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Texte à méditer :  La raison du plus fort est toujours la meilleure.
  
La Fontaine
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Hors des sentiers battus
La publicité

  "Parce qu'elle donne de l'importance aux biens, la publicité en donne aussi au système industriel et soutient ainsi l'importance et le prestige de la technostructure du point de vue social.
  De même que le propriétaire foncier et le capitaliste ont perdu leur prestige le jour où la terre et le capital cessèrent d'être des facteurs sociaux déterminants, de même la techno­structure serait bientôt reléguée à l'arrière-plan si la fourni­ture de produits industriels devenait une affaire de routine, comme l'eau nous est dispensée par les canalisations quand il a plu normalement pendant l'année. C'est ce qui se serait passé depuis longtemps si la publicité, qui met sans relâche l'accent sur l'importance des biens, n'avait maintenu les gens dans la conviction du contraire.

  Considérés non dans l'absolu mais dans le contexte appro­prié – celui de la planification industrielle – la publicité et ses activités connexes remplissent, de toute évidence, une fonction sociale essentielle. Celle-ci va du conditionnement de la demande – contrepartie nécessaire de l'action sur les prix – à la détermination des attitudes nécessaires au fonctionnement et au prestige du système industriel. Depuis longtemps, les techniciens de la publicité souffrent de se voir accuser par les économistes de former une catégorie de gaspilleurs sociaux. Ils n'ont jamais très bien su comment leur répondre. Parmi eux, il s'est trouvé certainement des gens pour com­prendre que, dans une société où les besoins ont des racines psychologiques, on ne peut pas négliger les instruments qui permettent d'atteindre l'esprit. Ils avaient raison. Les fonc­tions dont il est question ici sont peut-être moins nobles que ne le souhaiteraient d'exigeants philosophes de l'industrie publicitaire. Quoi qu'il en soit, nul ne peut mettre en doute leur importance pour le système industriel, compte tenu, toujours, des critères auxquels le système se réfère pour mesu­rer les réalisations et le succès."

 

John Kenneth Galbraith, Le Nouvel État industriel, 1967, tr. fr. J.-L. Crémieux-Brilhac et Maurice Le Nan, Gallimard, coll. ''Bibliothèque des Sciences Humaines", 1968, p. 217.



  "Par ailleurs, les recherches de motivation ont aussi forcément changé de caractère, car il s'agit de faire acheter des objets de plus en plus inutiles, des gadgets, comme nous l'avons vu. Tout ce que l'on avait envisagé comme motivations soit rationnelles, soit « freudiennes », ne compte presque plus (malgré l'importance qui subsiste de l'éros et de la liberté), la publicité s'oriente inévitablement vers le délirant. Nous y reviendrons. Tout le monde a pu se rendre compte du changement de « style » de la publicité. Ce n'est pas seulement l'utilisation de nouveaux moyens techniques, d'images fabriquées par ordinateur, de procédés cinématographiques récents, ni d'un changement de sujets ou de méthodes pour traiter un sujet. Il s'agit de tout autre chose.
  Que les publicitaires soient conscients à la fois de la nécessité de présenter autrement des produits tout nouveaux, inattendus, et aussi des moyens étonnants mis maintenant à leur disposition, c'est évident. Que l'on poursuive l'idée qu'il fallait « introduire dans la marchandise des qualités libidinales non intrinsèques au départ » (E. Morin), que l'on continue le chemin parfaitement décrit par ce dernier auteur selon lequel la publicité s'avance, d'un côté, sur la route de la libido qui conduit vers des pulsions inconscientes, vers le « ça » freudien, et de l'autre sur la route de l'individualité, de cette construction culturelle qui s'appelle la personnalité, le « moi » freudien, cela reste parfaitement exact. Mais ce n'est plus suffisant pour rendre compte, et de la mutation publicitaire et de son rôle actuel.
  La publicité a changé de style parce qu'elle a changé de fonction, et en même temps elle a changé de statut. Les publicitaires sont en réalité portés par une transformation de l'objet de leur travail, qui fait que tout l'ancien arsenal de recherches de motivation, etc., est en réalité très désuet, et je dirais qu'ils font en effet une publicité adaptée à son nouveau statut, une publicité qui, en quelque sorte, leur échappe. Jusqu'à présent, la publicité était une annexe, indispensable certes, de la distribution, du commerce, et servait à faire acheter un produit. Aujourd'hui, il est bien exact qu'un de ses objectifs est toujours de faire acheter un produit, mais ce n'est plus tout à fait le même genre, il s'agit moins de vendre un cirage ou un meuble que de vendre un produit technique, un appareil ou bien une marchandise très sophistiquée, à qualités hautement techniques (même s'il ne s'agit que de Coca-Cola !). En réalité, le changement de statut de la technique correspond à ce que d'agent annexe de vente, elle est devenue le moteur de tout le système. La publicité est la dictature invisible de notre société."

 

Jacques Ellul, Le Bluff technologique, 1988, Hachette, Pluriel, 2012, p. 413-414.



  "Pour pouvoir être considérée de façon rationnelle, toute affirmation - publicitaire ou non - doit être exprimée par des mots. Plus précisément, elle doit prendre la forme d'une proposition ; car c'est là 1'univers du discours d'où proviennent des mots comme « vrai » et « faux ». Si cet univers du discours est abandonné, l'application de critères empiriques, l'analyse logique ou tout autre instrument de la raison sont impuissants.
  L'abandon progressif des propositions dans la publicité commerciale a commencé dès la fin du XIXe siècle. Mais il a fallu attendre les années 50 pour que la publicité à la télévision rende obsolète le discours linguistique comme base de décision dans le choix des produits. Avec le remplacement des assertions par la publicité en images, les décisions des consommateurs ne sont plus basées sur une épreuve de vérité mais sur une attirance émotionnelle. Le fossé entre la rationalité et la publicité s'est maintenant tellement creusé qu'il est difficile de se rappeler qu'elles ont jamais eu un lien. Aujourd'hui, dans la télévision publicitaire, les propositions sont aussi rares que  les gens laids. La question ne se pose même plus de savoir si le publicitaire dit ou non la vérité. Une publicité pour McDonald, par exemple, n'est pas une série d'assertions vérifiables et présentées avec logique. C'est une mise en scène - une mythologie, si vous voulez - de gens tous beaux, vendant, achetant et mangeant des hamburgers et affichant un bonheur extatique. Aucune affirmation n'est faite, si ce n'est celles que les téléspectateurs projettent sur la scène ou déduisent de celle-ci. On peut aimer ou ne pas aimer une publicité ; on ne peut pas la réfuter.
  En réalité, la publicité à la télévision n'a plus rien à voir avec le caractère des produits à consommer. Mais seulement avec le caractère des consommateurs des produits. Les images de stars de cinéma, de sportifs célèbres, de lacs sereins et de machos faisant des pêches extraordinaires, de dîners élégants et d'interludes romantiques ou de familles heureuses chargeant le break pour aller pique-niquer à la campagne ne disent rien sur les produits à vendre. Mais disent tout sur les peurs, les fantasmes et les rêves de ceux qui sont susceptibles de les acheter. Le publicitaire n'a pas besoin de savoir ce qu'il y a de bien dans le produit mais ce qui ne va pas chez l'acheteur. Aussi les dépenses engagées par les fabricants passent-elles de la recherche sur les produits aux enquêtes de marché. Le problème n'est pas de fabriquer des produits de qualité mais de faire que les consommateurs se sentent bien : faire marcher les affaires est maintenant une question de pseudo-thérapie. Le consommateur est un patient convaincu par des psycho-drames."

 

Neil Postman, Se distraire à en mourir, 1985, tr. fr. Thérésa de Chérisey, Nova Éditions, 2010, p. 192-194.

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Date de création : 01/08/2011 @ 13:14
Dernière modification : 09/02/2025 @ 11:42
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