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Texte à méditer :   Les vraies révolutions sont lentes et elles ne sont jamais sanglantes.   Jean Anouilh
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Hors des sentiers battus
La connaissance de l'autre
    "De tous les objets de notre connaissance, il ne nous reste plus que les âmes des autres hommes, et que les pures intelligences ; et il est manifeste que nous ne les connaissons que par conjecture. Nous ne les connaissons présentement ni en elles-mêmes, ni par leurs idées, et comme elles sont différentes de nous, il n'est pas possible que nous les connaissions par conscience. Nous conjecturons que les âmes des autres sont de même espèce que la nôtre. Ce que nous sentons en nous-mêmes, nous prétendons qu'ils le sentent [...].
    Je sais que deux et deux font quatre, qu'il vaut mieux être juste que d'être riche, et je ne me trompe point de croire que les autres connaissent ces vérités aussi bien que moi. J'aime le bien et le plaisir, je hais le mal et la douleur, je veux être heureux, et je ne me trompe point de croire que les hommes [...] ont ces inclinations [...]. Mais, lorsque le corps a quelque part à ce qui se passe en moi, je me trompe presque toujours si je juge des autres par moi-même. Je sens de la chaleur ; je vois une telle grandeur, une telle couleur, je goûte une telle saveur à l'approche de certains corps : je me trompe si je juge des autres par moi-même. Je suis sujet à certaines passion, j'ai de l'amitié ou de l'aversion pour telles ou telles choses ; et je juge que les autres me ressemblent : ma conjecture est souvent fausse. Ainsi la connaissance que nous avons des autres hommes est sujette à l'erreur si nous n'en jugeons que par les sentiments que nous avons de nous-mêmes."

Malebranche, De la recherche de la vérité, 1675, III, 7, Paris, Vrin, 1965, t. 1, p. 259.


    "Au point de vue de l'expérience, la différence entre une personne et celle d'autrui paraît être absolue. Nous sommes divers quant à l'espace : cette diversité me sépare d'autrui, et par suite aussi, mon bien et mon mal de ceux d'autrui. - Mais d'abord, il faut le remarquer, la notion que nous avons de notre propre moi n'est pas de celles qui épuisent le sujet et l'éclairent jusque dans son dernier fond. Grâce à l'intuition que notre cerveau construit avec les données des sens, d'une manière par conséquent indirecte, nous connaissons notre propre corps : c'est un objet dans l'espace ; grâce au sens intime, nous connaissons la série continue de nos désirs, des actes de volonté qui naissent en nous à l'occasion de motifs venus du dehors, et enfin les mouvements multiples, tantôt forts, tantôt faibles, de notre volonté elle-même, mouvements auxquels en fin de compte se ramènent tous les faits dont nous avons sentiment. Mais c'est tout : la connaissance ne saurait se connaître à son tour. Le substrat lui-même de toute cette apparence, l'être en soi, l'être intérieur, celui qui veut et qui connaît, nous est inaccessible : nous n'avons de vue que sur le dehors ; au-dedans, ténèbres. Ainsi la connaissance que nous avons de nous-mêmes n'est ni complète, ni égale en profondeur à son sujet mais plutôt elle est superficielle ; une partie, la plus grande, la plus essentielle, de nous-mêmes n'est ni complète, ni égale en profondeur à son sujet mais plutôt elle est superficielle ; une partie, la plus grande, la plus essentielle, de nous-mêmes, demeure pour nous une inconnue, un problème ; pour parler avec Kant : le moi ne se connaît qu'en qualité de phénomène, mais ce qu'il peut être en lui-même, il ne le connaît pas. - Or, en cette partie de nous, qui tombe sous notre connaissance, assurément chacun diffère nettement des autres ; mais il ne s'ensuit pas encore, qu'il en soit de même pour cette grande et essentielle partie qui demeure pour nous voilée et inconnue. Pour celle-là, il est du moins possible qu'elle soit en nous tous comme un fond unique et identique."

Schopenhauer, Le fondement de la morale, 1841, III, 14, trad. Auguste Burdeau, Le livre de poche, p. 228-229.
 


    "Quand nous raisonnons sur les objets extérieurs, mais en les considérant par rapport à nous suivant l'agrément ou le désagrément qu'ils nous causent, suivant leur utilité ou leurs inconvénients, nous possédons encore dans nos sensations un critérium intérieur. De même, quand nous raisonnons sur nos propres actes, nous avons également un guide certain, parce que nous avons conscience de ce que nous pensons et de ce que nous sentons. Mais si nous voulons juger les actes d'un autre homme et savoir les mobiles qui le font agir, c'est tout différent. Sans doute nous avons devant les yeux les mouvements de cet homme et ses manifestations qui sont, nous en sommes sûrs, les modes d'expression de sa sensibilité et de sa volonté. De plus nous admettons encore un rapport nécessaire entre les actes et leur cause ; mais quelle est cette cause ? Nous ne la sentons pas en nous, nous n'en avons pas conscience comme quand il s'agit de nous-même ; nous sommes donc obligés de l'interpréter et la supposer d'après les mouvements que nous voyons et les paroles que nous entendons. Alors nous devons contrôler les actes de cet homme les uns par les autres ; nous considérons comment il agit dans telle ou telle circonstance, et, en un mot, nous recourons à la méthode expérimentale. De même quand le savant considère les phénomènes naturels qui l'entourent et qu'il veut les connaître en eux-mêmes et dans leurs rapports mutuels et complexes de causalité, tout critérium intérieur lui fait défaut, et il est obligé d'invoquer l'expérience pour contrôler les suppositions et les raisonnements qu'il fait à leur égard. L'expérience, suivant l'expression de Goethe, devient alors la seule médiatrice entre l'objectif et le subjectif, c'est-à-dire entre le savant et les phénomènes qui l'environnent".

Claude Bernard, Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, 1865, Flammarion, p. 63-64.


  "Même avec de véritables liens d'affection, il ne peut y avoir de confiance parfaite quand il y a autorité d'un côté et subordination de l'autre. Même si l'on ne cache rien volontairement, il y a quantité de choses qu'on ne montre pas. Dans la relation analogue entre parent et enfant, tout le monde a dû remarquer le même phénomène. Bien souvent, même s'il existe entre le père et le fils une affection réelle et réciproque, le père, de toute évidence, ignore et ne soupçonne même pas certains aspects du caractère de son fils que les cama­rades et les égaux de celui-ci connaissent bien. La vérité est qu'il est extrêmement difficile d'être totalement sincère et franc avec une personne à qui l'on doit le res­pect. La peur de baisser dans son estime ou dans son affection est si forte que, même chez un caractère droit, il y a une tendance inconsciente à montrer seulement le meilleur côté de soi ou le côté qui, même s'il n'est pas le meilleur, est celui que l'autre préfère. Et l'on peut dire avec assurance qu'il n'y a pour ainsi dire jamais de connaissance approfondie et réciproque entre deux personnes, sauf si elles vivent non seulement dans l'inti­mité mais aussi sur un pied d'égalité."

 

John Stuart Mill, L'Asservissement des femmes, 1869, Chapitre I, tr. fr. Marie-Françoise Cachin, Petite Bibliothèque Payot, 1975, p. 88.



    "Les sensations d'autrui seront pour nous un monde éternellement fermé. La sensation que j'appelle rouge est-elle la même que celle que mon voisin appelle rouge, nous n'avons aucun moyen de le vérifier.
    Supposons qu'une cerise et un coquelicot produisent sur moi la sensation A et sur lui la sensation B et qu'au contraire une feuille produise sur moi la sensation B et sur lui la sensation A. Il est clair que nous n'en saurons jamais rien ; puisque j'appellerai rouge la sensation A et vert la sensation B, tandis que lui appellera la première vert et la seconde rouge. En revanche ce que nous pourrons constater c'est que, pour lui comme pour moi, la cerise et le coquelicot produisent la même sensation, puisqu'il donne le même nom aux sensations qu'il éprouve et que je fais de même.
    Les sensations sont donc intransmissibles, ou plutôt tout ce qui est qualité pure en elles est intransmissible et à jamais impénétrable. Mais il n'en est pas de même des relations entre ces sensations."

Poincaré, La valeur de la science, 1905, Champs Flammarion, 1970, p. 179.

 
  "[…] L'expérience donatrice originaire est la perception, prise au sens habituel du mot. C'est une seule et même chose qu'une réalité naturelle nous soit originairement donnée et que nous nous « en apercevions » (gewahren) ou que nous « la percevions » dans une intuition simple (schlicht). Nous avons une expérience originaire des choses physiques dans la « perception externe » ; nous ne l'avons plus dans le souvenir ou dans l'anticipation de l'attente ; nous avons une expérience originaire de nous-même et de nos états de conscience dans la perception dite interne ou perception de soi ; nous n'en avons pas d'autrui et de son vécu dans « l'intropathie » (Einfühlung). Nous « apercevons (ansehen) les vécus d'autrui » en nous fondant sur la perception de ses manifestations corporelles. Cette aperception par intropathie est bien un acte intuitif et donateur, mais non plus donateur originaire. Nous avons bien conscience d'autrui et de sa vie psychique comme étant « là en personne » (selbst da), inséparable de son corps donné là ; mais à la différence du corps, la conscience d'autrui n'est pas une donnée originaire".

Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, 1913, Première section, Chapitre premier, § 1, trad. Paul Ricoeur, p. 8 de l'édition allemande, tel Gallimard, p. 15. 


 

  "À la suite d’un certain nombre d’actions accomplies par quelqu’un qui venait de me parler et dont j’avais cru percevoir les sentiments et les intentions, je puis être forcé d’arriver à la conclusion que je l’ai mal compris ou qu’il m’a trompé, ou qu’il a fait preuve à mon égard de simulation, etc. Ce faisant, je formule réellement des jugements se rapportant à ses expériences psychiques. [...] Mais n’oublions pas, à cette occasion, que les prémisses matérielles de ces jugements et conclusions reposent sur les données fournies par la perception pure et simple, soit de l’homme auquel nous avons affaire, soit d’autres hommes -, elles supposent donc ces perceptions directes et immédiates. C’est ainsi, par exemple, que je ne vois pas seulement les « yeux » d’un autre : je vois aussi qu’« il me regarde » ; je vois même qu’« il me regarde, de façon à ce que je ne voie pas qu’il me regarde ». Je perçois ainsi qu’il « prétend » ressentir ce qu’en réalité il ne ressent pas, qu’il déchire le lien (qui m’est connu) entre sa vie psychique et son « expression naturelle » et que là où son expérience psychique exige un phénomène d’expression déterminé, il met à la place un mouvement d’expression tout à fait différent. C’est ainsi, par exemple, que si je me rends compte de son mensonge, ce n’est pas en me disant qu’il doit bien savoir que les choses ne sont pas telles qu’il les représente ou expose ou décrit : dans certaines circonstances, je suis capable de percevoir directement son mensonge, de surprendre pour ainsi dire l’acte par lequel il ment. Je puis aussi dire raisonnablement à quelqu’un : « vous voulez dire autre chose que ce que vous dites ; vous vous exprimez mal » : c’est-à-dire que je saisis le sens de ce qu’il voulait dire, sens qui ne découle certainement pas de ses paroles, car s’il en était ainsi, je ne pourrais pas les corriger conformément à l’intention que j’attribue d’avance à leur auteur.

 

Max Scheler, Nature et Forme de la sympathie, 1913, trad. M. Lefebvre, Petite Bibliothèque Payot, p. 353-355.


 

  "[…] L'expérience donatrice originaire est la perception, prise au sens habituel du mot. C'est une seule et même chose qu'une réalité naturelle nous soit originairement donnée et que nous nous « en apercevions » (gewahren) ou que nous « la percevions » dans une intuition simple (schlicht). Nous avons une expérience originaire des choses physiques dans la « perception externe » ; nous ne l'avons plus dans le souvenir ou dans l'anticipation de l'attente ; nous avons une expérience originaire de nous-même et de nos états de conscience dans la perception dite interne ou perception de soi ; nous n'en avons pas d'autrui et de son vécu dans « l'intropathie » (Einfühlung). Nous « apercevons (ansehen) les vécus d'autrui » en nous fondant sur la perception de ses manifestations corporelles. Cette aperception par intropathie est bien un acte intuitif et donateur, mais non plus donateur originaire. Nous avons bien conscience d'autrui et de sa vie psychique comme étant « là en personne » (selbst da), inséparable de son corps donné là ; mais à la différence du corps, la conscience d'autrui n'est pas une donnée originaire".

Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, 1913, Première section, Chapitre premier, § 1, trad. Paul Ricoeur, p. 8 de l'édition allemande, tel Gallimard, p. 15.

 
 "Nous avons beau être renseigné sur le passé de quelqu'un ou recevoir ses confidences, nous avons beau observer ses réactions, nous n'aurons jamais cette sensation particulière que je traduisais tout à l'heure par les mots : « je sais tout de lui ». Tout au plus dirons-nous que nous connaissons plus ou moins bien les gens que nous fréquentons. Mais cette connaissance, à y regarder de plus près, a avant tout un caractère pratique, en ce sens qu'elle sert à prévoir les réactions de nos semblables dans des circonstances déterminées et à régler notre conduite d'après ces prévisions ; d'autre part, elle reste toute relative ; il y a toujours du plus ou du moins en elle et jamais elle ne prend le caractère de l'absolu ; au contraire, elle respecte cet « inconnu » qui semble constituer le fond même de l'être humain, fond dont jaillissent, comme d'une source, pour se cristalliser à la surface, ses manifestations idéo-affectives accessibles à notre entendement. C'est ce fond, dans ce qu'il a justement d'inconnu, qui constitue, comme nous le savons, la base commune qui nous relie aux autres êtres humains et en fait, d'une façon immédiate, nos « semblables ». Comme telle, cette base reste toujours présente derrière les phénomènes idéo-affectifs qui viennent former, dans la vie journalière, la sphère d'interaction avec nos semblables. Aussi, nos connaissances, pour étendues qu'elles soient, ne touchent elles jamais à cette base ; elles laissent intact ce fond inconnu, si indispensable à la vie. Rien d'analogue au « je sais tout de lui » ne saurait surgir ici. Pour un peu j'allais dire : j'ai beau connaître quelqu'un, au fond, je ne sais rien de lui. Et c'est ce qui fait la valeur de la vie."
 
Eugène Minkowski, Le temps vécu, 1933, PUF, 1995, p. 166.

  "Les autres hommes ne sont jamais pour moi pur esprit : je ne les connais qu'à travers leurs regards, leurs gestes, leurs paroles, en un mot à travers leur corps. Certes, un autre est bien loin pour moi de se réduire à son corps, c'est ce corps animé de toutes sortes d'intentions, sujet de beaucoup d'actions ou de propos dont je me souviens et qui contribuent à dessiner pour moi sa figure morale. Mais enfin je ne saurais dissocier quelqu'un de sa silhouette, de son ton, de son accent. En le voyant une minute, je le retrouve d'emblée beaucoup mieux que je ne peux faire en énumérant tout ce que je sais de lui par expérience ou par ouï-dire. Les autres sont pour nous des esprits qui hantent un corps et, dans l'apparence totale de ce corps, il nous semble qu'est contenu tout un ensemble de possibilités dont il est la présence même. Ainsi, à considérer l'homme du dehors, c'est-à-dire en autrui, il est probable que je vais être amené â réexaminer certaines distinctions qui pourtant paraissent s'imposer, telles que celle de l'esprit et du corps."

 

Maurice Merleau-Ponty, Causeries, 1948.

 

 


Date de création : 10/11/2005 @ 19:03
Dernière modification : 01/01/2018 @ 17:54
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