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Texte à méditer :  

Car quoi de plus excusable que la violence pour faire triompher la cause opprimée du droit ?   Alexis de Tocqueville


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Hors des sentiers battus
L'évidence du cogito

  "J'avais dès longtemps remarqué que pour les moeurs [1] il est besoin quelquefois de suivre des opinions qu'on sait fort incertaines, tout de même que si elles étaient indubitables, ainsi qu'il a été dit ci-dessus : mais pource qu'alors je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensai qu'il fallait que je fisse tout le contraire, et que je rejetasse comme absolument faux tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s'il ne resterait point après cela quelque chose en ma créance qui fût entièrement indubitable. Ainsi, à cause que nos sens nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu'il n'y avait aucune chose qui fût telle qu'ils nous la font imaginer ; et pource qu'il y a des hommes qui se méprennent en raisonnant, même touchant les plus simples matières de géométrie, et y font des paralogismes [2], jugeant que j'étais sujet à faillir autant qu'aucun autre, je rejetai comme fausses toutes les raisons que j'avais prises auparavant pour démonstrations ; et enfin, considérant que toutes les mêmes pensées que nous avons étant éveillés nous peuvent aussi venir quand nous dormons sans qu'il y en ait aucune pour lors qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m'étaient jamais entrées en l'esprit n'étaient non plus vraies que les illusions de mes songes. Mais aussitôt après je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose : et remarquant que cette vérité, je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée que toutes les extravagantes suppositions des sceptiques n'étaient pas capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule comme le premier principe de la philosophie".


Descartes, Discours de la méthode (1637), Quatrième partie.

[1] Actions de la vie pratique.
[2] Fautes de raisonnement.


 

  "Je suppose donc que toutes les choses que je vois sont fausses ; je me persuade que rien n’a jamais été de tout ce que ma mémoire remplie de mensonges me représente ; je pense n’avoir aucun sens ; je crois que le corps, la figure, l’étendue, le mouvement et le lieu ne sont que des fictions de mon esprit. Qu’est-ce donc qui pourra être estimé véritable ? Peut-être rien autre chose, sinon qu’il n’y a rien au monde decertain.
  Mais que sais-je s’il n’y a point quelque autre chose différente de celles que je viens de juger incertaines, de laquelle on ne puisse avoir le moindre doute ? N’y a-t-il point quelque Dieu ou quelque autre puissance qui me met en l’esprit ces pensées ? Cela n’est pas nécessaire ; car peut-être que je suis capable de les produire moi-même. Moi donc à tout le moins ne suis-je point quelque chose ? Mais j’ai déjà nié que j’eusse aucun sens ni aucun corps. J’hésite néanmoins, car que s’ensuit-il de là ? suis-je tellement dépendant du corps et des sens que je ne puisse être sans eux ? Mais je me suis persuadé qu’il n’y avait rien du tout dans le monde, qu’il n’y avait aucun ciel aucune terre, aucuns esprits ni aucuns corps ; ne me suis-je donc pas aussi persuadé que je n’étais point ? Non certes : j’étais sans doute, si je me suis persuadé, ou seulement si j’ai pensé quelque chose. Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n’y a donc point de doute que je suis, s’il me trompe ; et qu’il me trompe tant qu’il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu’après y avoir bien pensé et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce ou que je la conçois en mon esprit."

 

Descartes, Méditations métaphysiques, 1641, Seconde méditation, Livre de poche, p. 51-53.


 

    "Mais que suis-je donc ? Une chose qui pense. Qu'est-ce qu'une chose qui pense ? C'est bien une chose qui doute, qui connaît, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent. Assurément, ce n'est pas peu, si l'ensemble de ces modalités m'appartient ; mais pourquoi ne m'appartiendraient-elles pas ? Ne suis-je pas moi-même celui qui maintenant doute de presque tout, qui cependant connaît quelque chose, qui affirme que cela seul est vrai, nie tout le reste, désire en savoir davantage, ne veux pas être trompé, imagine même malgré moi beaucoup de choses, en aperçois aussi beaucoup comme si elles venaient des sens ? Y a-t-il rien de cela, quand bien même je dormirais toujours, quand bien même celui qui m'a créé se jouerait de moi autant qu'il est en son pouvoir, qui ne soit aussi vrai qu'il est vrai que je suis ? Y a-t-il rien qui se distingue de ma pensée ? Y a-t-il rien qui puisse être dit séparé de moi-même ? Car que ce soit moi qui doute, qui connais, qui veux, cela est si manifeste qu'il ne se présente rien par quoi l'expliquer avec plus d'évidence. Mais aussi, je suis encore moi, le même qui imagine ; car, quand bien même, peut-être, comme j'ai supposé, absolument aucune chose imaginée ne serait véritable, toutefois la puissance même d'imaginer existe effectivement et fait partie de ma pensée. Je suis enfin, moi, le même qui sens, c'est-à-dire qui aperçois des choses corporelles comme par l'entremise des sens : par exemple, maintenant je vois de la lumière, j'entends du bruit, je sens de la chaleur. Ces choses sont fausses puisque je dors ! Malgré tout, il me semble voir, il me semble entendre, il me semble avoir chaud, cela ne peut pas être faux ; cela est, au sens propre, ce qui en moi s'appelle sentir ; et cela, considéré dans ces limites précises, n'est rien d'autre que penser. Ainsi, je commence sans doute àconnaître un peu mieux ce que je suis."

 
Descartes, Méditations métaphysiques (1641), "Méditation seconde", § 9.

 

  "9. Ce que c'est que penser

 

  Par le mot de penser, j'entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l'apercevons immédiatement par nous-mêmes ; c'est pourquoi non seulement entendre, vouloir, imaginer, mais aussi sentir, est la même chose ici que penser. Car si je dis que je vois ou que je marche, et que j'infère de là que je suis ; si j'entends parler de l'action qui se fait avec mes yeux ou avec mes jambes, cette conclusion n'est pas tellement infaillible, que je n'aie quelque sujet d'en douter, à cause qu'il se peut faire que je pense voir ou marcher, encore que je n'ouvre point les yeux et que je ne bouge de ma place ; car cela m'arrive quelquefois en dormant, et le même pourrait peut-être arriver si je n'avais point de corps ; au lieu que si j'entends parler seulement de l'action de ma pensée ou du sentiment, c'est-à-dire de la connaissance qui est en moi, qui fait qu'il me semble que je vois ou que je marche, cette même conclusion est si absolument vraie que je n'en puis douter, à cause qu'elle se rapporte à l'âme, qui seule a la faculté de sentir ou bien de penser en quelque autre façon que ce soit."

 

René Descartes, Principes de la philosophie (1644), partie 1, § 9, Éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade, 1966, p. 574.

 


 

    "J'existe et j'ai des sens par lesquels je suis affecté. Voilà la première vérité qui me frappe et à laquelle je suis forcé d'acquiescer. Ai-je un sentiment propre de mon existence, ou ne la sens-je que par mes sensations ? Voilà mon premier doute, qu'il m'est, quant à présent, impossible de résoudre. Car, étant continuellement affecté de sensations, ou immédiatement, ou par la mémoire, comment puis-je savoir si le sentiment du moi est quelque chose hors de ces mêmes sensations, et s'il peut être indépendant d'elles ?
    Mes sensations se passent en moi, puisqu'elles me font sentir mon existence ; mais leur cause m'est étrangère, puisqu'elles m'affectent malgré que j'en aie, et qu'il ne dépend de moi ni de les produire ni de les anéantir. Je conçois donc clairement que ma sensation qui est en moi, et sa cause ou son objet qui est hors de moi, ne sont pas la même chose.
    Ainsi, non seulement j'existe, mais il existe d'autres êtres, savoir, les objets de mes sensations ; et quand ces objets ne seraient que des idées, toujours est-il vrai que ces idées ne sont pas moi."

 
Rousseau, L'Émile, 1762, Livre quatrième, Profession de foi du Vicaire Savoyard.


 

    "Tout flux vécu, tout moi en tant que tel, implique la possibilité de principe d'atteindre à cette évidence : chacun porte en soi-même la garantie de son existence [Daseins]absolue, à titre de possibilité de principe. On demandera : ne peut-on former l'idée d'un moi qui n'aurait que des images dans le flux de son vécu, d'un flux vécu qui ne consisterait qu'en intuitions du type de la fiction ? Ce moi ne découvrirait donc que des fictions de cogitationes ; ses actes de réflexion, étant donnée la nature du milieu [Medium] constitué par ce vécu, seraient uniquement des réflexions en imagination. C'est là une absurdité manifeste. Ce qui flotte en suspens devant l'esprit peut être un pur fictum ; l'acte même de l'évocation flottante, la conscience qui forme la fiction n'est pas elle-même fictive et son essence, comme tout vécu, implique la possibilité d'une réflexion qui perçoive et qui saisisse l'existence absolue. Il n'y a pas d'absurdité à ce que toutes les consciences étrangères que je pose dans l'expérience par intropathie puissent ne pas être. Mais mon intropathie, et ma conscience en général sont données de façon originaire et absolue, non seulement quant à l'essence [Essenz], mais quant à l'existence [nach Existenz]. Cette propriété remarquable ne vaut que pour le moi et pour le flux du vécu dans sa relation à soi-même ; là seulement existe et doit exister quelque chose comme une perception immanente.

    Au contraire il est de l'essence du monde des choses, comme nous le savons, que nulle perception aussi parfaite soit-elle ne donne dans son domaine un absolu ; de quoi résulte essentiellement que toute expérience aussi vaste soit-elle laisse subsister la possibilité que le donné n'existe pas, en dépit de la conscience persistance de sa présence corporelle et en personne. On peut énoncer cette loi d'essence : l'existence [Existenz] des choses n'est jamais requise comme nécessaire par sa propre donnée [durch die Gegebenheit] ; elle est d'une certaine façon toujours contingente. Ce qui signifie : il est toujours possible que le cours ultérieur de l'expérience contraigne d'abandonner ce qui antérieurement a été posé sous l'autorité de l'expérience. C'était, dit-on par la suite, une pure illusion, une hallucination, un simple rêve cohérent, etc. Il arrive de plus – et cela reste une possibilité permanente – qu'il se produit dans ce cercle de données quelque chose comme une altération des appréhensions, un brusque changement d'une apparence en une nouvelle qui ne peut s'unir à elle de façon convergente, et qu'ainsi la position de l'expérience ultérieure réagisse sur l'expérience antérieure, de sorte que les objets intentionnels de cette expérience antérieure soient pour ainsi dire remaniés par choc en retour ; de tels processus sont par essence exclus de la sphère du vécu. Il n'y a plus place dans la sphère absolue pour le conflit, le simulacre, l'altérité. C'est une sphère de position absolue.

 Il est donc clair de toute façon que tout ce qui dans le monde des choses est là pour moi, n'est par principe qu'une réalité présumée [präsumptive] ; au contraire moi-même pour qui le monde est là (à l'exclusion de ce qui est mis « par moi » au compte du monde des choses) ou, si on veut, l'actualité de mon vécu est une réalité [Wirklichkeit] absolue ; elle est donnée au moyen d'une position inconditionnée et absolument irrécusable.

 La « thèse » du monde qui est une thèse « contingente » s'oppose à la thèse de mon moi pure et de mon vécu personnel, qui est « nécessaire » et absolument indubitable. Toute chose donnée corporellement peut également ne pas être ; nul vécu donné corporellement n'a la possibilité de ne pas être également : telle est la loi d'essence qui définit et cette nécessité et cette contingence".

 

Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, 1913, Deuxième section, Chapitre II, § 46, trad. Paul Ricoeur, pp. 85-86 de l'édition allemande, tel Gallimard, p. 149-151.

 

  "Il est indubitable que je pense. Je ne suis pas sûr qu'il y ait là un cendrier ou une pipe, mais je suis sûr que je pense voir un cendrier ou une pipe. Est-il aussi facile qu'on le croit de dissocier ces deux affirmations, et de maintenir, hors de tout jugement concernant la chose vue, l'évidence de ma «pensée de voir » ? C'est au contraire impossible. La perception est justement ce genre d'acte où il ne saurait être question de mettre à part l'acte lui-même et le terme sur lequel il porte. La perception et le perçu ont nécessairement la même modalité existentielle, puisqu'on ne saurait séparer de la perception la conscience qu'elle a ou plutôt qu'elle est d'atteindre la chose même. Il ne peut être question de maintenir la certitude de la perception en récusant celle de la chose perçue. Si je vois un cendrier au sens plein du mot voir, il faut qu'il y ait là un cendrier, et je ne peux pas réprimer cette affirmation. Voir, c'est voir quelque chose. Voir du rouge, c'est voir du rouge existant en acte."

 

Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, 1945, Gallimard tel, 1979, p. 429.

 

  "Il est indubitable que je pense. Je ne suis pas sûr qu'il y ait là un cendrier ou une pipe, mais je suis sûr que je pense voir un cendrier ou une pipe. Est-il aussi facile qu'on le croit de dissocier ces deux affirmations, et de maintenir, hors de tout jugement concernant la chose vue, l'évidence de ma «pensée de voir » ? C'est au contraire impossible. La perception est justement ce genre d'acte où il ne saurait être question de mettre à part l'acte lui-même et le terme sur lequel il porte. La perception et le perçu ont nécessairement la même modalité existentielle, puisqu'on ne saurait séparer de la perception la conscience qu'elle a ou plutôt qu'elle est d'atteindre la chose même. Il ne peut être question de maintenir la certitude de la perception en récusant celle de la chose perçue. Si je vois un cendrier au sens plein du mot voir, il faut qu'il y ait là un cendrier, et je ne peux pas réprimer cette affirmation. Voir, c'est voir quelque chose. Voir du rouge, c'est voir du rouge existant en acte. On ne peut ramener la vision à la simple présomption de voir que si l'on se la représente comme la contemplation d'un quale flottant et sans ancrage. Mais si […] la qualité même, dans sa texture spé­cifique, est la suggestion qui nous est faite, et à laquelle nous répondons en tant que nous avons des champs sensoriels, d'une certaine manière d'exister, et si la perception d'une couleur douée d'une structure définie, – couleur super­ficielle ou plage colorée, – en un lieu ou à une distance précis ou vagues, suppose notre ouverture à un réel ou à un monde, comment pourrions-nous dissocier la certitude de notre existence percevante et celle de son partenaire extér­ieur ? Il est essentiel à ma vision de se référer non seule­ment à un visible prétendu, mais encore à un être actuelle­ment vu. Réciproquement, si j'élève un doute sur la prés­ence de la chose, ce doute porte sur la vision elle-même, s'il n'y a pas là de rouge ou de bleu, je dis que je n'en ai pas vraiment vu, je conviens qu'à aucun moment ne s'est produite cette adéquation de mes intentions visuelles et du visi­ble qui est la vision en acte. C'est donc de deux choses l'une : ou bien je n'ai aucune certitude concernant les choses mêmes, mais alors je ne peux pas davantage être certain de ma propre perception, prise comme simple pensée, puis­que, même ainsi, elle enveloppe l'affirmation d'une chose ; ou bien je saisis avec certitude ma pensée, mais cela suppose que j'assume du même coup les existences qu'elle vise,
  Quand Descartes nous dit que l'existence des choses visibles est douteuse, mais que notre vision, considérée comme sim­ple pensée de voir, ne l'est pas, cette position n'est pas tena­ble."

 

Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, 1945, Gallimard tel, 1979, p. 429-430.
 

 


Date de création : 02/11/2006 @ 19:47
Dernière modification : 08/12/2017 @ 13:58
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