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Texte à méditer :  Une vie sans examen ne mérite pas d'être vécue.  Socrate
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Intérêt particulier et intérêt général

  "Je vous ai décrit le plus exactement possible la structure de cette république où je vois non seulement la meilleure, mais la seule qui mérite ce nom. Toutes les autres parlent de l'intérêt public et ne veillent qu'aux intérêts privés. Rien ici n'est privé, et ce qui compte est le bien public. Il ne saurait, ici et là, en aller autrement. Chacun sait ailleurs que s'il ne se soigne pas pour sa propre personne, et si florissant que soit l'État, il n'a qu'à mourir de faim ; il est donc forcé de tenir compte de ses intérêts plutôt que de ceux du peuple, c'est-à-dire d'autrui. Chez eux au contraire, où toutes choses sont à tous, un homme est sûr de ne pas manquer du nécessaire pourvu que les greniers publics soient remplis.
  Car la répartition des denrées se fait largement ; il n'y a pas d'indigents, pas de mendiants et, sans que personne possède rien, tous sont riches. Est-il richesse plus grande que de vivre sans aucun souci, l'esprit heureux et libre, sans s'inquiéter de son pain, sans être harcelé par les plaintes d'une épouse, sans redouter la pauvreté pour un fils, sans se tourmenter pour la dot d'une fille ? Être rassuré sur les ressources et le bonheur des siens, femme, enfants, petits-enfants, et jusqu'à la plus longue postérité qu'un noble puisse se souhaiter ? Car tout a été calculé pour ceux qui ont travaillé autrefois et qui en sont à présent incapables, aussi bien que pour ceux qui travaillent à présent.
  Je voudrais voir qui oserait comparer avec cette équité la justice qui règne chez les autres peuples, où je consens à être pendu si je découvre la moindre trace de justice ou d'équité. Y a-t-il justice quand le premier noble venu, ou un orfèvre, ou un usurier, ou n'importe lequel de ces gens qui ne produisent rien, ou seulement des choses dont la communauté se passerait aisément, mènent une vie large et heureuse dans la paresse ou dans une occupation inutile, tandis que le manœuvre, le charretier, l'artisan, le laboureur, par un travail si lourd, si continuel qu'à peine une bête de somme pourrait le soutenir, si indispensable que sans lui un État ne durerait pas une année, ne peuvent s'accorder qu'un pain chichement mesuré, et vivent dans la misère ? La condition des bêtes de somme a de quoi paraître bien meilleure; elles travaillent moins longtemps; leur nourriture n'est guère plus mauvaise, si elle ne leur paraît même pas plus délectable ; et elles ne sont pas obsédées par la crainte de l'avenir.

  Mais les ouvriers ! Ils peinent au jour le jour, accablés par un travail stérile et sans récompense, et la perspective d'une vieillesse sans pain les tue. Le salaire quotidien ne suffit même pas à leurs besoins ; tant s'en faut qu'il en reste de quoi mettre de côté en vue de l'avenir.
  N'est-il pas injuste et ingrat, le pays qui accorde de telles faveurs à ceux qu'on appelle les nobles, aux orfèvres et aux gens de cette espèce, qui ne font rien, sinon flatter et servir les plaisirs les plus vains ? Mais il n'a aucune générosité pour les cultivateurs, les charbonniers, les manœuvres, les cochers, sans lesquels aucun État ne pourrait subsister. Il exige d'eux, pendant leurs plus belles années, des fatigues excessives, après quoi, quand ils sont alourdis par l'âge et les maladies, et privés de toute ressource, perdant le souvenir de tout ce qu'il a reçu d'eux, il les récompense indignement en les laissant mourir de faim.
  Sans compter que la pitance quotidienne des pauvres est chaque jour écornée par les riches, qui font jouer aussi bien les lois de l'État que leurs supercheries personnelles. On estimait injuste autrefois de mal récompenser ceux qui avaient bien mérité de l'État : voilà que par une loi promulguée, cette ingratitude est érigée en loi.
  Quand je reconsidère ou que j'observe les États aujourd'hui florissants, je n'y vois, Dieu me pardonne, qu'une sorte de conspiration des riches pour soigner leurs intérêts personnels sous couvert de gérer l'État. Il n'est pas de moyen, pas de machination qu'ils n'inventent pour conserver d'abord et mettre en sûreté ce qu'ils ont acquis par leurs vilains procédés, et ensuite pour user et abuser de la peine des pauvres en la payant le moins possible. Dès que les riches ont une fois décidé de faire adopter ces pratiques par l'État - qui comprend les pauvres aussi bien qu'eux-mêmes - elles prennent du coup force de loi.
  Ces hommes détestables, avec leur insatiable avidité, se sont partagé ce qui devait suffire à tous".

 

Thomas More, L'Utopie, 1516, GF, tr. fr. Marie Delcourt, 1987, p. 229-232.


 

 

 "[…] la nature corrompue des hommes permet à l'amour propre de les tyranniser, et les entraîne exclusivement vers leur utilité particulière ; ce qui les empêche de vaincre leurs passions ou de leur donner une direction conforme à la justice. Voilà ce qui nous porte à affirmer que l'homme dans l'état de barbarie ne s'occupa d'abord que de son propre salut ; plus tard, il prit femme, il eut des enfants, et il s'occupa de sa conservation en même temps que de celle des familles. Parvenu à la vie civile, il prit soin de sa conservation en même temps que de celles des cités. Lorsqu'il étendit son empire sur plusieurs peuples, il s'intéressa aux nations ; les nations s'étant rapprochées par les guerres et s'étant réunies par la paix, les alliances et le commerce, l'homme aima le genre humain. Dans toutes ces phases diverses, l'homme fut toujours principalement occupé de sa propre utilité ; mais il se trouva conduit par la providence divine, au moyen des développements successifs de ses intérêts et des circonstances, à protéger avec justice les familles, les cités, et la société humaine enfin. Dans le monde ainsi ordonné, l'homme, ne pouvant obtenir tout ce qu'il veut, se contente de sa part dans l'utilité générale, c'est-à-dire de ce qui est juste. C'est ainsi qu'afin de conserver la société humaine, la providence divine administre la justice divine et l'établit régulatrice de toute justice ici-bas."
 
Giambattista Vico, La science nouvelle, 1725, tr. fr. Christina Trivulzio Princesse de Belgiojoso, Gallimard, tel, 1993, p. 114.


 "La communauté est un être fictif, composé de l'ensemble des individus, considérés comme constituant en quelque sorte ses membres. L'intérêt de la communauté est alors - Mais qu'est-ce au juste ? – c'est la somme des intérêts de chacun de ses membres.
 Il serait vain de parler de l'intérêt de la communauté, sans s'entendre auparavant sur ce qu'est l"intérêt de l'individu. On dit qu"une chose bénéficie à l"intérêt d"une personne, ou est faite dans son intérêt, quand elle tend à ajouter quelque chose à la somme présente de ses plaisirs ; ou, ce qui revient exactement au même, à diminuer le total de la somme de ses souffrances.
 Par suite, une action peut être dite conforme au principe d'utilité, ou, pour parler bref, à l'utilité (en visant la communauté au sens large), quand elle est intrinsèquement de nature à augmenter le bonheur de la communauté plutôt qu"à le diminuer.
 Une mesure prise par le gouvernement (démarche qui n'est rien d’autre qu'une forme particulière de l'action, accomplie soit par une personne seule soit par plusieurs) peut être dite conforme au principe de l'utilité, ou dictée par lui, quand, de quelque manière que ce soit, ses potentialités sont de nature à augmenter le bonheur de la communauté plutôt qu'à le diminuer."
 
Jeremy Bentham, Une introduction aux principes de morale et de législation, 1789, Chapitre I, § 4-7.
 
 
 "The community is a fictitious body, composed of the individual persons who are considered as constituting as it were its members. The interest of the community then is, what is it ? — the sum of the interests of the several members who compose it.
 It is in vain to talk of the interest of the community, without understanding what is the interest of the individual. A thing is said to promote the interest, or to be for the interest, of an individual, when it tends to add to the sum total of his pleasures : or, what comes to the same thing, to diminish the sum total of his pains.
 An action then may be said to be conformable to then principle of utility, or, for shortness sake, to utility, (meaning with respect to the community at large) when the tendency it has to augment the happiness of the community is greater than any it has to diminish it.
 A measure of government (which is but a particular kind of action, performed by a particular person or persons) may be said to be conformable to or dictated by the principle of utility, when in like manner the tendency which it has to augment the happiness of the community is greater than any which it has to diminish it."
 
Jeremy Bentham, An introduction to the principles of morals and legislation, 1789, Chapter I, § 4-7, Dover Philosophical Classics, 2007, p. 3.


  "Qu'est-ce que l'intérêt général, sinon la transaction qui s'opère entre les intérêts particuliers ? Qu'est-ce que la représentation générale, sinon la représentation de tous les intérêts partiels qui doivent transiger sur les objets qui leur sont communs ? L'intérêt général est distinct sans doute des intérêts particuliers, mais il ne leur est point contraire. On parle toujours comme si l'un gagnait à ce que les autres perdent, il n'est que le résultat de ces intérêts combinés ; il ne diffère d'eux que comme un corps diffère de ses parties. Les intérêts individuels sont ce qui intéresse le plus les individus ; les intérêts sectionnaires sont ce qui intéresse le plus les sections : or, ce sont les individus, ce sont les sections qui composent le corps politique ; ce sont par conséquent les intérêts de ces individus et de ces sections qui doivent être protégés : si on les protége tous, l’on retranchera, par cela même, de chacun ce qu’il contiendra de nuisible aux autres, et de là seulement peut résulter le véritable intérêt public. Cet intérêt public n’est autre chose que les intérêts individuels, mis réciproquement hors d’état de se nuire. Cent députés, nommés par cent sections d’un État, apportent dans le sein de l’assemblée, les intérêts particuliers, les préventions locales de leurs commettants ; cette base leur est utile : forcés de délibérer ensemble, ils s’aperçoivent bientôt des sacrifices respectifs qui sont indispensables ; ils s’efforcent de diminuer l’étendue de ces sacrifices ; et c’est l’un des grands avantages de leur mode de nomination. La nécessité finit toujours par les réunir dans une transaction commune, et plus les choix ont été sectionnaires, plus la représentation atteint son but général. Si vous renversez la gradation naturelle, si vous placez le corps électoral au sommet de l’édifice, ceux qu’il nomme se trouvent appelés à prononcer sur un intérêt public dont ils ne connaissent pas les éléments ; vous les chargez de transiger pour des parties dont ils ignorent ou dont ils dédaignent les besoins. Il est bon que le représentant d’une section soit l’organe de cette section : qu’il n’abandonne aucun de ses droits réels ou imaginaires qu’après les avoir défendus ; qu’il soit partial pour la section dont il est le mandataire, parce que, si chacun est partial pour ses commettants, la partialité de chacun, réunie et conciliée, aura les avantages de l’impartialité de tous."

 

 

Benjamin Constant, Principes de politique applicables à tous les gouvernements représentatifs et particulièrement à la Constitution actuelle de la France (1815), Chapitre V, in Écrits politiques, 2004, Folio essais, pp. 355-356.


  "Les affaires générales d'un pays n'occupent que les principaux citoyens. Ceux-là ne se rassemblent que de loin en loin dans les mêmes lieux ; et, comme il arrive souvent qu'ensuite ils se perdent de vue, il ne s'établit pas entre eux de liens durables. Mais quand il s'agit de faire régler les affaires particulières d'un canton par les hommes qui l'habitent, les mêmes individus sont toujours en contact, et ils sont en quelque sorte forcés de se connaître et de se complaire.

  On tire difficilement un homme de lui-même pour l'intéresser à la destinée de tout l'État, parce qu'il comprend mal l'influence que la destinée de l'État peut exercer sur son sort. Mais faut-il faire passer un chemin au bout de son domaine, il verra d'un premier coup d'oeil qu'il se rencontre un rapport entre cette petite affaire publique et ses plus grandes affaires privées, et il découvrira, sans qu'on le lui montre, le lien étroit qui unit ici l'intérêt particulier à l'intérêt général.

  C'est donc en chargeant les citoyens de l'administration des petites affaires, bien plus qu'en leur livrant le gouvernement des grandes, qu'on les intéresse au bien public et qu'on leur fait voir le besoin qu'ils ont sans cesse les uns des autres pour le produire.

  On peut, par une action d'éclat, captiver tout à coup la faveur d'un peuple ; mais, pour gagner l'amour et le respect de la population qui vous entoure, il faut une longue succession de petits services rendus, de bons offices obscurs, une habitude constante de bienveillance et une réputation bien établie de désintéressement.

  Les libertés locales, qui font qu'un grand nombre de citoyens mettent du prix à l'affection de leurs voisins et de leurs proches, ramènent donc sans cesse les hommes les uns vers les autres, en dépit des instincts qui les séparent, et les forcent à s'entraider."

 

Tocqueville, De la démocratie en Amérique, tome 2, 1840, Deuxième partie, Chapitre IV, GF, p. 133.


 

 "Chaque individu est constamment en train de rechercher les façons les plus avantageuses d'employer son capital et son travail. Il est vrai que c'est son propre intérêt, non celui de la société, qu'il a en vue ; mais la société n'étant rien de plus qu'une collection d'individus, il est évident que chacun, en recherchant constamment son propre développement, suit précisément la ligne de conduite qui va le plus dans le sens de l'intérêt public. […]
  La meilleure politique est de laisser les individus rechercher leur propre intérêt à leur propre façon, et de ne jamais perdre de vue la maxime : "Ne pas trop gouverner[1]"." C'est par les efforts spontanés et libres des individus pour améliorer leur condition […] et par eux seulement, que les nations deviennent riches et puissantes."
 
J. R. McCulloch, The Principles of Political Economy, New edition, 1843, tr. fr. Marcel Blanc, Edinburgh, William Tait, p. 145 et p. 548.

[1] En français dans le texte.

 

  "C'est justement cette contradiction entre l'intérêt particulier et l'intérêt collectif qui amène l'intérêt collectif à prendre, en qualité d'État une forme indépendante, séparée des intérêts réels de l'individu et de l'ensemble et à faire en même temps figure de communauté illusoire, mais toujours sur la base concrète des liens dans chaque conglomérat de famille et de tribut tels que les liens existants du sang, le langage, la division du travail à une vaste échelle et autres intérêts ; et parmi ces intérêts nous trouvons en particulier, comme nous le développerons plus loin, les intérêts des classes déjà conditionnées par la division du travail, qui se différencient dans tout groupement de ce genre et dont l'une domine toutes les autres. Il s'ensuit que toutes les luttes à l'intérieur de l'État, la lutte entre la démocratie, l'aristocratie et la monarchie, la lutte pour le droit de vote, etc.., ne sont que les formes illusoires sous lesquelles sont menées les luttes effectives des différentes classes entre elles."

 

Karl Marx et Friedrich Engels, L'idéologie allemande, 1845-1846, Folio pp. 317-318.


 

  "Enfin, et la division du travail nous en fournit d'emblée le premier exemple, aussi longtemps que les hommes se trouvent dans la société primitive, donc aussi longtemps que subsiste la division entre intérêt particulier et intérêt général, et que l'activité n'est pas divisée volontairement mais naturellement, le propre acte de l'homme se dresse devant lui comme une puissance étrangère qui l'asservit, au lieu que ce soit lui qui la maîtrise. En effet, du moment où le travail commence à être réparti, chacun entre dans un cercle d'activités déterminé et exclu­sif, qui lui est imposé et dont il ne peut s'évader ; il est chasseur, pê­cheur, berger ou « critique », et il doit le rester sous peine de perdre les moyens qui lui permettent de vivre. Dans la société communiste, c'est le contraire : personne n'est enfermé dans un cercle exclusif d'activités et chacun peut se former dans n'importe quelle branche de son choix ; c'est la société qui règle la production géné­rale et qui me permet ainsi de faire aujourd'hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher l'après-midi, de m'occuper d'élevage le soir et de m'adonner à la critique après le repas, selon que j'en ai envie, sans jamais devenir chasseur, pêcheur, berger ou critique."

 

Marx, L'idéologie Allemande, « I. Feuerbach », « Division du travail et aliénation », tr. fr. Maximilien Rubel, Folio essais, 2005, pp. 318-319. 


   

  "C'est là le fait fondamental sur lequel repose toute la philosophie de l'individualisme. Cette philosophie ne part pas, comme on le prétend souvent, du principe que l'homme est égoïste ou devrait l'être. Elle part simplement du fait incontestable que les limites de notre pouvoir d'imagination ne permettent pas d'inclure dans notre échelle de valeurs plus d'un secteur des besoins de la société tout entière et que puisque, au sens strict, les échelles de valeurs ne peuvent exister que dans l'esprit des individus, il n'y a d'échelles de valeurs que partielles, échelles inévitablement diverses et souvent incompatibles. De ce fait l'individualiste conclut qu'il faut laisser l'individu, à l'intérieur de limites déterminées, libre de se conformer à ses propres valeurs plutôt qu'à celles d'autrui ; que dans ce domaine les fins de l'individu doivent être toutes-puissantes et échapper à la dictature d'autrui. Reconnaître l'individu comme juge en dernier ressort de ses propres fins, croire que dans la mesure du possible ses propres opinions doivent gouverner ses actes, telle est l'essence de l'individualisme.

  Cette attitude n'exclut naturellement pas qu'on admette l'existence de fins sociales, ou plutôt d'une coïncidence de fins individuelles qui recommande aux hommes de s'associer pour les atteindre. Mais elle limite cette action commune aux cas où les idées individuelles coïncident ; ce qu'on appelle des « fins sociales » sont simplement des fins identiques d'un grand nombre d'individus, ou des fins à l'obtention desquelles des individus sont disposés à contribuer en échange de l'assistance qu'ils reçoivent tous la satisfaction de leurs propres désirs. L'action commune est ainsi limitée aux domaines où les gens sont d'accord sur des fins communes. Bien souvent, ces fins communes seront pour les individus non des fins dernières, mais des moyens que des individus différents peuvent utiliser en vue de buts différents. En fait, les gens se mettront le plus souvent d'accord sur une action commune dans les cas où la fin commune représente pour eux non une fin dernière, mais un moyen capable de servir une grande variété de desseins.

  Lorsque des individus s'associent pour réaliser des fins qui leur sont communes, les organisations qu'ils forment à cet effet, l'État par exemple, reçoivent leur propre système de fins et leurs propres moyens. Mais une organisation ainsi formée reste une « personne » entre tant d'autres ; quand c'est l'État, elle est beaucoup plus puissante que les autres, il est vrai, mais elle a sa sphère isolée et limitée où ses fins sont toutes-puissantes. Les limites de cette sphère sont déterminées par la mesure dans laquelle les individus sont d'accord sur certaines fins; et plus une action donnée a de portée, moins il est probable qu'ils se mettront d'accord à son sujet. Il y a certaines fonctions de l'État au sujet desquelles les citoyens seront pratiquement unanimes; il y en a d'autres qui grouperont une sérieuse majorité; et ainsi de suite jusqu'à ce que nous arrivions aux domaines où il y aura autant d'opinions sur ce que le gouvernement doit faire qu'il y a d'individus.

  On peut compter sur un accord volontaire pour guider l'action gouvernementale tant qu'elle se limite aux domaines où l'accord existe. Mais ce n'est pas seulement lorsque l'État entreprend de gouverner directement au delà des limites de ces domaines que l'État supprime nécessairement la liberté individuelle. Nous ne pouvons malheureusement pas étendre à l'infini le domaine de l'action commune et laisser l'individu libre dans sa sphère propre. Une fois que le secteur commun, où l'État est maître de tous les moyens, dépasse une certaine proportion de l'ensemble, l'effet de son action domine le système tout entier. L'État a beau ne contrôler directement que l'usage d'une partie des ressources disponibles, l'effet de ses décisions sur le reste de l'économie devient si grand qu'il contrôle indirectement presque tout."

 

Friedrich A. Hayek, La Route de la servitude, 1946, Chapitre V, Trad. G. Blumberg, PUF, 1985, pp. 49-50.

 

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Date de création : 07/06/2010 @ 17:37
Dernière modification : 02/11/2025 @ 10:50
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