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Texte à méditer :   Les hommes normaux ne savent pas que tout est possible.   David Rousset
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L'origine et les fondements du droit

    "Que chacun se soumette aux autorités en charge. Car il n’y a pas d’autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent sont constituées par Dieu. Si bien que celui qui résiste à l’autorité se rebelle contre l’ordre établi par Dieu. Et les rebelles se feront eux-mêmes condamner. En effet, les magistrats ne sont pas à craindre quand on fait le bien, mais quand on fait le mal. Veux-tu n’avoir pas à craindre l’autorité ? Fais le bien et tu en recevras des éloges ; car elle est un instrument de Dieu pour te conduire au bien. Mais crains, si tu fais le mal ; car ce n’est pas pour rien qu’elle porte le glaive : elle est un instrument de Dieu pour faire justice et châtier qui fait le mal. Aussi doit-on se soumettre non seulement par crainte du châtiment, mais par motif de conscience. N’est-ce pas pour cela que vous payez les impôts ? Car il s’agit de fonctionnaires qui s’appliquent de par Dieu à cet office. Rendez à chacun ce qui lui est dû : à qui l’impôt, l’impôt ; à qui les taxes, les taxes ; à qui la crainte, la crainte ; à qui l’honneur, l’honneur."
 

Saint Paul, Épître aux Romains (1er siècle) chap. 13,1-7, trad. École biblique de Jérusalem, Le Cerf, 1978, p. 1641-1642.



  "Les lois prennent leur autorité de la possession et de l'usage ; il est dangereux de les ramener à leur naissance ; elles grossissent et s'ennoblissent en roulant, comme nos rivières ; suivez-les contremont jusques à leur source, ce n'est qu'un petit surgeon d'eau à peine reconnaissable, qui s'enorgueillit ainsi et se fortifie en vieillissant.  Voyez les anciennes considérations qui ont donné le premier branle à ce fameux torrent, plein de dignité, d'horreur et de révérence : vous les trouverez si légères et si délicates, que ces gens-ci qui pèsent tout et le ramènent à la raison, et qui ne reçoivent rien par autorité et à crédit, il n'est pas merveille s'ils ont leurs jugements souvent très éloignés des jugements publics […]
  Au demeurant, si c'est de nous que nous tirons le règlement de nos moeurs, à quelle confusion nous rejetons-nous ! Car ce que notre raison nous y conseille de plus vraisemblable, c'est généralement à chacun d'obéir aux lois de son pays, comme est l'avis de Socrate inspiré, dit-il, d'un conseil divin. Et par là que veut-elle dire, sinon que notre devoir n'a autre règle que fortuite ? La vérité doit avoir un visage pareil et universel.  La droiture et la justice, si l'homme en connaissait qui eût corps et véritable essence, il ne l'attacherait pas à la condition des coutumes de cette contrée ou de celle-là ; ce ne serait pas de la fantaisie des Perses ou des Indes que la vertu prendrait sa forme.  Il n'est rien sujet à plus continuelle agitation que les lois.  Depuis que je suis né, j'ai vu trois et quatre fois rechanger celles des Anglais, nos voisins, non seulement en sujet politique, qui est celui qu'on veut dispenser de constance, mais au plus important sujet qui puisse être, à savoir de la religion.  De quoi j'ai honte et dépit, d'autant plus que c'est une nation à laquelle ceux de mon quartiers ont eu autrefois une si privée accointance, qu'il reste encore en ma maison aucunes traces de notre ancien cousinage."

 

Montaigne, Essais, 1580, II, XII, Flammarion, 2008, p. 579 et p. 574-575.



  "La coutume ne doit être suivie que parce qu’elle est coutume, et non parce qu’elle soit raisonnable ou juste, mais le peuple la suit par cette seule raison qu’il la croit juste. Sinon il ne la suivrait plus, quoiqu’elle fût coutume, car on ne veut être assujetti qu’à la raison ou à la justice. La coutume sans cela passerait pour tyrannie, mais l’empire de la raison et de la justice n’est non plus tyrannique que celui de la délectation. Ce sont les principes naturels à l’homme.
  Il serait donc bon qu’on obéît aux lois et coutumes parce qu’elles sont lois, qu’il sût qu’il n’y en a aucune vraie et juste à introduire, que nous n’y connaissons rien et qu’ainsi il faut seulement suivre les reçues : par ce moyen on ne les quitterait jamais. Mais le peuple n’est pas susceptible de cette doctrine. Et ainsi, comme il croit que la vérité se peut trouver et qu’elle est dans les lois et coutumes, il les croit et prend leur antiquité comme une preuve de leur vérité (et non de leur seule autorité sans vérité). Ainsi il y obéit, mais il est sujet à se révolter dès qu’on lui montre qu’elles ne valent rien, ce qui se peut faire voir de toutes en les regardant d’un certain côté."

 

Pascal, Pensées, 1670, Sellier 454.



  "Un gouvernement sans lois établies et stables ne saurait s'accorder avec les fins de la société et du gouvernement. En effet, les hommes quitteraient-ils la liberté de l'état de nature pour se soumettre à un gouvernement dans lequel leurs vies, leurs libertés, leur repos, leurs biens ne seraient point en sûreté ? On ne saurait supposer qu'ils aient l'intention, ni même le droit de donner à un homme, ou à plusieurs, un pouvoir absolu et arbitraire sur leurs personnes et sur leurs biens, et de permettre au magistrat ou au prince de faire, à leur égard, tout ce qu'il voudra, par une volonté arbitraire et sans bornes ; ce serait assurément se mettre dans une condition beaucoup plus mauvaise que n'est celle de l'état de nature, dans lequel on a la liberté de défendre son droit contre les injures d'autrui, et de se maintenir, si l'on a assez de force, contre l'invasion d'un homme, ou de plusieurs joints ensemble. [...]
  Donc, dans tous les États, le pouvoir de ceux qui gouvernent doit être exercé selon des lois publiées et reçues, non par des arrêts faits sur-le-champ, et par des résolutions arbitraires : car autrement, on se trouverait dans un plus triste et plus dangereux état que n'est l'état de nature, si l'on avait armé du pouvoir réuni de toute une multitude, une personne, ou un certain nombre de personnes, afin qu'elles se fissent obéir selon leur plaisir, sans garder aucunes bornes, et conformément aux décrets arbitraires de la première pensée qui leur viendrait, sans avoir jusqu'alors donné à connaître leur volonté, ni observé aucunes règles qui pussent justifier leurs actions. Tout le pouvoir d'un gouvernement n'étant établi que pour le bien de la société, comme il ne saurait, par cette raison, être arbitraire et être exercé suivant le bon plaisir, aussi doit-il être exercé suivant les lois établies et connues ; en sorte que le peuple puisse connaître son devoir, et être en sûreté à l'ombre de ces lois."

 

John Locke, Traité du gouvernement civil, 1690, Chapitre XI, § 137, tr. fr. David Mazel, GF, 1992, p. 245-246.

 

  "Telle est la prétention monstrueuse, et pourtant, apparemment sans réplique, du régime totalitaire que, loin d'être « sans lois », il remonte aux sources de l'autorité, d'où les lois positives ont reçu leur plus haute légitimité ; loin d'être arbitraire, il est plus qu'aucun autre avant lui, soumis à ces forces surhumaines; loin d'exercer le pouvoir au profit d'un seul homme, il est tout à fait prêt à sacrifier les intérêts vitaux immédiats de quiconque à l'accomplissement de ce qu'il prétend être la loi de l'Histoire ou celle de la Nature. Son défi aux lois positives est, assure-t-il, une forme plus élevée de légitimité qui, s'inspirant des sources elles-mêmes, peut se défaire d'une légalité mesquine. La légitimité totalitaire se vante d'avoir trouvé un moyen d'instaurer le règne de la justice sur la terre - à quoi la légalité du droit positif, de son propre aveu, ne pourrait jamais parvenir. L'écart entre légalité et justice ne pourrait jamais être comblé : en effet les normes du bien et du mal, en quoi le droit positif traduit sa propre source d'autorité - la « loi nouvelle » qui gouverne tout l'univers, ou bien la loi divine que révèle l'histoire humaine, ou encore les coutumes et les traditions qui expriment la loi commune aux sentiments de tous les hommes - sont nécessairement générales ; elles doivent pouvoir s'appliquer à un nombre incalculable et imprévisible de cas, de sorte que chaque cas concret et individuel, avec son concours de circonstances unique, leur échappe d'une manière ou d'une autre.

  La légitimité totalitaire, dans son défi à la légalité et dans sa prétention à instaurer le règne direct de la justice sur la terre, accomplit la loi de l'Histoire ou de la Nature sans la traduire en normes de bien et de mal pour la conduite individuelle. Elle applique la loi directement au genre humain sans s'inquiéter de la conduite des hommes. La loi de la Nature ou celle de l'Histoire, pour peu qu'elles soient correctement exécutées, sont censées avoir la production du genre humain pour ultime produit; et c'est cette espérance qui se cache derrière la prétention de tous les régimes totalitaires à un règne planétaire. La politique totalitaire veut transformer l'espèce humaine en un vecteur actif et infaillible d'une loi à laquelle, autrement, les hommes ne seraient qu'à leur corps défendant passivement soumis."


Hannah Arendt, Le Système totalitaire, 1951, trad. J.-L. Bourget, R. Davreu et P. Lévy, Éd. du Seuil, coll. « Points Essais », 2001, pp. 205-206, Quarto Gallimard, p. 815-817.


 
  "On doit faire la […] distinction entre l'acte d'un brigand qui contraint sa victime à lui remettre une somme d'argent et celui d'un fonctionnaire obligeant un contribuable à payer ses impôts. Subjectivement ces deux actes ont la même signification, mais objectivement le second seul a le caractère d'une norme juridique, car des normes légales créent l'obligation de payer des impôts et attribuent la qualité de fonctionnaire au percepteur. À leur tour ces normes légales ont été créées par des actes interprétés comme des applications de la constitution. La validité de la loi fiscale repose donc sur la constitution et la validité du commandement de payer l'impôt découle de cette loi, tandis que l'injonction du brigand n'est pas une norme juridique, car elle n'est pas fondée sur la constitution.
  De même pour faire la distinction entre un assassinat et l'exécution d'une condamnation à mort, il faut interpréter ces deux actes, extérieurement semblables, à la lumière du code pénal et du code de procédure pénale. Ou encore pour savoir si un échange de lettres signifie la conclusion d'un contrat, il faut consulter le code civil, et le document auquel nous donnons ce nom est une loi s'il a été adopté par l'organe législatif institué par la constitution en suivant la procédure prescrite à cet effet. La constitution à son tour peut avoir été établie conformément aux règles contenues dans une constitution antérieure, mais il y aura toujours une première constitution au-delà de laquelle il n'est pas possible de remonter.
  Mais alors pourquoi, demandera-t-on, faut-il se conformer aux règles contenues dans cette première constitution ? Pourquoi ont-elles la signification objective de normes juridiques ? L'acte par lequel la première constitution a été établie ne peut être interprété comme l'application d'une norme juridique antérieure. Il est donc le fait fondamental de l'ordre juridique qui en est issu. La validité de cet ordre juridique est ainsi fondée sur la supposition que la première constitution formait un ensemble de normes juridiques valables.
  Cette supposition est elle-même une norme, car elle signifie qu'il faut se conformer aux règles contenues dans la première constitution. On peut la considérer comme la norme fondamentale de l'ordre juridique qui est issu de cette constitution, mais elle n'est pas une norme positive appartenant à cet ordre, car elle n'a pas été « posée » par un acte créateur de normes ; elle est seulement supposée par la science du droit. […] nous pouvons […] affirmer que pour attribuer à certains faits le caractère d'actes créateurs de normes valables, il faut supposer l'existence d'une norme fondamentale. En d'autres termes, la validité de toute norme positive, qu'elle soit morale ou juridique, dépend de l'hypothèse d'une norme non positive se trouvant à la base de l'ordre normatif dont cette norme positive fait partie. Une telle norme fondamentale a un caractère purement formel, car elle ne constitue par elle-même aucune valeur morale ou juridique. La création de telles valeurs ne peut se faire que par des normes positives, dont la validité dépend d'une norme fondamentale."
 
Hans Kelsen, Théorie pure du droit, 1953, Ad. Henri Thévenaz, Éd. De La Baconnière, p. 46-48.

 

    "Le précepte selon lequel il n'y a pas de délit là où il n'y a pas de loi (nullum crimen sine lege) et les exigences qu'il implique découlent aussi de l'idée d'un système de lois. Ce précepte exige que les lois soient connues et expressément promulguées, que leur signification soit clairement définie, que les lois soient générales à la fois dans leur expression et dans leur intention et ne soient pas utilisées pour nuire à des individus particuliers qui peuvent être nommés expressément (exemple de la proscription), que les délits les plus graves du moins soient strictement interprétés et que les lois pénales ne soient pas rétroactives au désavantage de ceux auxquels elles s'appliquent. Ces exigences sont implicites dans l'idée même de contrôler le comportement par des règles publiques. Car, par exemple, si les lois ne disent pas clairement ce quelles permettent et ce quelles interdisent, le citoyen ne sait pas comment il doit se comporter."
 

John Rawls, Théorie de la justice, 1971, traduit de l'américain par C. Audard, Éd. du Seuil,1997, coll. « Points Essais », p. 275.

 
  "Une loi répressive ou assujettissante ancre presque toujours sa propre légitimité dans une histoire qui raconte comment c'était avant la loi et comment la loi est apparue sous sa forme présente et nécessaire. La fabrication de ces origines procède d'un récit linéaire qui tend à décrire l'état d'avant la loi comme s'il suivait un cours nécessaire pour culminer dans, et par là justifier, la constitution de la loi. En n'admettant qu'une seule vraie histoire de ce passé irrécouvrable, le récit des origines est une stratégie narrative qui fait de la constitution de la loi une nécessité historique."
 
Judith Butler, Trouble dans le genre, 1990, tr. fr. Cynthia Kraus, La Découverte/Poche, 2006, p. 114-115.


Date de création : 01/11/2006 @ 11:33
Dernière modification : 18/12/2023 @ 09:00
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