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Texte à méditer :  L'histoire du monde est le tribunal du monde.
  
Schiller
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Hors des sentiers battus
La division du travail

  "Selon moi, repris-je [1], la cité se forme parce que chacun d'entre nous se trouve dans la situation de ne pas se suffire à lui-même, mais au contraire de manquer de beaucoup de choses. Y a-t-il, d'après toi, une autre cause à la fondation d'une cité ?

- Aucune, dit-il [2].

- Dès lors, un homme recourt à un autre pour un besoin particulier, puis à un autre en fonction de tel besoin, et parce qu'ils manquent d'une multitude de choses, les hommes se rassemblent nombreux au sein d'une même fondation, s'associant pour s'entraider. C'est bien à cette société que nous avons donné le nom de cité, n'est-ce pas ?

- Exactement.

- Mais quand un homme procède à un échange avec un autre, qu'il donne ou qu'il reçoive, c'est toujours à la pensée que cela est mieux pour lui ?

- Tout à fait.

- Eh bien, allons, dis-je, construisons en paroles notre cité, en commençant par ses débuts et ce sont nos besoins, semble-t-il, qui en constitueront le fondement.

- Assurément.

- Mais le premier et le plus important des besoins est de se procurer de la nourriture, pour assurer la subsistance et la vie.

- Oui, absolument.

- Le deuxième est celui du logement ; le troisième, celui du vêtement et des choses de ce genre.

- C'est bien cela.

- Mais voyons, repris-je, comment la cité suffira-t-elle à pourvoir de tels besoins ? Y a-t-il un autre moyen qu'en faisant de l'un un laboureur, de l'autre un maçon, de l'autre un tisserand ? Ajouterons-nous également un cordonnier ou quelque autre artisan pour s'occuper des soins du corps ? […] La cité réduite aux nécessités les plus élémentaires serait donc formée de quatre ou cinq hommes."

 

Platon, La République, Livre II, 369 b-e, Éd. Garnier-Flammarion, trad. Georges Leroux, 2002.


[1] Repris-je : c'est Socrate qui parle.

 [2] Dit-il : l'interlocuteur de Socrate se nomme Adimante.


 

    "Prenons un exemple dans une manufacture de la plus petite importance, mais où la division du travail s'est fait souvent remarquer : une manufacture d'épingles.

    Un homme qui ne serait pas façonné à ce genre d'ouvrage, dont la division du travail a fait un métier particulier, ni accoutumé à se servir des instruments qui y sont en usage, dont l'invention est probablement due encore à la division du travail, cet ouvrier, quelque adroit qu'il fût, pourrait peut-être à peine faire une épingle dans toute sa journée, et certainement il n'en ferait pas une vingtaine. Mais de la manière dont cette industrie est maintenant conduite, non seulement l'ouvrage entier forme un métier particulier, mais même cet ouvrage est divisé en un grand nombre de branches, dont la plupart constituent autant de métiers particuliers. Un ouvrier tire le fil à la bobine, un autre le dresse, un troisième coupe la dressée, un quatrième empointe, un cinquième est employé à émoudre le bout qui doit recevoir la tête. Cette tête est elle-même l'objet de deux ou trois opérations séparées : la frapper est une besogne particulière; blanchir les épingles en est une autre; c'est même un métier distinct et séparé que de piquer les papiers et d'y bouter les épingles; enfin l'important travail de faire une épingle est divisé en dix-huit opérations distinctes ou environ, lesquelles, dans certaines fabriques, sont remplies par autant de mains différentes, quoique dans d'autres le même ouvrier en remplisse deux ou trois. J'ai vu une petite manufacture de ce genre qui n'employait que dix ouvriers, et où par conséquent quelques-uns d'eux étaient chargés de deux ou trois opérations. Mais, quoique la fabrique fût fort pauvre et, par cette raison, mal outillée, cependant, quand ils se mettaient en train, ils venaient à bout de faire entre eux environ douze livres d'épingles par jour : or, chaque livre contient au delà de quatre mille épingles de taille moyenne. Ainsi ces dix ouvriers pouvaient faire entre eux plus de quarante-huit milliers d'épingles dans une journée; donc chaque ouvrier, faisant une dixième partie de ce produit, peut être considéré comme faisant dans sa journée quatre mille huit cents épingles. Mais s'ils avaient tous travaillé à part et indépendamment les uns des autres, et s'ils n'avaient pas été façonnés à cette besogne particulière, chacun d'eux assurément n'eût pas fait vingt épingles, peut-être pas une seule, dans sa journée, c'est-à-dire pas, à coup sûr, la deux cent quarantième partie, et pas peut-être la quatre mille huit centième partie de ce qu'ils sont maintenant en état de faire, en conséquence d'une division et d'une combinaison convenables de leurs différentes opérations.

    Dans tout autre art et manufacture, les effets de la division du travail sont les mêmes que ceux que nous venons d'observer dans la fabrique d'une épingle, quoiqu'en un grand nombre le travail ne puisse pas être aussi subdivisé ni réduit à des opérations d'une aussi grande simplicité. Toutefois, dans chaque art, la division du travail, aussi loin qu'elle peut y être portée, donne lieu à un accroissement proportionnel dans la puissance productive du travail. C'est cet avantage qui parait avoir donné naissance à la séparation des divers emplois et métiers. Aussi cette séparation est en général poussée plus loin dans les pays qui jouissent du plus haut degré de perfectionnement : ce qui, dans une société encore un peu grossière, est l'ouvrage d'un seul homme, devient, dans une société plus avancée, la besogne de plusieurs. Dans toute société avancée, un fermier en général n'est que fermier, un fabricant n'est que fabricant. Le travail nécessaire pour produire complètement un objet manufacturé est aussi presque toujours divisé entre un grand nombre de mains. Que de métiers différents sont employés dans chaque branche des ouvrages manufacturés, de toile ou de laine, depuis l'ouvrier qui travaille à faire croître le lin et la laine jusqu'à celui qui est employé à blanchir et à lisser la toile ou à teindre et à lustrer le drap !"

 

Adam Smith, Recherches sur la Nature et les Causes de la Richesse des Nations, 1776, Livre I, Chap.1, Flammarion, 1991.


 

  "Cette grande augmentation dans la quantité d’ouvrage qu’un même nombre de bras est en état de fournir, en conséquence de la division du travail, est due à trois circonstances différentes :

- premièrement, à un accroissement d’habileté chez chaque ouvrier individuellement ;

- deuxièmement, à l’épargne du temps qui se perd ordinairement quand on passe d’une espèce d’ouvrage à une autre ;

- troisièmement enfin, à l’invention d’un grand nombre de machines qui facilitent et abrègent le travail, et qui permettent à un homme de remplir la tâche de plusieurs. [...]

  Premièrement, l'accroissement de l'habileté dans l'ouvrier augmente la quantité d'ou­vrage qu'il peut accomplir, et la division du travail, en réduisant la tâche de cha­que homme à quelque opération très simple et en faisant de cette opération la seule occupation de sa vie, lui fait acquérir nécessairement une très grande dextérité. […]

  En second lieu, l'avantage qu'on gagne à épargner le temps qui se perd commu­nément en passant d'une sorte d'ouvrage à une autre, est beaucoup plus grand que nous ne pourrions le penser au premier coup d’œil. […] Cette habitude de flâner et de travailler sans application et avec nonchalance est naturelle à l'ouvrier de la campagne, ou plutôt il la contracte nécessairement, étant obligé de changer d'ouvrage et d'outils à chaque demi-heure, et de mettre la main chaque jour de sa vie à vingt besognes différentes; elle le rend presque toujours paresseux et incapable d'un travail sérieux et appliqué, même dans les occasions où il est le plus pressé d'ouvrage. Ainsi, indépendamment de ce qui lui manque en dextérité, cette seule raison diminuera con­si­dérablement la quantité d'ouvrage qu'il sera en état d'accomplir.

  En troisième et dernier lieu […] je ferai remarquer seulement qu'il semble que c'est à la division du travail qu'est originairement due l'invention de toutes ces machines propres à abréger et à faciliter le travail. Quand l'attention d'un homme est toute dirigée vers un objet, il est bien plus propre à découvrir les méthodes les plus promptes et les plus aisées pour l'atteindre, que lorsque cette attention embrasse une grande variété de choses. […] Dans les premières machines à feu, il y avait un petit garçon continuellement occupé à ouvrir et à fermer alternativement la communication entre la chaudière et le cylindre, suivant que le piston montait ou descendait. L'un de ces petits garçons, qui avait envie de jouer avec ses camarades, observa qu'en mettant un cordon au manche de la soupape qui ouvrait cette communication, et en attachant ce cordon à une autre partie de la machine, cette soupape s'ouvrirait et se fermerait sans lui, et qu'il aurait la liberté de jouer tout à son aise. Ainsi, une des découvertes qui a le plus contribué à perfectionner ces sortes de machines depuis leur invention, est due à un enfant qui ne cherchait qu'à s'épargner de la peine."

 

Adam Smith, Recherches sur la Nature et les Causes de la Richesse des Nations, 1776, Livre I, Chap.1, Flammarion, 1991.


 

    "L'État ne devrait-il donc s'occuper en aucune manière, va-t-on me demander, de l'éducation du peuple? […] Dans certaines circonstances, il est indispensable que le gouvernement prenne quelques soins pour empêcher la dégénération et la corruption presque totale du corps de la nation.

    Dans les progrès que fait la division du travail, l'occupation de la très majeure partie de ceux qui vivent de travail, c'est-à-dire de la masse du peuple, se borne à un très petit nombre d'opérations simples, très souvent à une ou deux. L'intelligence de la plupart des hommes se forme nécessairement par leurs occupations ordinaires. Un homme qui passe toute sa vie à remplir un petit nombre d'opérations simples, dont les effets sont aussi peut-être toujours les mêmes […] n'a pas lieu de développer son intelligence ni d'exercer son imagination à chercher des expédients pour écarter des difficultés qui ne se rencontrent jamais. Il perd donc naturellement l'habitude de déployer ou d'exercer ces facultés et devient, en général, aussi stupide et aussi ignorant qu'il soit possible à une créature humaine de le devenir. L'engourdissement de ses facultés morales le rend non seulement incapable de goûter aucune conversation raisonnable ni d'y prendre part, mais même d'éprouver aucune affection noble, généreuse ou tendre et, par conséquent, de former aucun jugement un peu juste sur la plupart des devoirs même les plus ordinaires de la vie privée. Quant aux grands intérêts, aux grandes affaires du pays, il est totalement hors d'état d'en juger."

 

Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), Tome II, Flammarion, 1991.
 

  "Ought the public, therefore, to give no attention, it may be asked, to the education of the people ? […]
  In some cases the state of the society necessarily places the greater part of individuals in such situations as naturally form in them, without any attention of government, almost all the abilities and virtues which that state requires, or perhaps can admit of. In other cases the state of the society does not place the part of individuals in such situations, and some attention of government is necessary in order to prevent the almost entire corruption and degeneracy of the great body of the people.
  In the progress of the division of labour, the employment of the far greater part of those who live by labour, that is, of the great body of the people, comes to be confined to a few very simple operations, frequently to one or two. But the understandings of the greater part of men are necessarily formed by their ordinary employments. The man whose whole life is spent in performing a few simple operations, of which the effects are perhaps always the same, or very nearly the same, has no occasion to exert his understanding or to exercise his invention in finding out expedients for removing difficulties which never occur. He naturally loses, therefore, the habit of such exertion, and generally becomes as stupid and ignorant as it is possible for a human creature to become. The torpor of his mind renders him not only incapable of relishing or bearing a part in any rational conversation, but of conceiving any generous, noble, or tender sentiment, and consequently of forming any just judgment concerning many even of the ordinary duties of private life."
 
Adam Smith, An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations, 1776, Book V, Chapter I, Part III, Article II, Bantam Classics, pp. 986-987.

 

 "Quand la société est encore dans cet état d'enfance où il n'y a aucune division de travail, où il ne se fait presque point d'échanges et où chaque individu pourvoit lui-même à tous ses besoins, il n'est pas nécessaire qu'il existe aucun fonds accumulé ou amassé d'avance pour faire marcher les affaires de la société. Chaque homme cherche, dans sa propre industrie, les moyens de satisfaire aux besoins du moment, à mesure qu'ils se font sentir. Quand la faim le presse, il s'en va chasser dans la forêt; quand son vêtement est usé, il s'habille avec la peau du premier animal qu'il tue; et si sa hutte commence à menacer ruine, il la répare, du mieux qu'il peut, avec les branches d'arbre et la terre qui se trouvent sous sa main.
 Mais, quand une fois la division du travail est généralement établie, un homme ne peut plus appliquer son travail personnel qu'à une bien petite partie des besoins qui lui surviennent. Il pourvoit à la plus grande partie de ces besoins par les produits du travail d'autrui achetés avec le produit de son travail, ou, ce qui revient au même, avec le prix de ce produit. Or, cet achat ne peut se faire à moins qu'il n'ait eu le temps, non seulement d'achever tout à fait, mais encore de vendre le produit de son travail. Il faut donc qu'en attendant il existe quelque part un fonds de denrées de différentes espèces, amassé d'avance pour le faire subsister et lui fournir, en outre, la matière et les instruments nécessaires à son ouvrage. Un tisserand ne peut pas vaquer entièrement à sa besogne particulière s'il n'y a quelque part, soit en sa possession, soit en celle d'un tiers, une provision faite par avance, où il trouve de quoi subsister et de quoi se fournir des outils de son métier et de la matière de son ouvrage, jusqu'à ce que sa toile puisse être non seulement achevée, mais encore vendue. Il est évident qu'il faut que l'accumulation précède le moment où il pourra appliquer son industrie à entreprendre et achever cette besogne.
 Puis donc que, dans la nature des choses, l'accumulation d'un capital est un préa­lable nécessaire à la division du travail, le travail ne peut recevoir des subdivisions ultérieures qu'en proportion de l'accumulation progressive des capitaux. À mesure que le travail se subdivise, la quantité de matières qu'un même nombre de personnes peut mettre en oeuvre augmente dans une grande proportion; et comme la tâche de chaque ouvrier se trouve successivement réduite à un plus grand degré de simplicité, il arrive qu'on invente une foule de nouvelles machines pour faciliter et abréger ces tâches. À mesure donc que la division du travail devient plus grande, il faut, pour qu'un même nombre d'ouvriers soit constamment occupé, qu'on accumule d'avance une égale provision de vivres, et une provision de matières et d'outils plus forte que celle qui aurait été nécessaire dans un état de choses moins avancé. Or, le nombre des ouvriers augmente, en général, dans chaque branche d'industrie, en même temps qu'y augmen­te la division du travail, ou plutôt c'est l'augmentation de leur nombre qui les met à portée de se classer et de se subdiviser de cette manière.
 De même que le travail ne peut acquérir cette grande extension de puissance pro­duc­tive sans une accumulation préalable de capitaux, de même l'accumulation des capitaux amène naturellement cette extension. La personne qui emploie son capital à faire travailler cherche nécessairement à l'employer de manière à ce qu'il produise la plus grande quantité possible d'ouvrage; elle tâche donc à la fois d'établir entre ses ouvriers la distribution de travaux la plus convenable, et de les fournir des meilleures machines qu'elle puisse imaginer ou qu'elle soit à même de se procurer. Ses moyens pour réussir dans ces deux objets sont proportionnés, en général, à l'étendue de son capital ou au nombre de gens que ce capital peut tenir occupés. Ainsi, non seulement la quantité d'industrie augmente dans un pays en raison de l'accroissement du capital qui la met en activité, mais encore, par une suite de cet accroissement, la même quantité d'industrie produit une beaucoup plus grande quantité d'ouvrages."
 
Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776, Livre II, Introduction, tr. Fr. Germain Garnier, 1881.
 
 "In that rude state of society in which there is no division of labour, in which exchanges are seldom made, and in which every man provides every thing for himself, it is not necessary that any stock should be accumulated or stored up beforehand in order to carry on the business of the society. Every man endeavours to supply by his own industry his own occasional wants as they occur. When he is hungry, he goes to the forest to hunt ; when his coat is worn out, he cloaths himself with the skin of the first large animal he kills: and when his hut begins to go to ruin, he repairs it, as well as he can, with the trees and the turf that are nearest it.
 But when the division of labour has once been thoroughly introduced, the produce of a man’s own labour can supply but a very small part of his occasional wants. The far greater part of them are supplied by the produce of other mens labour, which he purchases with the produce, or, what is the same thing, with the price of the produce of his own. But this purchase cannot be made till such time as the produce of his own labour has not only been compleated, but sold. A stock of goods of different kinds, therefore, must be stored up somewhere sufficient to maintain him, and to supply him with the materials and tools of his work till such time, at least, as both these events can be brought about. A weaver cannot apply himself entirely to his peculiar business, unless there is beforehand stored up somewhere, either in his own possession or in that of some other person, a stock sufficient to maintain him, and to supply him with the materials and tools of his work, till he has not only compleated, but sold his web. This accumulation must, evidently, be previous to his applying his industry for so long a time to such a peculiar business.
3As the accumulation of stock must, in the nature of things, be previous to the division of labour, so labour can be more and more subdivided in proportion only as stock is previously more and more accumulated. The quantity of materials which the same number of people can work up, increases in a great proportion as labour comes to be more and more subdivided; and as the operations of each workman are gradually reduced to a greater degree of simplicity, a variety of new machines come to be invented for facilitating and abridging those operations. As the division of labour advances, therefore, in order to give constant employment to an equal number of workmen, an equal stock of provisions, and a greater stock of materials and tools than what would have been necessary in a ruder state of things, must be accumulated beforehand. But the number of workmen in every branch of business generally increases with the division of labour in that branch, or rather it is the increase of their number which enables them to class and subdivide themselves in this manner.
 As the accumulation of stock is previously necessary for carrying on this great improvement in the productive powers of labour, so that accumulation naturally leads to this improvement. The person who employs his stock in maintaining labour, necessarily wishes to employ it in such a manner as to produce as great a quantity of work as possible. He endeavours, therefore, both to make among his workmen the most proper distribution of employment, and to furnish them with the best machines which he can either invent or afford to purchase. His abilities in both these respects are generally in proportion to the extent of his stock, or to the number of people whom it can employ. The quantity of industry, therefore, not only increases in every country with the increase of the stock which employs it, but, in consequence of that increase, the same quantity of industry produces a much greater quantity of work."
 
Adam Smith, The Wealth of nations, 1776, Book II, Introduction, pp. 349-351.

 

  "J'ai montré comment la démocratie favorisait les développements de l'industrie et multipliait sans mesure le nombre des industriels ; nous allons voir par quel chemin détourné l'industrie pourrait bien à son tour ramener les hommes vers l'aristocratie.
  On a reconnu que quand un ouvrier ne s'occupait tous les jours que du même détail, on parvenait plus aisément, plus rapidement et avec plus d'économie à la production générale de l'œuvre. On a également reconnu que plus une industrie était entreprise en grand, avec de grands capitaux, un grand crédit, plus ses produits étaient à bon marché. Ces vérités étaient entrevues depuis longtemps, mais on les a démontrées de nos jours. Déjà on les applique à plusieurs industries très importantes, et successivement les moindres s'en emparent.

  Je ne vois rien dans le monde politique qui doive préoccuper davantage le législateur que ces deux nouveaux axiomes de la science industrielle.
  Quand un artisan se livre sans cesse et uniquement à la fabrication d'un seul objet, il finit par s'acquitter de ce travail avec une dextérité singulière. Mais il perd, en même temps, la faculté générale d'appliquer son esprit à la direction du travail. Il devient chaque jour plus habile et moins industrieux, et l'on peut dire qu'en lui l'homme se dégrade à mesure que l'ouvrier se perfectionne. Que doit-on attendre d'un homme qui a employé vingt ans de sa vie à faire des têtes d'épingles ? et à quoi peut désormais s'appliquer chez lui cette puissante intelligence humaine, qui a souvent remué le monde, sinon à rechercher le meilleur moyen de faire des têtes d'épingles !
  Lorsqu'un ouvrier a consumé de cette manière une portion considérable de son existence, sa pensée s'est arrêtée pour jamais près de l'objet journalier de ses labeurs ; son corps a contracté certaines habitudes fixes dont il ne lui est plus permis de se départir. En un mot, il n'appartient plus à lui-même, mais à la profession qu'il a choisie. C'est en vain que les lois et les mœurs ont pris soin de briser autour de cet homme toutes les barrières et de lui ouvrir de tous côtés mille chemins différents vers la fortune : une théorie industrielle plus puissante que les mœurs et les lois l'a attaché à un métier, et souvent à un lieu qu'il ne peut quitter. Elle lui a assigné dans la société une certaine place dont il ne peut sortir. Au milieu du mouvement universel, elle l'a rendu immobile.
  À mesure que le principe de la division du travail reçoit une application plus complète, l'ouvrier devient plus faible, plus borné et plus dépendant. L'art fait des progrès, l'artisan rétrograde. D'un autre côté, à mesure qu'il se découvre plus manifestement que les produits d'une industrie sont d'autant plus parfaits et d'autant moins chers que la manufacture est plus vaste et le capital plus grand, des hommes très riches et très éclairés se présentent pour exploiter des industries qui, jusque-là, avaient été livrées à des artisans ignorants ou malaisés. La grandeur des efforts nécessaires et l'immensité des résultats à obtenir les attirent.
  Ainsi donc, dans le même temps que la science industrielle abaisse sans cesse la classe des ouvriers, elle élève celle des maîtres.
  Tandis que l'ouvrier ramène de plus en plus son intelligence à l'étude d'un seul détail, le maître promène chaque jour ses regards sur un plus vaste ensemble, et son esprit s'étend en proportion que celui de l'autre se resserre. Bientôt il ne faudra plus au second que la force physique sans l'intelligence ; le premier a besoin de la science, et presque du génie pour réussir. L'un ressemble de plus en plus à l'administrateur d'un vaste empire, et l'autre à une brute.
  Le maître et l'ouvrier n'ont donc ici rien de semblable, et ils différent chaque jour davantage. Ils ne se tiennent que comme les deux anneaux extrêmes d'une longue chaîne. Chacun occupe une place qui est faite pour lui, et dont il ne sort point. L'un est dans une dépendance continuelle, étroite et nécessaire de l'autre, et semble né pour obéir, comme celui-ci pour commander.
  Qu'est-ce ceci, sinon de l'aristocratie ?"

 

Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome 2, 1840, 2e partie, chapitre XX.


 

  "Il en est tout autrement de la solidarité que produit la division du travail. Tandis que la précédente implique que les individus se ressemblent, celle-ci suppose qu’ils diffèrent les uns des autres. La première n’est possible que dans la mesure où la personnalité individuelle est absorbée dans la personnalité collective ; la seconde n’est possible que si chacun a une sphère d’action qui lui est propre, par conséquent une personnalité. Il faut donc que la conscience collective laisse découverte une partie de la conscience individuelle, pour que s’y établissent ces fonctions spéciales qu’elle ne peut pas réglementer ; et plus cette région est étendue, plus est forte la cohésion qui résulte de cette solidarité. En effet, d’une part, chacun dépend d’autant plus étroitement de la société que le travail est plus divisé, et, d’autre part, l’activité de chacun est d’autant plus personnelle qu’elle est plus spécialisée. Sans doute, si circonscrite qu’elle soit, elle n’est jamais complètement originale ; même dans l’exercice de notre profession, nous nous conformons à des usages, à des pratiques qui nous sont communes avec toute notre corporation. Mais, même dans ce cas, le joug que nous subissons est autrement moins lourd que quand la société tout entière pèse sur nous, et il laisse bien plus de place au libre jeu de notre initiative. Ici donc, l’individualité du tout s’accroît en même temps que celle des parties ; la société devient plus capable de se mouvoir avec ensemble, en même temps que chacun de ses éléments a plus de mouvements propres. Cette solidarité ressemble à celle que l’on observe chez les animaux supérieurs. Chaque organe, en effet, y a sa physionomie spéciale, son autonomie, et pourtant l’unité de l’organisme est d’autant plus grande que cette individualisation des parties est plus marquée. En raison de cette analogie, nous proposons d’appeler organique la solidarité qui est due à la division du travail."

 

Emile Durkheim, De la division du travail social, 1893, PUF, 1967, livre I, chap. III, § 4.


  

"Si richement doués que nous soyons, il nous manque toujours quelque chose, et les meilleurs d'entre nous ont le sentiment de leur insuffisance. C'est pourquoi nous cherchons chez nos amis les qualités qui nous font défaut, parce qu'en nous unissant à eux nous participons en quelque manière à leur nature, et que nous nous sentons alors moins incomplets. Il se forme ainsi de petites associations d'amis où chacun a son rôle conforme à son caractère, où il y a un véritable échange de services. L'un protège, l'autre console, celui-ci conseille, celui-là exécute, et c'est ce partage des fonctions, ou, pour employer l'expression consacrée, cette division du travail qui détermine ces relations d'amitié.

Nous sommes ainsi conduits à considérer la division du travail sous un nouvel aspect. Dans ce cas, en effet, les services économiques qu'elle peut rendre sont peu de chose à côté de l'effet moral qu'elle produit, et sa véritable fonction est de créer entre deux ou plusieurs personnes un sentiment de solidarité. De quelque manière que ce résultat soit obtenu, c'est elle qui suscite ces sociétés d'amis, et elle les marque de son empreinte."

 

Emile Durkheim, De la division du travail social, 1893, p. 18.

 


 

 

 
  "Tandis que la spécialisation est essentiellement guidée par le produit fini, dont la nature est d'exiger des compétences diverses qu'il faut -rassembler et organiser, la division du travail, au contraire, présuppose l'équivalence qualitative de toutes les activités pour lesquelles on ne demande aucune compétence spéciale, et ces activités n'ont en soi aucune finalité : elles ne représentent que des sommes de force de travail que l'on additionne de manière purement quantitative. La division du travail se fonde sur le fait que deux hommes peuvent mettre en commun leur force de travail et « se conduire l'un envers l'autre comme s'ils étaient un ». Cette « unité » est exactement le contraire de la coopération, elle renvoie à l'unité de l'espèce par rapport à laquelle tous les membres un à un sont identiques et interchangeables. [...] Comme aucune des activités en lesquelles le processus est divisé n'a de fin en soi, leur fin « naturelle » est exactement la même que dans le cas du travail « non divisé » : soit la simple reproduction des moyens de subsistance, c'est-à-dire la capacité de consommation des travailleurs, soit l'épuisement de la force de travail. Toutefois, ni l'une ni l'autre de ces limites ne sont définitives ; l'épuisement fait partie du processus vital de l'individu, non de la collectivité, et le sujet du processus de travail, lorsqu'il y a division du travail, est une force collective et non pas individuelle. L' « inépuisabilité » de cette force de travail correspond exactement à l'immortalité de l'espèce, dont le processus vital pris dans l'ensemble n'est pas davantage interrompu par les naissances et les morts individuelles de ses membres."
 
Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, Chapitre III, tr. fr. Georges Fradier, Pocket, 1994, pp. 172-173.

  

 

 


Date de création : 24/09/2007 @ 16:21
Dernière modification : 27/02/2023 @ 09:22
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