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Hors des sentiers battus
Pensée et action

  "Originellement, nous ne pensons que pour agir. C'est dans le moule de l'action que notre intelligence a été coulée. La spéculation est un luxe, tandis que l'action est une nécessité. Or, pour agir, nous commençons par nous proposer un but ; nous faisons un plan, puis nous passons au détail du mécanisme qui le réalisera. Cette dernière opération n'est possible que si nous savons sur quoi nous pouvons compter. Il faut que nous ayons extrait, de la nature, des similitudes qui nous permettent d'anticiper sur l'avenir. Il faut donc que nous ayons fait application, consciemment ou inconsciemment, de la loi de causalité. D'ailleurs, mieux se dessine dans notre esprit l'idée de la causalité efficiente, plus la causalité efficiente prend la forme d'une causalité mécanique. Cette dernière relation, à son tour, est d'autant plus mathématique qu'elle exprime une plus rigoureuse nécessité. C'est pourquoi nous n'avons qu'à suivre la pente de notre esprit pour devenir mathématiciens. Mais, d'autre part, cette mathématique naturelle n'est que le soutien inconscient de notre habitude consciente d'enchaîner les mêmes causes aux mêmes effets ; et cette habitude elle-même a pour objet ordinaire de guider des actions inspirées par des intentions ou, ce qui revient au même, de diriger des mouvements combi­nés en vue de l'exécution d'un modèle : nous naissons artisans comme nous naissons géomètres, et même nous ne sommes géomètres que parce que nous sommes artisans. Ainsi l'intelligence humaine, en tant que façonnée aux exigences de l'action humaine, est une intelligence qui procède à la fois par intention et par calcul, par la coordination de moyens à une fin et par la représentation de mécanismes à formes de plus en plus géométriques."

 

Bergson, L'évolution créatrice, 1907, P.U.F., 1998, pp. 44-45.


 

  "On ne doit pas oublier que le processus de pensée lui-même est incompatible avec toute autre activité. On a parfaitement raison de dire : «Arrête-toi et réfléchis. » Quand on pense, on cesse de faire tout ce qu'on faisait et, tant qu'on est deux en un, on est incapable de faire autre chose que de penser.

  Donc, il y a davantage qu'une simple distinction entre penser et agir. Il existe une tension inhérente entre ces deux sortes d'activité ; et le mépris de Platon pour les agités, ceux qui vont et viennent sans jamais s'arrêter, est un état d'esprit qu'on retrouve sous une forme ou sous une autre chez tout vrai philosophe. Toutefois, cette tension a été dissimulée sous une idée chère aussi à tous les philosophes, l'idée selon laquelle penser est aussi une forme d'action, que penser, comme on l'a dit parfois, est une forme d'« action intérieure ». Cette confusion s'explique par bien des raisons - des raisons non pertinentes lorsque le philosophe cherche à se défendre contre des reproches venus des hommes, d'action et des citoyens, ou des raisons pertinentes qui ont leur origine dans la nature de la pensée. Et la pensée, au contraire de la contemplation avec laquelle on ne la confond que trop fréquemment, est bien sûr une activité, et surtout une activité qui produit certains résultats moraux, à savoir que celui qui pense se constitue en quelqu'un, en une personne ou en une personnalité. Mais l'activité et l'action ne sont pas identiques, et le résultat de l'activité pensante est une sorte de produit dérivé au regard de l'activité elle-même. Ce n'est pas la même chose que la fin qu'un acte vise et dont il a l'intention consciente. La distinction entre pensée et action est souvent exprimée par l'opposition entre l'Esprit et la Puissance, Esprit et Impuissance étant souvent automatiquement assimilés, et il y a plus qu'une touche de vérité dans ces expressions.

  La principale distinction, politiquement parlant, entre Pensée et Action tient au fait que je suis seulement avec moi-même et le soi d'autrui quand je suis en train de penser, alors que je me retrouve en compagnie de beaucoup de gens dès que je commence à agir. La Puissance, pour les êtres humains qui ne sont pas tout-puissants, ne peut résider que dans l'une des nombreuses formes de pluralité humaine, alors que tout mode de la singularité humaine est impuissant par définition. Toutefois, il est vrai que, même dans la singularité ou la dualité du processus pensant, la pluralité est en quelque sorte présente en germe, dans la mesure où je ne peux penser qu'en me divisant en deux alors que je suis un. Mais ce deux-en-un, du point de vue de la pluralité humaine, est comme la dernière trace de compagnie - même lorsque je suis un et seul, je suis et peux devenir deux - qui ne devient ainsi très importante que parce que nous découvrons la pluralité là où nous l'attendrions le moins."

 

Hannah Arendt, Questions de philosophie morale, 1965-1966, in Responsabilité et jugement, tr. fr. Jean-Luc Fidel, Payot, pp. 154-155.

 

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Date de création : 08/03/2010 @ 16:43
Dernière modification : 12/07/2011 @ 15:17
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