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Texte à méditer :   Les vraies révolutions sont lentes et elles ne sont jamais sanglantes.   Jean Anouilh
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Hors des sentiers battus
Les causes du progrès scientifique

  "Les premiers hommes, en s'aidant mutuellement de leurs lumières, c'est-à-dire, de leurs efforts séparés ou réunis, sont parvenus, peut-être en assez peu de temps, à découvrir une partie des usages auxquels ils pouvaient employer les corps. Avides de connaissances utiles, ils ont dû écarter d'abord toute spéculation oisive, considérer rapidement les uns après les autres les différents êtres que la nature leur présentait, et les combiner, pour ainsi dire, matériellement, par leurs propriétés les plus frappantes et les plus palpables. À cette première combinaison, il a dû en succéder une autre plus recherchée, mais toujours relative à leurs besoins, et qui a principalement consisté dans une étude plus approfondie de quelques propriétés moins sensibles, dans l'altération et la décomposition des corps, et dans l'usage qu'on en pouvait tirer.
  Cependant, quelque chemin que les hommes dont nous parlons, et leurs successeurs, aient été capables de faire, excités par un objet aussi intéressant que celui de leur propre conservation ; l'expérience et l'observation de ce vaste Univers leur ont fait rencontrer bientôt des obstacles que leurs plus grands efforts n'ont pu franchir. L'esprit, accoutumé à la méditation, et avide d'en tirer quelque fruit, a dû trouver alors une espèce de ressource dans la découverte des propriétés des corps uniquement curieuses, découverte qui ne connaît point de bornes. En effet, si un grand nombre de connaissances agréables suffisait pour consoler de la privation d'une vérité utile, on pourrait dire que l'étude de la Nature, quand elle nous refuse le nécessaire, fournit du moins avec profusion à nos plaisirs : c'est une espèce de superflu qui supplée, quoique très-imparfaitement, à ce qui nous manque. De plus, dans l'ordre de nos besoins et des objets de nos passions, le plaisir tient une des premières places, et la curiosité est un besoin pour qui sait penser, surtout lorsque ce désir inquiet est animé par une sorte de dépit de ne pouvoir entièrement se satisfaire. Nous devons donc un grand nombre de connaissances simplement agréables à l'impuissance malheureuse où nous sommes d'acquérir celles qui nous seraient d'une plus grande nécessité. Un autre motif sert à nous soutenir dans un pareil travail ; si l'utilité n'en est pas l'objet, elle peut en être au moins le prétexte. Il nous suffit d'avoir trouvé quelquefois un avantage réel dans certaines connaissances, où d'abord nous ne l'avions pas soupçonné, pour nous autoriser à regarder toutes les recherches de pure curiosité, comme pouvant un jour nous être utiles. Voilà l'origine et la cause des progrès de cette vaste Science, appelée en général Physique ou Étude de la Nature, qui comprend tant de parties différentes : l'Agriculture et la Médecine, qui l'ont principalement fait naître, n'en sont plus aujourd'hui que des branches. Aussi, quoique les plus essentielles et les premières de toutes, elles ont été plus ou moins en honneur à proportion qu'elles ont été plus ou moins étouffées et obscurcies par les autres."

 

D'Alembert, Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Discours préliminaire, 1751.



  "Il n'est jamais sûr de pouvoir affirmer que le futur des Sciences Physiques n'a pas de nouvelles merveilles en réserve, des merveilles aussi extraordinaires que celles découvertes dans le passé. Néanmoins il semble probable que la plupart des grands principes sous-jacents ont déjà été fermement établis et que de nouvelles avancées doivent être recherchées principalement dans l'application rigoureuse de ces principes à tous les phénomènes à découvrir.
  C'est là que la science de la mesure montre toute son importance, là où un travail quantitatif est plus important qu'un travail qualitatif. Un scientifique éminent a noté que les nouvelles découvertes de la physique doivent être recherchées dans la sixième décimale.

  Pour rendre ce travail possible, l'étudiant, le chercheur doit avoir à sa disposition les méthodes et les résultats de ses prédécesseurs, doit savoir les évaluer et les appliquer à son propre travail. Tout particulièrement, il dot avoir à sa disposition tous les appareils modernes et les instruments de précision qui constituent un laboratoire bien équipé, sans lesquels des résultats de valeur ne peuvent être obtenus qu'avec un immense sacrifice de temps de de travail."

 

A. A. Michelson, Dedication of Ryerson Physical Laboratory, 1894, in Annual Register of the University of Chicago, 1896, p. 159.

 

  "While it is never safe to affirm that the future of Physical Science has no marvels in store even more astonishing than those of the past, it seems probable that most of the grand underlying principles have been firmly established and that further advances are to be sought chiefly in the rigorous application of these principles to all the phenomena which come under our notice.
  It is here that the science of measurement shows its importance — where quantitative work is more to be desired than qualitative work. An eminent physicist has remarked that the future truths of physical science are to be looked for in the sixth place of decimals.
  In order to make such work possible, the student and investigator must have at his disposal the methods and results of his predecessors, must know how to gauge them, and to apply them to his own work; and especially must have at his command all the modern appliances and instruments of precision which constitute a wall equipped laboratory, --- without which results of real value can be obtained only at immense sacrifice of time and labor."

 

A. A. Michelson, Dedication of Ryerson Physical Laboratory, 1894, in Annual Register of the University of Chicago, 1896, p. 159.



  "Lorsqu'il se produit une révision ou une transformation d'une théorie physique, on trouve qu'il y a presque toujours au point de départ la constatation d'un ou plusieurs faits qui ne pouvaient pas entrer dans le cadre de la théorie, si importante qu'elle puisse être.
 
Pour le théoricien vraiment digne de ce nom il n'y a d'ailleurs rien de plus intéressant qu'un fait en contradiction avec une théorie jusqu'alors tenue pour vraie, c'est alors que commence pour lui le véritable travail. Que faut-il faire en ce cas ? Évidemment faire subir à l'ancienne théorie un changement tel qu'elle puisse s'accorder avec le fait. Mais sur quel point précis devra porter l'amélioration, c'est ce qu'il est souvent difficile d'arriver à savoir. Car d'un fait isolé, il est impossible de tirer une théorie. En général, cette dernière se présentera sous la forme de toute une série de propositions s'enchaînant les unes aux autres. On pourrait donc comparer une théorie à un organisme compliqué dont les parties sont liées intimement et de multiples façons, aussi toute attaque portant sur un point aura sa répercussion en plusieurs autres, peut-être très éloignés du premier. On peut donc s'attendre à des contrecoups pas toujours faciles à prévoir. D'autre part, toute théorie étant la résultante de plusieurs propositions, s'il y a un insuccès, il sera en général possible d'en faire remonter la responsabilité à plusieurs et, par suite, il y aura aussi plusieurs moyens de remettre la théorie d'accord avec l'expérience. Ordinairement, quand on a fini de discuter le problème, on aboutit à deux ou trois propositions ayant jusqu'alors fait bon ménage à l'intérieur de la théorie et dont au moins une doit être sacrifiée pour pouvoir maintenir l'accord avec les faits. La lutte entre ces propositions dure souvent des années, voire des dizaines d'années, et la victoire finale signifie, non seulement l'élimination d'une des propositions, mais aussi, il ne faut pas l'oublier, la consolidation de celles qui ont été victorieuses; ces dernières acquièrent, par là même, un rang plus élevé."


 

Max Planck, Initiations à la physique, 1934, Chapitre II, tr. fr. J. du Plessis de Grenédan, Champs Flammarion, 1993, p. 40-41.



 "Ce qui passe en Grèce pour la découverte de Pythagore – l'existence d'une relation universelle entre les surfaces des carrés construits sur les trois côtés d'un triangle rectangle –était connu des savants babyloniens et égyptiens bien avant la naissance de Pythagore.
 
Mais ceux-ci percevaient cette relation constante à un niveau de synthèse moins élevé. Ils la représentaient par toute une série d'exemples qui étaient utilisés à des fins pratiques, par exemple dans la construction d'une maison. Mais, pour autant que nous le sachions, les anciens Babyloniens et Égyptiens ne sont jamais parvenus au niveau de synthèse auquel les multiples exemples d'application de cette relation pouvaient être représentés symboliquement comme autant de cas particuliers d'une relation universelle. Ils ne développèrent pas ces symboles jusqu'au niveau de synthèse supérieur où une équation mathématique simple suffit à formuler la relation. En revanche, une telle représentation symbolique fut, semble-t-il, très bien comprise et utilisée plus tard par des Grecs cultivés.
 
Les héritiers du savoir d'un stade postérieur peuvent être tentés de s'interroger : « Pourquoi les Babyloniens étaient-ils incapables, dans leur maniement des symboles mathématiques, d'atteindre le niveau de synthèse des Grecs ? » C'est là une question légitime. Pour l'explorer, il est nécessaire de prendre en compte le niveau de savoir, et par là même de symbolisation, à partir duquel les peuples de la Mésopotamie eurent accès aux mathématiques. On ne saurait non plus parvenir à une réponse adéquate si l'on néglige les difficultés immanentes que comporte l'élaboration de symboles communicables depuis un niveau inférieur donné jusqu'à un niveau supérieur. Faute d'une telle recherche, la question : « Pourquoi les Babyloniens étaient-ils incapables...? » n'exprimera qu'une vue des choses naïvement égocentrique. Elle peut signifier qu'en la posant on part de son propre point de vue ou, de manière plus générale, qu'on aborde un stade antérieur à partir d'un stade postérieur. En procédant ainsi, on relègue dans l'ombre le fait que l'humanité, ou chacune de ses sous-divisions représentant une tradition continue de savoir, a dû parcourir la série des stades antérieurs avant de parvenir aux stades postérieurs.
 
Au lieu de demander à son imagination de se représenter un stade antérieur à partir d'un stade postérieur, on devrait plutôt s'efforcer d'accomplir l'opération inverse. Une telle perspective est à la fois plus adéquate et plus féconde. Comparées à ce qui les avait précédées, à une phase antérieure du développement des symboles, les mathématiques babyloniennes, en leur forme accomplie, ont selon toute vraisemblance représenté un progrès. Elles ne paraissent en retard que là où l'on prétend juger une phase antérieure du développement des symboles en utilisant une phase ultérieure comme étalon de mesure. En reconstruisant l'ordre réel de succession, on reconnaîtra plus facilement que la percée grecque en mathématiques ainsi qu'en d'autres domaines du savoir, percée vers un niveau supérieur de synthèse, a eu pour condition les progrès que le Proche-Orient avait déjà accomplis dans ces domaines.
 
Ceux qui sont déjà en possession d'un certain savoir se représentent difficilement l'expérience de ceux qui ne possédaient pas encore ce savoir. Si l'on fait soi-même partie des « heureux propriétaires » d'un fonds de savoir représentant un niveau supérieur de synthèse, on perd facilement de vue la difficulté que des générations élevées au milieu des symboles conceptuels d'un stade antérieur ont éprouvée à élaborer et comprendre les symboles du niveau de synthèse immédiatement supérieur."

 
Norbert Elias, Du temps, 1984, tr. fr. Michèle Hulin, Fayard, p. 204-206.

 

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Date de création : 18/01/2011 @ 11:30
Dernière modification : 30/05/2024 @ 08:31
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