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Texte à méditer :  Aucune philosophie n'a jamais pu mettre fin à la philosophie et pourtant c'est là le voeu secret de toute philosophie.   Georges Gusdorf
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L'usage de la démonstration en mathématiques

  "[…] nous considérerons la méthode que suivent les Géomètres comme étant celle qu'on a toujours jugée la plus propre pour persuader la vérité et en convaincre entièrement l'esprit ; et nous ferons voir premièrement ce qu'elle a de bon, et en second lieu ce qu'elle semble avoir de défectueux.
  Les Géomètres ayant pour but de n'avancer rien que de convaincant, ils ont cru pouvoir y arriver en observant trois choses en général.

  La première est de ne laisser aucune ambiguïté dans les termes, à quoi ils ont pourvu par les définitions des mots dont nous avons parlé dans la première partie.
  La deuxième est de n'établir leurs raisonnements que sur des principes clairs et évidents, et qui ne puissent être contestés par aucune personne d'esprit : ce qui fait qu'avant toutes choses ils posent les axiomes qu'ils demandent qu'on leur accorde, comme étant si clairs, qu'on les obscurcirait en voulant les prouver.
  La troisième est de prouver démonstrativement toutes les conclusions  qu'ils avancent, en ne se servant que des définitions qu'ils ont posées, des principes qui leur ont été accordés comme étant très-évidents, ou des propositions qu'ils en ont déjà tirées par la force du raisonnement, et qui leur deviennent après autant de principes.
  Ainsi, on peut réduire à ces trois chefs tout ce que les Géomètres observent pour convaincre l'esprit, et renfermer le tout en ces cinq règles très-importantes.

RÈGLES NÉCESSAIRES :

Pour les définitions.

1°. Ne laisser aucun des termes un peu obscurs ou équivoques, sans le définir.
2°. N'employer dans les définitions que des termes parfaitement connus ou déjà expliqués.

Pour les axiomes.

3°. Ne demander en axiomes que des choses parfaitement évidentes.

Pour les démonstrations.

4°. Prouver toutes les propositions un peu obscures, en n'employant à leur preuve que les définitions qui auront précédé, ou les axiomes qui auront été accordés, ou les propositions qui auront déjà été démontrées, ou la construction de la chose même dont il s'agira, lorsqu'il y aura quelque opération à faire.
5°. N'abuser jamais de l'équivoque des termes, en manquant d'y substituer mentalement les définitions qui les restreignent et qui les expliquent.
  Voilà ce que les Géomètres ont jugé nécessaire pour rendre les preuves convaincantes et invincibles : et il faut avouer que l'attention à observer ces règles est suffisante pour éviter de faire de faux raisonnements en traitant les sciences, ce qui sans doute est le principal, tout le reste pouvant se dire utile plutôt que nécessaire."

 

Antoine Arnauld et Pierre Nicole, La logique ou l'art de penser, 1662, 4e partie, Chapitre III, Champs Flammarion, 1978, p. 376-377.



  "En ce qui concerne les vérités mathématiques, on considérerait encore moins comme un géomètre celui qui saurait (par coeur), extérieurement, les théorèmes d'Euclide, sans savoir leurs démonstrations, sans les savoir, pour s'exprimer par contraste, intérieurement.
  On tiendrait également pour non satisfaisante la connaissance de la relation bien connue des côtés d'un triangle rectangle, acquise par la mesure de beaucoup de triangles rectangles. Toutefois l'essentialité de la démonstration n'a pas encore dans la connaissance mathématique la signification et la nature qui en feraient un moment du résultat même; mais dans ce résultat un tel moment est dépassé et a disparu. En tant que résultat, le théorème est bien un théorème reconnu comme un théorème vrai ; mais cette circonstance surajoutée ne concerne pas son contenu, elle concerne seulement sa relation au sujet connaissant ; le mouvement de la démonstration mathématique n'appartient pas au contenu de l'objet, mais est une opération extérieure à la chose. Par exemple la nature du triangle rectangle ne se dispose pas elle-même de la façon représentée dans la construction nécessaire pour démontrer la proposition exprimant la relation du triangle même ; tout le processus dont sort le résultat est seulement un processus de la connaissance, un moyen de la connaissance. [...]

  Dans la connaissance mathématique la réflexion est une opération extérieure à la chose ; de ce fait, il résulte que la vraie chose est altérée. Sans doute le moyen, c'est-à-dire la construction et la démonstration, contient des propositions vraies, mais on doit dire aussi bien que le contenu est faux. Le triangle, dans l'exemple précédent, est démembré, ses parties sont converties en éléments d'autres figures que la construction fait naître en lui.
  C'est seulement à la fin que le triangle est rétabli, le triangle auquel nous avions proprement affaire et qui avait été perdu de vue au cours de la démonstration, étant mis en pièces qui appartenaient à d'autres totalités. — Ici donc nous voyons entrer aussi en jeu la négativité du contenu, et on devrait la nommer une fausseté du contenu au même titre que dans le mouvement du concept la disparition des pensées tenues pour fixes. [...]
  Ainsi la démonstration suit une voie qui commence en un point quelconque sans qu'on sache encore le rapport de ce commencement au résultat qui doit en sortir. Le cours de la démonstration compte telles déterminations et tels rapports, et en écarte d'autres sans qu'on puisse se rendre compte immédiatement selon quelle nécessité cela a lieu ; une finalité extérieure régit un tel mouvement.
  L'évidence de cette connaissance défectueuse dont la mathématique est fière, et dont elle fait parade contre la philosophie, repose seulement sur la pauvreté de son but et sur la défectuosité de sa matière."

 

Hegel, La Phénoménologie de l'Esprit, 1807, Préface, trad. J. Hyppolite, Aubier-Montaigne, 1972, p. 36.38.



    "La géométrie classique, sous la forme que lui a donnée Euclide dans ses Éléments, a longtemps passé pour un modèle insurpassable, et même difficilement égalable, de théorie déductive. Les termes propres à la théorie n'y sont jamais introduits sans être définis ; les propositions n'y sont jamais avancées sans être démontrées, à l'exception d'un petit nombre d'entre elles qui sont énoncées d'abord à titre de principes : la démonstration ne peut en effet remonter à l'infini et doit bien reposer sur quelques propositions premières, mais on a pris soin de les choisir telles qu'aucun doute ne subsiste à leur égard dans un esprit sain. Bien que tout ce qu'on affirme soit empiriquement vrai, l'expérience n'est pas invoquée comme justification : le géomètre ne procède que par voie démonstrative, il ne fonde ses preuves que sur ce qui a été antérieurement établi, en se conformant aux seules lois de la logique. Chaque théorème se trouve ainsi relié, par un rapport nécessaire, aux propositions dont il se déduit comme conséquence, de sorte que, de proche en proche, se constitue un réseau serré où, directement ou indirectement, toutes les propositions communiquent entre elles. L'ensemble forme un système dont on ne pourrait distraire ou modifier une partie sans compromettre le tout. Ainsi, « les Grecs ont raisonné avec toute la justesse possible dans les mathématiques, et ils ont laissé au genre humain des modèles de l'art de démontrer ». Avec eux, la géométrie a cessé d'être un recueil de recettes pratiques ou, au mieux, d'énoncés empiriques, pour devenir une science rationnelle."


Robert Blanché, L'Axiomatique, § 1, Introduction générale, Éd. des PUF, 1955, p. 1-2.

 


 

  "Découvrir en mathématiques des théorèmes importants et féconds, tout comme découvrir dans les sciences empiriques des théories importantes et fécondes, exige un don d'invention, de l'imagination et une intuition pénétrante. D'un autre côté, on sauvegarde les intérêts de l'objectivité scientifique en exigeant une validation objective des conjectures que l'on a faites. En mathématiques, cette validation consiste en une démonstration par dérivation déductive à partir d'axiomes. Quand la conjecture dont on a eu l'idée est une proposition mathématique, sa démonstration ou sa réfutation exigent encore un esprit d'invention et une habileté souvent extrêmes ; car les règles d'inférence déductive ne fournissent même pas une procédure mécanique générale pour construire des preuves ou des réfutations. Le rôle méthodologique de ces règles est modeste ; elles servent plutôt de critères pour juger de la solidité des raisonnements présentés à titre de démonstrations ; un raisonnement constituera une démonstration mathématique valide s'il conduit des axiomes au théorème proposé par une chaîne d'inférences successives dont chacune est valide au regard de l'une des règles d'inférence déductive. Et vérifier si un raisonnement donné est une démonstration valide en ce sens est, bien entendu, un travail purement mécanique."

 

Carl Hempel, Éléments d'épistémologie, 1966, Chapitre 2, tr. fr. Bertrand Saint-Sernin, Armand Colin, 1996, p. 25-26.

 

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Date de création : 15/05/2007 @ 13:59
Dernière modification : 15/05/2015 @ 12:21
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