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Texte à méditer :   Les vraies révolutions sont lentes et elles ne sont jamais sanglantes.   Jean Anouilh
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Hors des sentiers battus
La phénoménologie husserlienne par les exemples

    "Partons de quelques exemples. Voici, devant moi, dans la demi-obscurité, ce papier blanc. Je le vois, le touche. Cette perception visuelle et tactile du papier, qui constitue le vécu pleinement concret du papier que voici, du papier donné exactement avec ces qualités, m'apparaissent exactement dans cette obscurité relative, dans cette détermination imparfaite, selon cette orientation – est une cogitatio, un vécu de conscience. Le papier lui-même avec ses qualités objectives [objektiven], son extension dans l'espace, sa situation objective par rapport à cette chose spatiale qui s'appelle mon corps, n'est pas une cogitatio mais un cogitatum, n'est pas un vécu de perception, mais un perçu. Maintenant un perçu peut très bien être lui-même un vécu de conscience ; mais il est évident qu'un objet tel qu'une chose matérielle, par exemple ce papier donné dans le vécu de perception, par principe n'est pas un vécu, mais un être d'un type totalement différent.
    Avant de poursuivre plus loin, multiplions les exemples. Quand je perçois au sens propre du mot, c'est-à-dire quand je m'aperçois, quand je suis tourné vers l'objet, par exemple vers le papier, je le saisi comme étant ceci ici et maintenant. Saisir c'est extraire (ception est ex-ception) [Das Erfassen ist ein Herausfassen] ; tout ce qui est perçu se détache sur un arrière-plan d'expérience. Tout autour du papier sont des livres, des crayons, un encrier, etc. ; eux aussi sont « perçus » d'une certaine façon, offerts là à la perception, situés dans le « champ d'intuition » ; mais tout le temps que je suis tourné vers le papier je ne suis nullement tourné dans leur direction pour les saisir, pas même à titre secondaire. Ils apparaissent sans être extraits, posés pour eux-mêmes. Toute perception de chose possède ainsi une aire d'intuitions formant arrière-plan (ou de visions [Schauungen] formant arrière-plan, au cas où on inclut déjà dans le mot intuition le fait d'être tourné vers) ; cela aussi est un « vécu de conscience », ou plus brièvement, une « conscience » : entendons la conscience « de » tout ce qui en fait réside dans « l'arrière-plan » objectif co-perçu [mitgeschauten]. Ce qui est en question ici, cela va de soi, ce n'est pas ce qu'on pourrait trouver à titre « objectif » [« objektiv »] dans l'espace objectif qui peut appartenir à l'arrière-plan perçu, ni non plus toutes les choses et tous les événements arrivant à ces choses que l'expérience rigoureuse et progressive pourrait y découvrir. Ce que nous disons s'applique exclusivement à l'aire de conscience impliquée dans l'essence d'une perception opérée sous le mode particulier d'une conscience « tournée vers l'objet » [Objekt] ; nous parlons en outre de ce qui réside dans l'essence propre de cette aire même. Or elle implique que le vécu primitif puisse subir certaines modifications que nous caractérisons comme une libre conversion du « regard », - non pas purement et simplement du regard physique, « mais du regard mental » – qui se détache du papier d'abord regardé pour se porter sur les objets qui apparaissent déjà auparavant et dont on avait par conséquent une conscience « implicite » ; après la conversion du regard, ces objets accèdent à la conscience explicite, ils sont perçus « attentivement » ou « notés accessoirement »."

Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, 1913, Deuxième section, Chapitre II, § 35, trad. Paul Ricoeur, pp. 61-62 de l'édition allemande, tel Gallimard, pp. 111-113.


 

    "Partons d’un exemple. Je vois continuellement cette table : j’en fais le tour et change comme toujours ma position dans l'espace : j'ai sans cesse conscience de l'existence corporelle d'une seule et même table, de la même table qui en soi demeure inchangée. Or la perception de la table ne cesse de varier ; c'est une série continue de perceptions changeantes. Je ferme les yeux. Par mes autres sens je n'ai pas de rapport avec la table. Je n'ai plus d'elle aucune perception. J'ouvre les yeux et la perception réapparaît de nouveau. La perception ? Soyons plus exacts. En reparaissant elle n'est à aucun égard individuellement identique. Seule la table est la même : [...] elle peut être sans changer. Quant à la perception elle-même, elle est ce qu'elle est, entraînée dans le flux incessant de la conscience et elle-même sans cesse fluante: le maintenant de la perception ne cesse de se convertir en une nouvelle conscience qui s'enchaîne à la précédente, la conscience du vient-justement-de-passer ; en même temps s'allume un nouveau maintenant. Non seulement la chose perçue en général, mais toute partie, toute phase, tout moment survenant à la chose, sont, pour des raisons chaque fois identiques, nécessairement transcendants à la perception, qu'il s'agisse de qualités première ou seconde. La couleur de la chose vue ne peut par principe être un moment réel de la conscience de couleur ; elle apparaît ; mais tandis qu'elle apparaît, il est possible et nécessaire qu'au long de l'expérience qui la légitime l'apparence ne cesse de changer. La même couleur apparaît dans un divers ininterrompu d'esquisses de couleurs. La même analyse vaut pour chaque qualité‚ sensible et pour chaque forme spatiale. Une seule et même forme (donnée corporellement comme identique) m'apparaît sans cesse à nouveau « d'une autre manière » dans des esquisses de formes toujours autres. Cette situation porte la marque de la nécessité : de plus elle a manifestement une portée plus générale. Car c'est uniquement pour une raison de simplicité que nous avons pris pour exemple le cas d'une chose qui apparaît sans changement dans la perception. Il est aisé d’étendre la description à toute espèce de changements."

Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, 1913, Deuxième section, Chapitre II, § 41, trad. Paul Ricoeur, pp. 73-74 de l'édition allemande, tel Gallimard, pp. 131-132.



    "Prenons pour exemple une perception sensible, la perception simple d'un arbre : nous venons de jeter un coup d'oeil dans le jardin ; nous avons cette perception si nous contemplons dans une unité de conscience cet arbre là-bas, qui maintenant est immobile, puis apparaît agité par le vent ; il s'offre également sous différents modes d'apparaître, selon que nous modifions notre position spatiale par rapport à lui tout en continuant de le contempler, par exemple en nous approchant de la fenêtre, ou bien en changeant simplement la position de la tête et des yeux, en tendant et en relâchant à nouveau l'accommodation, etc. Une seule perception peut de cette façon englober dans son unité une grande multiplicité de modifications ; tant que notre contemplation reste conforme à l'attitude naturelle, nous attribuons tantôt ces modifications à l'objet réel [wirklichen], comme étant ses altérations ; tantôt nous les rapportons à une relation naturelle [realen] et réelle [wirklichen] qu'il entretient avec notre subjectivité psycho-physique naturelle ; enfin nous les rattachons à cette subjectivité même. Il importe maintenant de décrire ce qui subsiste de cette analyse, à titre de résidu phénoménologique, si nous retournons à la « pure immanence », et ce qui dans ce cas peut compter comme composante réelle [reelles] du pur vécu et ce qui ne le peut pas. Il faut alors apercevoir avec une clarté totale que le vécu de perception pris en lui-même comporte bien dans son essence « l'arbre perçu comme tel », ou le noème complet qui reste intact quand on met hors circuit la réalité de l'arbre lui-même et celle de l'ensemble du monde ; mais d'autre part ce noème avec son « arbre » entre guillemets n'est pas réellement [reell] contenu dans la perception, pas plus que ne l'était l'arbre de la réalité.

  Qu'est-ce qui se trouve donc réellement [reell] contenu dans la perception en tant que vécu pur, comme le sont dans le tout ses parties, ses éléments et ses moments indivisibles ? Déjà en passant nous avons mis en relief ces parties composantes authentiques, réelles [reellen], sous le titre de composantes matérielles et noétiques. Opposons-les aux composantes noématiques.
  La couleur du tronc d'arbre, en tant purement qu'elle accède à la conscience de perception, est « la même » que celle que nous attribuions à l'arbre réel avant la réduction phénoménologique (du moins comme homme « naturel » et avant l'immixtion de connaissances physiques). Cette couleur, mise entre parenthèses appartient désormais au noème. Mais elle n'appartient pas au vécu de perception en tant que composante réelle [reelles], bien que nous trouvions également en lui « quelque chose comme de la couleur » : à savoir la « couleur sensuelle » [Empfindungsfarbe] qui est le moment hylétique du vécu concret dans lequel « s'esquisse » la couleur noématique, ou « objective » [objektive].
  Ce qui alors s'esquisse, c'est une seule et même couche noématique qui, dans 1'unité continue d'une conscience changeante, accède à la conscience identique et en soi-même invariable, dans une multiplicité continue de couleurs sensuelles. Nous voyons un arbre qui ne change pas de couleur : c'est sa couleur, celle de l'arbre ; et pourtant la position des yeux, l'orientation relative changent à de multiples égards ; le regard ne cesse de se déplacer sur le tronc, sur les rameaux ; en même temps nous nous rapprochons ; et ainsi nous rendons fluide de multiple manière le vécu de perception. Faisons réflexion sur la sensation, sur les esquisses : ce sont bien des données évidentes que nous saisissons ; et si nous varions direction l'attitude et la direction de l'attention, nous pouvons, avec une parfaite évidence, mettre également en relation ces esquisses avec les moments objectifs correspondants et les reconnaître comme correspondants ; nous voyons alors sans difficulté que les couleurs esquissées qui se rattachent à quelque couleur immuable sont dans le même rapport que« l'unité » à une « multiplicité » continue.
  En opérant la réduction phénoménologique, nous accédons même à cette évidence éidétique générale : l'objet arbre, qui dans une perception en général est déterminé en tant qu'objectif, tel qu'il apparaît dans cette perception, ne peut apparaître que quand les moments hylétiques, ou bien, dans le cas où on a une série continue de perceptions, quand les mutations hylétiques continues, sont tels et non point autres. Cela implique donc que tout changement dans le statut hylétique de la perception, s'il ne supprime pas franchement la conscience de perception, doit avoir au moins pour résultat que l'objet qui apparaît devienne objectivement « autre », soit en lui-même, soit dans le mode d'orientation lié à son apparaître, etc.
  Dès lors il est également hors de doute que dans ce cas « unité » et « multiplicité » relèvent de dimensions totalement différentes ; tout ce qui est d'ordre hylétique rentre bien dans le vécu concret à titre de composante réelle [reelles] : par contre ce se « figure », ce qui « s'esquisse » dans le moment hylétique comme multiple, rentre dans le noème.
  Or la matière, disions-nous déjà plus haut, est « animée » par des moments noétiques, elle supporte (tandis que le moi est tourné non pas vers elle mais vers jet) des « appréhensions », des « donations de sens », que nous saisissons dans la réflexion sur [an] et avec la matière. Il en résulte immédiatement que le vécu inclut dans sa composition « réelle » [reellen] non seulement les moments hylétiques (les couleurs, les sons sensuels), mais aussi les appréhensions qui les animent – donc, en prenant les deux ensemble : l'apparaître de la couleur, du son, et de toute autre qualité de l'objet.
On peut donc dire d'une façon générale : en elle-même la perception est perception de son objet ; à toute composante que la description dirigée « objectivement » fait apparaître du côté de l'objet, correspond une composante réelle [reelle] du côté de la perception : bien entendu dans la mesure seulement où la perception se conforme fidèlement à l'objet tel qu'il « s'offre » [dasteht] lui-même dans cette perception. Toutes ces composantes noétiques ne peuvent même être caractérisées qu'en recourant à l'objet noématique et à ses divers moments, par conséquent en disant : conscience de, plus exactement conscience perceptive d'un tronc d'arbre, de la couleur du tronc, etc.
  Néanmoins notre réflexion a montré d'autre part que l'unité réelle [reelle] au sein du vécu des composantes hylétiques et noétiques diffère totalement de celle des composantes du noème qui « accèdent à la conscience en elles » ; elle diffère en outre de l'unité qui unit toutes ces composantes réelles [reellen] du vécu avec l'élément qui à travers elles et en elles accède à la conscience à titre de noème. Cet élément « transcendantal constitué » « sur le fondement » des vécus matériels « par le moyen » [durch] des fonctions noétiques est certes un « donné » ; c'est même un donné évident, si, nous plaçant sur le plan de l'intuition pure, nous décrivons fidèlement le vécu et ce qu'il accède à la conscience à titre de noème ; mais s'il appartient au vécu, ce n'est nullement dans le même sens que les constituants réels [reellen] du vécu qui sont dès lors ses constituants proprement dits."

 

Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, 1913, Troisième section, Chapitre IV, § 97, trad. Paul Ricoeur, pp. 202-204 de l'édition allemande, tel Gallimard, pp. 336-339.

    "Je vois une bouteille de bière, qui est brune, je m'en tiens au brun dans son extension, « tel qu'il est effectivement donné », j'exclus tout ce qui, dans le phénomène, est simplement visé et non donné. Une bouteille de bière est là, et elle a tel ou tel aspect. Je distingue les apparitions-de-bouteille-de-bière, je les transforme en objets. Je découvre les connexions entre ces apparitions, je découvre la conscience de l'identité qui les traverse. Je traduis tout cela par ces mots : la bouteille de bière apparaît de manière constamment identique dans sa durée et sa détermination. Et pourtant il y a différentes apparitions ; les apparitions ne sont pas la bouteille de bière qui apparaît en elles. Elles sont différentes, la bouteille reste toujours la même. Les apparitions sont elles-mêmes des objets. Une apparition, c'est quelque chose de continuellement identique. Elle dure « un certain temps ». Il faut distinguer dans le souvenir fermement maintenu les parties et les moments. Ce sont à leur tour des objets ; chaque partie, ou moment, est une et même dans sa durée ; cette durée apparaît dans la durée du souvenir, le moment apparaît en tant qu'être-passé identique dans sa durée."

 

Husserl, Manuscrits de Seefeld sur l'individuation, Traduction Bruce Bégout, in: Alter n° 4, 1996, pp. 371-372.

 


Date de création : 02/11/2006 @ 11:22
Dernière modification : 27/05/2011 @ 20:59
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