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Texte à méditer :   Un peuple civilisé ne mange pas les cadavres. Il mange les hommes vivants.   Curzio Malaparte
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Hors des sentiers battus
Le bonheur comme bien suprême

  "Dans toute action, dans tout choix, le bien c'est la fin, car c'est en vue de cette fin qu'on accomplit toujours le reste. Par conséquent, s'il y a quelque chose qui soit fin de tous nos actes, c'est cette chose là qui sera le bien réalisable, et s'il y a plusieurs choses, ce seront ces choses là. [...]
  Puisque les fins sont manifestement multiples, et que nous choisissons certaines d'entre elles (par exemple la richesse, les flûtes et en général les instruments) en vue d'autres choses, il est clair que ce ne sont pas là des fins parfaites, alors que le Souverain Bien est, de toute évidence, quelque chose de parfait. Il en résulte que s'il y a une seule chose qui soit une fin parfaite, elle sera le bien que nous cherchons, et s'il y en a plusieurs, ce sera la plus parfaite d'entre elles. Or, ce qui est digne d'être poursuivi par soi, nous le nommons plus parfait que ce qui est poursuivi pour une autre chose, et ce qui n'est jamais désirable en vue d'une autre chose, nous le déclarons plus parfait que les choses qui sont désirables à la fois par elles-mêmes et pour cette autre chose, et nous appelons parfait au sens absolu ce qui est toujours désirable en soi-même et ne l'est jamais en vue d'une autre chose. Or le bonheur semble être au suprême degré une fin de ce genre, car nous le choisissons toujours pour lui-même et jamais en vue d'une autre chose : au contraire, l'honneur, le plaisir, l'intelligence ou toute vertu quelconque, sont des biens que nous choisissons assurément pour eux-mêmes (puisque, même si aucun avantage n'en découlait pour nous, nous les choisirions encore), mais nous les choisissons en vue du bonheur, car c'est par leur intermédiaire que nous pensons devenir heureux. Par contre, le bonheur n'est jamais choisi en vue de ces biens, ni d'une manière générale en vue d'autre chose que lui-même".

 

Aristote, Éthique à Nicomaque, I, 5, 1097 a 20 - 1097 b 7.

 

  "Mais où donc et quand ai-je éprouvé le bonheur, pour m'en souvenir, l'aimer et le désirer ? Et ce n'est pas moi seulement ou quelques-uns qui le désirons ; mais tous absolument tous, nous voulons être heureux. Sans une connaissance assurée notre volonté n'aurait pas cette fermeté. Que veut dire ceci : qu'on demande à deux hommes s'ils veulent porter les armes ; peut-être l'un répondra qu'il le veut et l'autre qu'il ne le veut pas. Mais qu'on leur demande s'ils veulent être heureux, l'un et l'autre répondront sans la moindre hésitation qu'ils le souhaitent. Et, l'un, en désirant porter les armes, l'autre, en s'y refusant, obéissent également à cette volonté de bonheur. L'un aime ceci, l'autre cela, mais ils s'accordent à vouloir être heureux, comme ils s'accorderaient à répondre à qui leur demanderait s'ils veulent goûter de la joie, qu'ils le veulent. Cette joie même, c'est ce qu'ils nomment le bonheur. Ils ont beau se proposer des buts différents, ils tendent tous à ce but unique : la joie. Comme la joie est une chose dont personne ne peut se dire sans expérience, nous la retrouvons dans notre mémoire et la reconnaissons, en entendant prononcer le nom du bonheur."
 

Augustin, Les Confessions, 398, livre X, chapitre 21, tr.fr. Joseph Trabucco, GF, 1964, p. 225.


 

  "Tous les hommes recherchent d’être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu’ils y emploient. Ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre et que les autres n’y vont pas est ce même désir qui est dans tous les deux, accompagné de différentes vues. La volonté [ne] fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C’est le motif de toutes les actions de tous les hommes. Jusqu’à ceux qui vont se pendre.
  Et cependant depuis un si grand nombre d’années jamais personne, sans la foi, n’est arrivé à ce point où tous visent continuellement. Tous se plaignent, princes, sujets, nobles, roturiers, vieux, jeunes, forts, faibles, savants, ignorants, sains, malades, de tous pays, de tous les temps, de tous âges et de toutes conditions. […]

  Qu’est‑ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance, sinon qu’il y a eu autrefois dans l’homme un véritable bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace toute vide, et qu’il essaie inutilement de remplir de tout ce qui l’environne, recherchant des choses absentes le secours qu’il n’obtient pas des présentes, mais qui en sont toutes incapables, parce que ce gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini et immuable, c’est‑à‑dire que par Dieu même.
  Lui seul est son véritable bien. Et depuis qu’il l’a quitté, c’est une chose étrange qu’il n’y a rien dans la nature qui n’ait été capable de lui en tenir la place : astres, ciel, terre, éléments, plantes, choux, poireaux, animaux, insectes, veaux, serpents, fièvre, peste, guerre, famine, vices, adultère, inceste. Et depuis qu’il a perdu le vrai bien, tout également peut lui paraître tel, jusqu’à sa destruction propre, quoique si contraire à Dieu, à la raison et à la nature tout ensemble."

 

Pascal, Pensées, 1670, Brunschvicg 425, Lafuma 148, Livre de Poche, 1972, p. 186-187.



  "L'on appelle intérêt l'objet auquel chaque homme d'après son tempérament et les idées qui lui sont propres, attache son bien-être ; d'où l'on voit que l'intérêt n'est jamais que ce que chacun de nous regarde comme nécessaire à sa félicité. Il faut encore en conclure que nul homme dans ce monde n'est totalement sans intérêt. Celui de l'avare est d'amasser des richesses ; celui du prodigue est de les dissiper ; l'intérêt de l'ambitieux est d'obtenir du pouvoir, des titres, des dignités ; celui du sage modeste est de jouir de la tranquillité ; l'intérêt du débauché est de se livrer sans choix à toutes sortes de plaisirs ; celui de l'homme prudent est de s'abstenir de ceux qui pourraient lui nuire. L'intérêt du méchant est de satisfaire ses passions à tout prix ; celui de l'homme vertueux est de mériter par sa conduite l'amour et l'approbation des autres, et de ne rien faire qui puisse le dégrader à ses propres yeux.
  Ainsi lorsque nous disons que l'intérêt est l'unique mobile des actions humaines, nous voulons indiquer par là que chaque homme travaille à sa manière à son propre bonheur, qu'il place dans quel qu'objet soit visible soit caché, soit réel soit imaginaire, et que tout le système de sa conduite tend à l'obtenir. Cela posé nul homme ne peut être appelé désintéressé ; l'on ne donne ce nom qu'à celui dont nous ignorons les mobiles, ou dont nous approuvons l'intérêt. C'est ainsi que nous appelons généreux, fidèle et désintéressé celui qui est bien plus touché du plaisir de secourir son ami dans l'infortune, que de celui de conserver dans son coffre d'inutiles trésors. Nous appelons désintéressé tout homme à qui l'intérêt de sa gloire est plus précieux que celui de sa fortune. Enfin nous appelons désintéressé tout homme qui fait à l'objet auquel il attache son bonheur, des sacrifices que nous jugeons coûteux, parce que nous n' attachons point le même prix à cet objet."

 

Paul-Henri Thiry D'Holbach, Système de la nature, 1770, 1ère partie, Chapitre XV, in Œuvres philosophiques complètes, tome II, Éditions Alive, 1999, p. 355-356.


 

 
 "[…] on ne désire en réalité qu'une chose : le bonheur. Toute chose qu'on désire autrement qu'à titre de moyen conduisant à quelque but plus éloigné, et en définitive au bonheur, est désirée comme une partie même du bonheur et n'est pas désirée pour elle-même tant qu'elle n'est pas devenue une partie du bonheur. Ceux qui désirent la vertu pour elle-même la désirent, soit parce que la conscience de la posséder est un plaisir, soit parce que la conscience d'en être dépourvu est une peine, soit pour les deux raisons réunies -, car, à vrai dire, le plaisir et la peine en ce cas existent rarement séparés, mais se présentent presque toujours ensemble, la même personne éprouvant le plaisir d'avoir atteint un certain degré de vertu et la peine de ne pas s'être élevée plus haut. Si elle n'éprouvait ni ce plaisir, ni cette peine, c'est qu'elle n'aimerait pas ou ne désirerait pas la vertu, ou la désirerait seulement pour les autres avantages qu'elle pourrait lui apporter, soit à elle-même, soit aux personnes auxquelles elle tient."
 
Mill, L'utilitarisme, 1861, tr. fr. George Tannesse, Champs classiques, 1988, p. 109-110.

 

    "Tous les hommes, dit-on, cherchent le bonheur et on ne le dit pas seulement comme un constat statistique, mais on ajoute que cela est dans leur nature, donc comme un constat essentiel. L'universalité ainsi stipulée du but de la béatitude n'est tout d'abord rien qu'un fait : on n'a pas nécessairement besoin, semble t-il d'approuver sa recherche qu'elle rend ainsi nécessaire ; on peut la mépriser ou la rejeter. Du moins doit-on lui concéder qu’elle n'est pas choisie arbitrairement et le fait qu'elle soit implantée si universellement dans notre nature engendre une présomption forte que c'est une tendance légitime et que là où elle n'indique pas une obligation elle indique au moins un droit a son but : que donc nous avons sinon obligation du moins le droit de tendre vers lui. Mais alors en résulterait également l'obligation - autrement dit malgré tout un devoir - de respecter ce droit dans les autres, donc de ne pas l'entraver et même de le promouvoir. Et l'intérêt d'autrui que je devrais respecter aurait pour moi indirectement la conséquence de l'obligation (si elle n'existe pas déjà immédiatement) de favoriser également ma propre béatitude, dont l’appauvrissement serait une perturbation de la béatitude générale… À supposer qu'on puisse argumenter de cette manière ou de manière semblable, alors l'universalité factuelle, déterminée par la nature, de la recherche du bonheur, qui profite à la présomption mentionnée de sa légitimité, contribue malgré tout en partie à sa légitimation."


Hans Jonas, Le Principe responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique, 1979, trad. J. Greisch, Champs Flammarion, 1998, p. 151-152.

 

    "Si on nous demandait aujourd'hui d'expliquer les actions d'autrui, nous répondrions pour la plupart, sans grande hésitation, que la recherche du bonheur en constitue le motif. Cette réponse nous vient aux lèvres sans effort, et sans trop de réflexions préliminaires non plus : nous ne ressentons pas le besoin de prendre du recul, de réfléchir, de chercher des preuves, d'argumenter. La recherche du bonheur nous semble être une prédilection naturelle et une préoccupation permanente des êtres humains. Elle semble être simultanément la cause nécessaire et suffisante du refus d'immobilité des hommes, ainsi que le stimulus majeur les poussant à faire des efforts et prendre les risques qu'entraînent toute recherche, expérience, découverte et invention de nouvelles façons d'être. Pour nous, et peut-être pour tous nos contemporains, il va sans dire que tous les individus font ce qu'ils font parce qu'ils veulent être heureux, ou plus heureux qu'ils ne le sont. Sans ce désir, ils ne feraient pas ce qu'ils font – ils ne le feraient certainement pas de leur propre volonté et de leur propre initiative. En fait, l'idée même de « coercition », telle que nous la comprenons pour la plupart, représente tout ce qui empêche les gens de faire ce qu'ils auraient fait si on leur avait permis de rechercher, librement, leur bonheur. […]

    Notre tendance à lire la recherche du bonheur dans toute action humaine est peut-être enracinée si profondément qu'aucun autre argument n'est requis pour guider notre perception des motivations manifestes ou latentes de l'action. Le fait qu'elle ait accédé au statut de doxa (idée avec laquelle nous pensons, mais à laquelle nous ne pensons pas) nous impose toutefois de prendre le temps de la réflexion. On n'a pas toujours indiqué la recherche du bonheur comme premier moteur des entreprises humaines (de fait, comme signification de la vie humaine) de façon aussi neutre qu'aujourd'hui. En effet, nous avons lieu de supposer que le choix de la pénitence (et, plus généralement, de la souffrance), plutôt que du bonheur, comme but suprême de la vie et destination des mortels humains, marqua de façon plus manifeste et cruciale la « tradition occidentale » durant l'essentiel de son histoire. Il était entendu que la souffrance, et non le plaisir, constituait le véritable et inévitable destin de l'homme. Ce qui posait problème, la grande difficulté, c'était la réconciliation avec la souffrance, et non le fait de l'éviter, et encore moins de l'éliminer."

 

Zygmunt Bauman, La société assiégée, 2002, IV, tr. fr Christophe Rosson, Hachette Littératures, coll. Pluriel, p. 191 et p. 192.


 
 "La recherche humaine du plaisir demande à être regardée en face en dépit de toutes les stratégies déployées au fil de l'histoire par les penseurs, les moralistes, les politiques, pour la condamner, s'en débarrasser, la rendre présentable ou la sublimer – au point que même les avocats de l'hédonisme souvent le défigurent. Les hommes sont mus par le plaisir et la douleur – présents ou attendus [...]. Ces ressorts restent essentiellement les mêmes, mais les moyens techniques de les utiliser, contrôler, exploiter, satisfaire, ont considérablement évolué et parfois changé du tout au tout les manières de les vivre et de les penser aussi. Notre époque manifeste des capacités exceptionnelles en ce domaine. L'économie a désormais pour fonction d'assurer non pas la survie économique, mais le bien-être total, le bonheur. La dynamique économique se nourrit de notre quête du plaisir, de la jouissance, de l'insouciance..."
 
Yves Michaud, Ibiza mon amour, 2012, Introduction.

 

 

Date de création : 29/11/2005 @ 10:40
Dernière modification : 02/12/2019 @ 08:50
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