"Dans la mesure où la mesure criminelle est obligatoire et est engagée même lorsque la victime préfère oublier et pardonner, elle repose sur des lois dont l' « essence » est que « le crime n'est pas seulement commis contre la victime mais d'abord contre la communauté dont la loi a été violée » - selon un article de Telford Taylor publié dans le New York Times Magazine. Le malfaiteur comparaît en justice parce que son acte a perturbé et gravement mis en danger la communauté dans son ensemble et non, comme dans les affaires civiles, parce qu'il a lésé certains individus qui ont droit à un dédommagement. Dans les affaires criminelles, le dédommagement est d'une tout autre nature ; c'est le corps politique lui-même qui doit être « dédommagé » et c'est l'ordre public dans son ensemble qui a été perturbé et doit être en quelque sorte rétabli. En d'autres termes, c'est la loi, et non le plaignant, qui doit prévaloir."
Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, 1963, Épilogue, traduit de l'anglais par Anne Guérin, revue par M.-I. Brudny de Launay, Gallimard, Quarto, p. 1270.