée a une valeur approchée pour la chute libre quand on dépasse les courtes distances."

 

Carl Hempel, Éléments d'épistémologie, 1966, Chapitre 6, tr. fr. Bertrand Saint-Sernin, Armand Colin, 1996, pp. 118-119.



Date de création : 10/06/2006 @ 10:53
Dernière modification : 08/01/2011 @ 11:36
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