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La règle comme fondement de la culture |
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"Cette absence de règles semble apporter le critère le plus sûr qui permette de distinguer un processus naturel d’un processus culturel. Rien de plus suggestif, à cet égard, que l’opposition entre l’attitude de l’enfant, même très jeune, pour qui tous les problèmes sont réglés par de nettes distinctions, plus nettes et plus impératives, parfois, que chez l’adulte, et les relations entre les membres d’un groupe simien, tout entières abandonnées au hasard et à la rencontre, où le comportement d’un sujet n’apprend rien sur celui de son congénère, où la conduite du même individu aujourd’hui ne garantit en rien sa conduite du lendemain. C’est, en effet, qu’il y a un cercle vicieux à chercher dans la nature l’origine de règles institutionnelles qui supposent – bien plus, qui sont déjà – la culture, et dont l’ instauration au sein d’un groupe peut difficilement se concevoir sans l’intervention du langage. La constance et la régularité existent, à vrai dire, aussi bien dans la nature que dans la culture. Mais au sein de la première, elles se manifestent le plus faiblement, et inversement. Dans un cas, c’est le domaine de l’hérédité biologique, dans l’autre celui de la tradition externe. On ne saurait demander à une illusoire continuité entre les deux ordres de rendre compte des points par lesquels ils s’opposent."
Lévi-Strauss, Les Structures élémentaires de la parenté, 1947, Mouton, p. 9-10.
"Il y a un cercle vicieux à chercher dans la nature l'origine de règles institutionnelles qui supposent – bien plus, qui sont déjà – la culture, et dont l'instauration au sein d'un groupe peut difficilement se concevoir sans l'intervention du langage. […]
Partout où la règle se manifeste, nous savons avec certitude être à l'étage de la culture. Symétriquement, il est aisé de reconnaître dans l'universel le critère de la nature. Car ce qui est constant chez tous les hommes échappe nécessairement au domaine des coutumes, des techniques et des institutions par lesquelles leurs groupes se différencient et s'opposent. À défaut d'analyse réelle, le double critère de la norme et de l'universalité apporte le principe d'une analyse idéale, qui peut permettre - au moins dans certains cas et dans certaines limites - d'isoler les éléments naturels des éléments culturels qui interviennent dans les synthèses de l'ordre plus complexe. Posons donc que tout ce qui est universel, chez l'homme, relève de l'ordre de la nature et se caractérise par la spontanéité, que tout ce qui est astreint à une norme appartient à la culture et présente les attributs du relatif et du particulier."
Claude Lévi-Strauss, Les Structures élémentaires de la parenté (1947), Éditions Mouton, 1971, pp. 9-10.
"Partout où la règle se manifeste, nous savons avec certitude être à l'étage de la culture. Symétriquement, il est aisé de reconnaître dans l'universel le critère de la nature. Car ce qui est constant chez tous les hommes échappe nécessairement au domaine des coutumes, des techniques et des institutions par lesquelles leurs groupes se différencient et s'opposent. À défaut d'analyse réelle, le double critère de la norme et de l'universalité apporte le principe d'une analyse idéale, qui peut permettre - au moins dans certains cas et dans certaines limites - d'isoler les éléments naturels des éléments culturels qui interviennent dans les synthèses de l'ordre plus complexe. Posons donc que tout ce qui est universel, chez l'homme, relève de l'ordre de la nature et se caractérise par la spontanéité, que tout ce qui est astreint à une norme appartient à la culture et présente les attributs du relatif et du particulier. [Or] la prohibition de l'inceste présente sans la moindre équivoque et indissolublement réunis les caractères par où nous avons reconnu les attributs contradictoires de deux ordres exclusifs ; elle constitue une règle, mais une règle qui, entre toutes les règles sociales, possède en même temps un caractère d'universalité."
Claude Lévi-Strauss, Les Structures élémentaires de la parenté, 1947, Éditions Mouton, 1971, p. 9-10.
"Posons donc que tout ce qui est universel chez l'homme relève de l'ordre de la nature et se caractérise par la spontanéité, que tout ce qui est astreint à une norme appartient à la culture et présente les attributs du relatif et du particulier. Nous nous trouvons alors confrontés avec un fait qui n'est pas loin à la lumière des définitions précédentes d'apparaître comme un scandale, nous voulons dire cet ensemble complexe de croyances, de coutumes, de stipulations et d'institutions que l'on désigne sommairement sous le nom de la prohibition de l'inceste. Car la prohibition de l'inceste présente sans la moindre équivoque et indissolublement réunis les deux caractères par où nous avons reconnu les attributs contradictoires de deux ordres exclusifs: elle constitue une règle, mais une règle qui, seule entre toutes les règles sociales, possède en même temps un caractère d'universalité."
Lévi-Strauss, Les Structures élémentaires de la parenté, 1947, Mouton, p. 10.
"[Les processus de civilisation] ne connaissent aucun instant zéro où les hommes, encore totalement non civilisés, commenceraient à se civiliser. Tout homme a la capacité s'impose à lui-même des contraintes. Aucun groupe humain ne pourrait fonctionner pendant une certaine durée si ses membres adultes ne parvenaient pas à inculquer des modèles d'auto-régulation et d'autodiscipline à ces petits êtres sauvages et totalement indisciplinés que sont les êtres humains à la naissance. ce qui se modifie au cours d'un processus de civilisation, ce sont les modèles sociaux d'autodiscipline ainsi que la manière dont ils sont inculqués à l'individu sous la forme de ce que nous appelons aujourd'hui « conscience morale » ou peut-être « raison ». Dans des sociétés anciennes, relativement petits, autarciques et indifférenciées, les normes sociales propres à un groupe peuvent requérir des mécanismes d'autodiscipline appelés à jouer dans des occasions déterminées. Par comparaison avec les critères en usage dans des sociétés plus avancées, il peut même s'agir de formes extrêmement rigoureuses d'autodiscipline.
Des rites d'initiation incluent ainsi parfois des expériences particulièrement terrifiantes qui ont pour conséquence une soumission durable à certains tabous ou la crainte d'enfreindre les règles dans un domaine précis. Mais en même temps, en d'autres occasions, la voie reste libre pour des activités chargées d'affects, pour l'expression débridée de passions auxquelles les hommes des stades ultérieurs n'ont plus accès au même degré de force et d'intensité, ces occasions étant tout aussi déterminées et encadrées par des prescriptions de caractère social que celles où se déploie une rigoureuse autodiscipline. Dans les sociétés médiévales elles-mêmes – qui pourtant, en termes de développement, étaient bien plus différenciées et complexes que les sociétés claniques –, les contrastes et fluctuations des modèles régulatifs des normes sociales représentaient un aspect constant et fondamental de l'existence humaine. À des orgies sauvages pouvaient succéder des comportements de pénitence et de mortification. Le carnaval était suivi du carême. Des formes extrêmes d'ascèse coexistaient parfois dans certains ordres monastiques avec un abandon effréné aux plaisirs de la vie. On pourrait dire d'une manière générale qu'aux premiers stades d'un processus de civilisation la conscience morale en formation est affaire de situations particulières : extrêmement forte et sévère par certains aspects ou en certaines occasions, extrêmement faible et indulgente par d'autres aspects. À des stades plus tardifs, en revanche, le modèle régnant d'autodiscipline tend vers une régulation du comportement à la fois mesurée et constante, quasiment en toute occasion."
Norbert Elias, Du temps, 1984, tr. fr. Michèle Hulin, Fayard, p. 136-138.
Date de création : 14/03/2007 @ 17:19
Dernière modification : 28/05/2013 @ 17:45
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