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Texte à méditer :  Aucune philosophie n'a jamais pu mettre fin à la philosophie et pourtant c'est là le voeu secret de toute philosophie.   Georges Gusdorf
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Hors des sentiers battus
La dimension pratique de la science

  "L’homme, ministre et interprète de la nature, n’étend ses actions et ses connaissances qu’à mesure de ses observations, par les choses ou par l’esprit, sur l’ordre de la nature ; il ne sait ni ne peut rien de plus.
  Ni la main ni l’entendement laissé à lui-même n’ont beaucoup de force ; l’exécution demande des instruments et des aides dont l’entendement n’a pas moins besoin que la main.

  Science et puissance aboutissent au même, car l’ignorance de la cause prive de l’effet. On ne triomphe de la nature qu’en lui obéissant ; et ce qui dans la spéculation vaut comme cause, vaut comme règle dans l’opération."

 

Francis Bacon, Novum Organum, 1620, Livre I, § 1-3, tr. fr. M. Malherbe et J.-M. Pousseur, PUF, 1986, p. 101.



  "Sitôt que j'ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que, commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j'ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s'est servi jusqu'à présent, j'ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer, autant qu'il est en nous, le bien général de tous les hommes. Car elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu'au lieu de cette philosophie spéculative, qu'on enseigne dans les écoles, on peut en trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices, qui feraient qu'on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie ; car même l'esprit dépend si fort du tempérament, et de la disponibilité des organes du corps que, sil est possible de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont été jusques ici, je crois que c'est dans la médecine qu'on doit le chercher."

René Descartes, Discours de la méthode, 1637, sixième partie.


 

 
 "Depuis que la subordination constante de l'imagination à l'observation a été unanimement reconnue comme la première condition fondamentale de toute saine spéculation scientifique, une vicieuse interprétation a souvent conduit à abuser beaucoup de ce grand principe logique, pour faire dégénérer la science réelle en une sorte de stérile accumulation de faits incohérents, qui ne pourrait offrir d'autre mérite essentiel que celui de l'exactitude partielle. Il importe donc de bien sentir que le véritable esprit positif n'est pas moins éloigné, au fond, de l'empirisme que du mysticisme ; c'est entre ces deux aberrations, également funestes, qu'il doit toujours cheminer : le besoin d'une telle réserve continue, aussi difficile qu'importante, suffirait d'ailleurs pour vérifier, conformément à nos explications initiales, combien la vraie positivité doit être mûrement préparée, de manière à ne pouvoir nullement convenir à l'état naissant de l'Humanité. C'est dans les lois des phénomènes que consiste réellement la science, à laquelle les faits proprement dits, quelque exacts et nombreux qu'ils puissent être, ne fournissent jamais que d'indispensables matériaux.
 Or, en considérant la destination constante de ces lois, on peut dire, sans aucune exagération, que la véritable science bien loin d'être formée de simples observations, tend toujours à dispenser autant que possible, de l'exploration directe, en y substituant cette prévision rationnelle, qui constitue, à tous égards, le principal caractère de l'esprit positif, comme l'ensemble des études astronomiques nous le fera clairement sentir. Une telle prévision, suite nécessaire des relations constantes découvertes entre les phénomènes, ne permettra jamais de confondre la science réelle avec cette vaine érudition qui accumule machinalement des faits sans aspirer à les déduire les uns des autres. [...] L'exploration directe des phénomènes accomplis ne pourrait suffire à nous permettre d'en modifier l'accomplissement, si elle ne nous conduisait pas à le prévoir convenablement. Ainsi, le véritable esprit positif consiste surtout à voir pour prévoir, à étudier ce qui est afin d'en conclure ce qui sera, d'après le dogme général de l'invariabilité des lois naturelles."
 
Auguste Comte, Discours sur l'esprit positif, 1842, § 15, Vrin, 1995, p. 71-74.

 

    "Quel est l'objet essentiel de la science ? C'est d'accroître notre influence sur les choses. La science peut être spéculative dans sa forme, désintéressée dans ses fins immédiates : en d'autres termes, nous pouvons lui faire crédit aussi longtemps qu'elle voudra. Mais l'échéance a beau être reculée, il faut que nous soyons finalement payés de notre peine. C'est donc toujours, en somme, l'utilité pratique que la science visera. Même quand elle se lance dans la théorie, la science est tenue d'adapter sa démarche a la configuration générale de la pratique. Si haut qu'elle s'élève, elle doit être prête à retomber dans le champ de l'action, et à s'y retrouver tout de suite sur ses pieds."

 

Bergson, L'évolution créatrice, 1907, P.U.F., 1998, p. 329.


 

  "Le grand prestige dont jouit aujourd'hui la science est sans aucun doute imputable dans une large mesure au succès impressionnant et à l'extension rapide des ses applications. Bien des secteurs des sciences expérimentales fournissent aujourd'hui une base à des technologies ; ces dernières donnent aux résultats de la recherche scientifique une utilité pratique, alimentent souvent à leur tour la recherche fondamentale en faits, en problèmes et en instruments d'investigation nouveaux.
  Outre qu'elle aide l'homme à se rendre maître de son environnement, la science correspond à un besoin qui, pour être désintéressé, n'en est pas moins profond et tenace : le désir d'acquérir une connaissance toujours plus vaste et une compréhension toujours plus profonde du monde dans lequel il se trouve."

 

Carl Hempel, Éléments d'épistémologie, 1966, Chapitre 1, tr. fr. Bertrand Saint-Sernin, Armand Colin, 1996, p. 2-3.



  "Depuis dix ans à peu près, les milieux scientifiques directement impli­qués se posent la question de leur existence : qu' st-ce que nous faisons ? Question qui dépasse de loin la version simplifiée, fournie par l'appareil des mass-media, du : À quoi ça sert ? quel usage faisons-nous de nos découvertes ? etc. Elle signifie plutôt : comment pourrions-nous savoir si ce que nous disons est vrai ? L'homme de science admet en toute simplicité que ce qu'on appelle vérification se résume à une cer­taine sorte d'opérativité. Effectivement, la science invente des énoncés satisfaisant à certaines exigences formelles, qui doivent être transcrip­tibles en dispositifs pratiques expérimentaux, dont on peut constater les effets, et si possible les prévoir. Ces effets sont des modifications d'une ou plusieurs variables, les autres étant supposées définies ; ils sont susceptibles d'observation et de descriptions. La « recherche scienti­fique », ainsi entendue, n'est pas celle de la vérité, mais de l'efficience, ou opérativité contrôlée, prévisionnelle. La vérité consistant en ce que soient produites, en même temps que les énoncés, 1° une unité théo­rique de l'ensemble des énoncés, et, 2° une mêta-unité de cette unité théorique avec l'ensemble des données. Or, que l'on examine l'état des sciences, du seul point de vue de la théorie scientifique (1° unité) : on y voit des paquet d'énoncés, souvent indépendants, parfois incompatibles les uns avec les autres, dont l'unique condition de coexistence n'est pas une unité même cachée (du genre : dernière instance), mais un critère immédiat d'opérativité. La science contemporaine découvre à notre regard un espace de discours et de pratique dont la forme n'est, finalement nullement définie en termes de conformité avec un objet, ni même avec un principe formel d'unité, voire de compatibilité des énoncés entre eux, mais dont la forme, quelconque en vérité, est suspendue à un critère constant et minimum d'efficience. Aussi le discours politique et théorique des philosophes, des sociologues, des épistémologues, et autres doxographes[1] [...], est très à côté de ce que les scientifiques savent d'eux-mêmes, de ce qu'ils ont appris concernant leur pratique. À côté, parce qu'il maintient les exigences traditionnelles : discours unifié, centralisé, faisant place à la totalité des données du champ scientifique (le « centralisme démocratique » en matière de savoir). La science, dans son existence quotidienne, celle de quelques millions de minoritaires « chercheurs », n'a aucun rapport avec cela."

 

Jean-François Lyotard, "Petite mise en perspective de la décadence et de quelques combats minoritaires à y mener", in Politiques de la philosophie, Éd. Grasset, 1976. p. 129-130.


[1] Doxographes : ceux qui étudient les opinions.



  "La science newtonienne est une science pratique ; l'une de ses sources est très clairement le savoir des artisans du Moyen Âge, le savoir des constructeurs de machines ; elle-même donne, au moins en principe, les moyens d'agir sur le monde, de prévoir et de modifier le cours de certains processus, de concevoir des dispositifs propres à mettre en œuvre et à exploiter certaines des forces et des ressources matérielles de la nature.
  En ce sens, la science moderne prolonge l'effort millénaire de nos sociétés pour organiser et utiliser le monde. Nous savons peu de choses de la préhistoire de ces efforts ; nous pouvons cependant mesurer rétrospectivement la somme de connaissances et de savoir-faire que nécessite ce qu'on a appelé la révolution néolithique. Chasseur-cueilleur, l'homme apprenait à gérer certains domaines du milieu naturel et social grâce à de nouvelles techniques d'exploitation de la nature et de structuration de la société.
  Nous vivons encore sur des techniques néolithiques – espèces animales et végétales créées ou sélectionnées, tissage, poterie, travail des métaux. Notre organisation sociale s'est longtemps contentée des mêmes techniques d'écriture, de géométrie, d'arithmétique qui furent nécessaires pour organiser les groupes sociaux différenciés et structurés hiérarchiquement des cités-États néolithiques. Comment ne pas reconnaître la continuité entre les techniques néolithiques et les techniques scientifiques ?
  Il nous faut également admettre que le développement de ces techniques suppose pendant l'âge néolithique et les millénaires qui le précèdent la poursuite d'une activité d'exploration des ressources naturelles et de recherche empirique de méthodes de mise en œuvre de ces ressources; ce qui témoigne de l'existence non seulement d'individus dont l'esprit d'observation et d'invention devait bien valoir celui des grands hommes de notre histoire intellectuelle, mais encore de sociétés capables de susciter, d'accueillir, de conserver et de perfectionner l'œuvre de ces innovateurs.
  La science moderne prolonge cet effort ancien, l'amplifie et lui confère un rythme accéléré."

 

Ilya Prigogine et Isabelle Stengers, La Nouvelle alliance, 1978, I, 3, Folio essais, 1986, p. 70-71.

 

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Date de création : 12/10/2007 @ 17:15
Dernière modification : 10/05/2021 @ 14:57
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