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Texte à méditer :  

Il est vrai qu'un peu de philosophie incline l'esprit de l'homme à l'athéisme ; mais que davantage de philosophie le ramène à la religion.   Francis Bacon


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Hors des sentiers battus
Les causes du progrès scientifique

  "Les premiers hommes, en s'aidant mutuellement de leurs lumières, c'est-à-dire, de leurs efforts séparés ou réunis, sont parvenus, peut-être en assez peu de temps, à découvrir une partie des usages auxquels ils pouvaient employer les corps. Avides de connaissances utiles, ils ont dû écarter d'abord toute spéculation oisive, considérer rapidement les uns après les autres les différents êtres que la nature leur présentait, et les combiner, pour ainsi dire, matériellement, par leurs propriétés les plus frappantes et les plus palpables. À cette première combinaison, il a dû en succéder une autre plus recherchée, mais toujours relative à leurs besoins, et qui a principalement consisté dans une étude plus approfondie de quelques propriétés moins sensibles, dans l'altération et la décomposition des corps, et dans l'usage qu'on en pouvait tirer.
  Cependant, quelque chemin que les hommes dont nous parlons, et leurs successeurs, aient été capables de faire, excités par un objet aussi intéressant que celui de leur propre conservation ; l'expérience et l'observation de ce vaste Univers leur ont fait rencontrer bientôt des obstacles que leurs plus grands efforts n'ont pu franchir. L'esprit, accoutumé à la méditation, et avide d'en tirer quelque fruit, a dû trouver alors une espèce de ressource dans la découverte des propriétés des corps uniquement curieuses, découverte qui ne connaît point de bornes. En effet, si un grand nombre de connaissances agréables suffisait pour consoler de la privation d'une vérité utile, on pourrait dire que l'étude de la Nature, quand elle nous refuse le nécessaire, fournit du moins avec profusion à nos plaisirs : c'est une espèce de superflu qui supplée, quoique très-imparfaitement, à ce qui nous manque. De plus, dans l'ordre de nos besoins et des objets de nos passions, le plaisir tient une des premières places, et la curiosité est un besoin pour qui sait penser, surtout lorsque ce désir inquiet est animé par une sorte de dépit de ne pouvoir entièrement se satisfaire. Nous devons donc un grand nombre de connaissances simplement agréables à l'impuissance malheureuse où nous sommes d'acquérir celles qui nous seraient d'une plus grande nécessité. Un autre motif sert à nous soutenir dans un pareil travail ; si l'utilité n'en est pas l'objet, elle peut en être au moins le prétexte. Il nous suffit d'avoir trouvé quelquefois un avantage réel dans certaines connaissances, où d'abord nous ne l'avions pas soupçonné, pour nous autoriser à regarder toutes les recherches de pure curiosité, comme pouvant un jour nous être utiles. Voilà l'origine et la cause des progrès de cette vaste Science, appelée en général Physique ou Étude de la Nature, qui comprend tant de parties différentes : l'Agriculture et la Médecine, qui l'ont principalement fait naître, n'en sont plus aujourd'hui que des branches. Aussi, quoique les plus essentielles et les premières de toutes, elles ont été plus ou moins en honneur à proportion qu'elles ont été plus ou moins étouffées et obscurcies par les autres."

 

D'Alembert, Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Discours préliminaire, 1751.



  "Lorsqu'il se produit une révision ou une transformation d'une théorie physique, on trouve qu'il y a presque toujours au point de départ la constatation d'un ou plusieurs faits qui ne pouvaient pas entrer dans le cadre de la théorie, si importante qu'elle puisse être.
 
Pour le théoricien vraiment digne de ce nom il n'y a d'ailleurs rien de plus intéressant qu'un fait en contradiction avec une théorie jusqu'alors tenue pour vraie, c'est alors que commence pour lui le véritable travail. Que faut-il faire en ce cas ? Évidemment faire subir à l'ancienne théorie un changement tel qu'elle puisse s'accorder avec le fait. Mais sur quel point précis devra porter l'amélioration, c'est ce qu'il est souvent difficile d'arriver à savoir. Car d'un fait isolé, il est impossible de tirer une théorie. En général, cette dernière se présentera sous la forme de toute une série de propositions s'enchaînant les unes aux autres. On pourrait donc comparer une théorie à un organisme compliqué dont les parties sont liées intimement et de multiples façons, aussi toute attaque portant sur un point aura sa répercussion en plusieurs autres, peut-être très éloignés du premier. On peut donc s'attendre à des contrecoups pas toujours faciles à prévoir. D'autre part, toute théorie étant la résultante de plusieurs propositions, s'il y a un insuccès, il sera en général possible d'en faire remonter la responsabilité à plusieurs et, par suite, il y aura aussi plusieurs moyens de remettre la théorie d'accord avec l'expérience. Ordinairement, quand on a fini de discuter le problème, on aboutit à deux ou trois propositions ayant jusqu'alors fait bon ménage à l'intérieur de la théorie et dont au moins une doit être sacrifiée pour pouvoir maintenir l'accord avec les faits. La lutte entre ces propositions dure souvent des années, voire des dizaines d'années, et la victoire finale signifie, non seulement l'élimination d'une des propositions, mais aussi, il ne faut pas l'oublier, la consolidation de celles qui ont été victorieuses; ces dernières acquièrent, par là même, un rang plus élevé."


 

Max Planck, Initiations à la physique, 1934, Chapitre II, tr. fr. J. du Plessis de Grenédan, Champs Flammarion, 1993, p. 40-41.



  "Les changements révolutionnaires qui se sont produits depuis 1890 dans le monde des sciences – surtout en physique, mais aussi en chimie, en biologie et dans les sciences humaines – ne sont pas tant dus à des faits nouveaux qu'à de nouvelles façons de penser à ces faits. Il est bien évident que ces faits nouveaux sont nombreux et que leur importance est considérable. Mais ce qui est encore plus important, c'est que les domaines où ils sont apparus – relativité, théorie quantique, électronique, catalyse, chimie colloïdale, génétique, psychologie de la Gestalt, psychanalyse, anthropologie culturel débarrassée de tout préjugé, etc. – ont été marqués par une éclosion sans précédent de concepts radicalement neufs. Phénomène dû à l'impossibilité d'expliquer ces faits dans le cadre de la vision du monde qui avait régné sans rencontrer d'opposition sur grande période classique de la science, et motivé par une tentative d'harmonisation des connaissances et de reformulation des principes.
  Je dis : nouvelles façons de PENSER aux faits, mais il serait plus exact de dire : de PARLER de ces faits. C'est l'application du langage aux données qui est à l'origine du progrès scientifique. […] Des mots tels que « analyser, comparer, déduire, raisonner, inférer, postuler, supposer, éprouver, démontrer » montrent bien que, lorsqu'un chercheur fait quelque chose, il parle de ce qu'il fait. Comme l'a montré Leonard Bloomfield, la recherche scien­tifique commence avec un ensemble de phrases qui conduisent à certaines observations et certaines expériences, dont les résultats ne deviennent vraiment scientifiques que lorsqu'on les a traduits en mots. Ce qui aboutit à un nouvel ensemble de phrases qui serviront de base à une exploration ultérieure de l'inconnu. Cette utilisation scientifique du langage est assujettie aux principes ou aux lois de la science qui étudie toute langue, c'est-à-dire la linguistique."

 

Benjamin Lee Whorf, "Une science exacte : la linguistique", 1940, tr. fr. Claude Carme, in Linguistique et anthropologie, Paris, Denoël, 1971, p. 141-142.


 
 "Ce qui passe en Grèce pour la découverte de Pythagore – l'existence d'une relation universelle entre les surfaces des carrés construits sur les trois côtés d'un triangle rectangle –était connu des savants babyloniens et égyptiens bien avant la naissance de Pythagore.
 Mais ceux-ci percevaient cette relation constante à un niveau de synthèse moins élevé. Ils la représentaient par toute une série d'exemples qui étaient utilisés à des fins pratiques, par exemple dans la construction d'une maison. Mais, pour autant que nous le sachions, les anciens Babyloniens et Égyptiens ne sont jamais parvenus au niveau de synthèse auquel les multiples exemples d'application de cette relation pouvaient être représentés symboliquement comme autant de cas particuliers d'une relation universelle. Ils ne développèrent pas ces symboles jusqu'au niveau de synthèse supérieur où une équation mathématique simple suffit à formuler la relation. En revanche, une telle représentation symbolique fut, semble-t-il, très bien comprise et utilisée plus tard par des Grecs cultivés.
 Les héritiers du savoir d'un stade postérieur peuvent être tentés de s'interroger : « Pourquoi les Babyloniens étaient-ils incapables, dans leur maniement des symboles mathématiques, d'atteindre le niveau de synthèse des Grecs ? » C'est là une question légitime. Pour l'explorer, il est nécessaire de prendre en compte le niveau de savoir, et par là même de symbolisation, à partir duquel les peuples de la Mésopotamie eurent accès aux mathématiques. On ne saurait non plus parvenir à une réponse adéquate si l'on néglige les difficultés immanentes que comporte l'élaboration de symboles communicables depuis un niveau inférieur donné jusqu'à un niveau supérieur. Faute d'une telle recherche, la question : « Pourquoi les Babyloniens étaient-ils incapables...? » n'exprimera qu'une vue des choses naïvement égocentrique. Elle peut signifier qu'en la posant on part de son propre point de vue ou, de manière plus générale, qu'on aborde un stade antérieur à partir d'un stade postérieur. En procédant ainsi, on relègue dans l'ombre le fait que l'humanité, ou chacune de ses sous-divisions représentant une tradition continue de savoir, a dû parcourir la série des stades antérieurs avant de parvenir aux stades postérieurs.
 Au lieu de demander à son imagination de se représenter un stade antérieur à partir d'un stade postérieur, on devrait plutôt s'efforcer d'accomplir l'opération inverse. Une telle perspective est à la fois plus adéquate et plus féconde. Comparées à ce qui les avait précédées, à une phase antérieure du développement des symboles, les mathématiques babyloniennes, en leur forme accomplie, ont selon toute vraisemblance représenté un progrès. Elles ne paraissent en retard que là où l'on prétend juger une phase antérieure du développement des symboles en utilisant une phase ultérieure comme étalon de mesure. En reconstruisant l'ordre réel de succession, on reconnaîtra plus facilement que la percée grecque en mathématiques ainsi qu'en d'autres domaines du savoir, percée vers un niveau supérieur de synthèse, a eu pour condition les progrès que le Proche-Orient avait déjà accomplis dans ces domaines.
 Ceux qui sont déjà en possession d'un certain savoir se représentent difficilement l'expérience de ceux qui ne possédaient pas encore ce savoir. Si l'on fait soi-même partie des « heureux propriétaires » d'un fonds de savoir représentant un niveau supérieur de synthèse, on perd facilement de vue la difficulté que des générations élevées au milieu des symboles conceptuels d'un stade antérieur ont éprouvée à élaborer et comprendre les symboles du niveau de synthèse immédiatement supérieur."
 
Norbert Elias, Du temps, 1984, tr. fr. Michèle Hulin, Fayard, p. 204-206.

 

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Date de création : 18/01/2011 @ 11:30
Dernière modification : 05/02/2019 @ 09:19
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