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Texte à méditer :  Je vois le bien, je l'approuve, et je fais le mal.  Ovide
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Figures philosophiques

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Hors des sentiers battus
L'utilité ou la nocivité de la vérité
  "Voici les paroles du Sage, fils de David et roi à Jérusalem. De la fumée, dit le Sage, tout n'est que fumée, tout part en fumée. Les humains travaillent durement ici-bas mais quel profit en tirent-ils ? Une génération passe, une nouvelle génération lui succède, mais le monde demeure indéfiniment. Le soleil se lève, le soleil se couche, puis il se hâte de retourner à son point de départ. Le vent souffle tantôt vers le sud, tantôt vers le nord. Le vent souffle, le vent tourne, puis il reprend sa première direction. Tous les fleuves se jettent dans la mer, mais la mer n'est jamais remplie. Sans arrêt pourtant, les fleuves se déversent à ce même endroit. On ne pourra jamais assez dire combien tout cela est lassant : l'œil n'a jamais fini de voir ni l'oreille d'entendre. Ce qui est arrivé arrivera encore. Ce qui a été fait se fera encore. Rien de nouveau ne se produit ici-bas. S'il y a quelque chose dont nous disons : « Voilà du neuf ! », en réalité cela avait déjà existé bien longtemps avant nous. Mais nous oublions ce qui est arrivé à nos ancêtres. Les hommes qui viendront après nous ne laisseront pas non plus de souvenir à ceux qui leur succéderont.
  Moi, le Sage, j'ai régné sur le peuple d'Israël à Jérusalem. Je me suis appliqué à comprendre et à connaître ce qui se passe dans le monde à l'aide de toute ma sagesse. C'est là une préoccupation pénible que Dieu impose aux humains ! J'ai vu tout ce qui se fait ici-bas. Eh bien, ce n'est que fumée, course après le vent. Ce qui est tordu ne peut pas être redressé, ce qui n'existe pas ne peut pas être compté.
  Je me suis dit : « J'ai accumulé bien plus de sagesse que tous ceux qui ont régné à Jérusalem avant moi. » J'ai beaucoup enrichi mon expérience et ma compréhension de la vie. Je me suis appliqué à connaître ce qui est sage et ce qui est insensé, ce qui est intelligent et ce qui est stupide. J'ai compris que cela aussi c'est courir après le vent. Beaucoup de sagesse, c'est beaucoup de tracas ; qui augmente son savoir augmente sa douleur."

 

Ecclésiaste, I, 1-18, Alliance Biblique Universelle.


 

  "Si la nature de l'homme l'oblige dans chaque instant de sa durée de tendre vers le bonheur ou de chercher à rendre son existence agréable, il lui est avantageux d'en trouver les moyens et d'écarter les obstacles qui s'opposent à sa pente naturelle. Cela posé, la vérité est nécessaire à l'homme, et l'erreur ne peut jamais lui être que dangereuse. « La vérité, dit Hobbes, n'intéresse les hommes que parce qu'elle leur est utile et nécessaire : les connaissances humaines, pour être utiles, doivent être évidentes et vraies : il n'est point d’évidence sans le témoignage de nos sens : toute connaissance qui n'est point évidente n'est qu'une opinion. »
  L'opinion est la reine du monde. « Nos volontés, dit le même philosophe, suivent nos opinions, et nos actions suivent nos volontés ; voilà comment le monde est gouverné par l'opinion. » Mais l'opinion n'est que la vérité ou la fausseté établie sans examen dans l'esprit des mortels ; les opinions universelles sont celles qui sont généralement admises par les hommes de tout pays ; les opinions nationales sont celles qui sont adoptées par des nations particulières. Comment distinguer si ces opinions sont vraies ou fausses ? C'est en recourant à l'expérience et à la raison, qui en est le fruit ; c'est en examinant si ces opinions sont réellement et constamment avantageuses au grand nombre ; c'est en pesant leurs avantages contre leurs désavantages ; c'est en considérant les effets nécessaires qu’elles produisent sur ceux qui les ont embrassées, et sur les Êtres avec qui ils vivent en société.
  Ainsi, ce n'est qu'à l'aide de l'expérience que nous pouvons découvrir la vérité. Mais qu'est-ce que la vérité ? C'est la connaissance des rapports qui subsistent entre les Êtres agissant les uns sur les autres ; ou, si l'on veut, c'est la conformité qui se trouve entre les jugements que nous portons des Êtres, et les qualités que ces Êtres renferment éternellement."

 
Paul-Henri Thiry D'Holbach, Essai sur les préjugés, 1770, Chapitre I, in Œuvres philosophiques complètes, tome II, Éditions Alive, 1999, p. 7.


  "Tout ce qui contredit le bien-être de l'homme, ne peut avoir que le mensonge pour auteur ; tout système qui lui nuit ne peut être véritable ; la vérité n'est un bien que parce qu’elle est utile ; elle n'est utile que parce qu'elle est nécessaire au bonheur de l'homme ; le bon et le vrai sont inséparablement associés ; ce qui est vrai ne peut être mauvais ; ce qui est mauvais ne peut être véritable ; ce qui est bon ne peut avoir la fausseté pour base ; ce qui est nuisible ne peut être que l'ouvrage de la fraude et du délire, et par conséquent ne peut mériter les respects du vrai Sage. La sagesse n'est rien si elle ne conduit au bonheur."
 
Paul-Henri Thiry D'Holbach, Essai sur les préjugés, 1770, Chapitre XI, in Œuvres philosophiques complètes, tome II, Éditions Alive, 1999, p. 118-119.


  "Pour des êtres que leur essence oblige de tendre constamment à se conserver et à se rendre heureux, l'expérience est indispensable ; ils ne peuvent sans elle découvrir la vérité, qui n'est, comme on a dit, que la connaissance des rapports constants qui subsistent entre l'homme et les objets qui agissent sur lui ; d'après nos expériences nous appelons utiles ceux qui nous procurent un bien-être permanent, et nous nommons agréables ceux qui nous procurent un plaisir plus ou moins durable. La vérité elle-même ne fait l'objet de nos désirs que par ce que nous la croyons utile ; nous la craignons dès que nous présumons qu'elle peut nous nuire.
  Mais la vérité peut-elle réellement nuire ? Est-il bien possible qu'il pût résulter du mal pour l'homme d'une connaissance exacte des rapports ou des choses que pour son bonheur il est intéressé de connaître ? Non, sans doute ; c'est sur son utilité que la vérité fonde sa valeur et ses droits ; elle peut être quelquefois désagréable à quelques individus et contraire à leurs intérêts, mais elle sera toujours utile à toute l'espèce humaine, dont les intérêts ne sont jamais les mêmes que ceux des hommes qui, dupes de leurs propres passions, se croient intéressés à plonger les autres dans l'erreur. L' utilité est donc la pierre de touche des systèmes, des opinions et des actions des hommes ; elle est la mesure de l'estime et de l'amour que nous devons à la vérité même : les vérités les plus utiles sont les plus estimables ; nous appelons grandes les vérités les plus intéressantes pour le genre humain ; celles que nous appelons stériles, ou que nous dédaignons, sont celles dont l'utilité se borne à l'amusement de quelques hommes qui n' ont point des idées, des façons de sentir, des besoins analogues aux nôtres."

 
Paul-Henri Thiry D'Holbach, Système de la nature, 1770, 1ère partie, Chapitre XII, in Œuvres philosophiques complètes, tome II, Éditions Alive, 1999, p. 300.


  "La question de savoir si la vérité est nécessaire doit, non seulement avoir reçu d'avance une réponse affirmative, mais l'affirmation doit en être faite de façon à ce que le principe, la foi, la conviction y soient exprimés, « rien n'est plus nécessaire que la vérité, et, par rapport à elle, tout le reste n'a qu'une valeur de deuxième ordre ». - Cette absolue volonté de vérité : qu'est-elle? Est-ce la volonté de ne pas se laisser tromper ? Est-ce la volonté de ne point tromper ? Car la volonté de vérité pourrait aussi s'interpréter de cette dernière façon : en admettant que la généralisation « je ne veux pas tromper » comprenne aussi le cas particulier « je ne veux pas me tromper ». Mais pourquoi ne pas tromper ? Mais pourquoi ne pas se laisser tromper ? - Il faut remarquer que les raisons de la première éventualité se trouvent sur un tout autre domaine que les raisons de la seconde. On ne veut pas se laisser tromper parce que l'on considère qu'il est nuisible, dangereux, néfaste d'être trompé, - à ce point de vue la science serait le résultat d'une longue ruse, d'une précaution, d'une utilité, à quoi l'on pourrait justement objecter : comment ? le fait de ne pas vouloir se laisser tromper diminuerait vraiment les risques de rencontrer des choses nuisibles, dangereuses, néfastes ? Que savez-vous de prime abord du caractère de l'existence pour pouvoir décider si le plus grand avantage est du côté de la méfiance absolue ou du côté de la confiance absolue ?
  Mais pour le cas où les deux choses seraient nécessaires, beaucoup de confiance et beaucoup de méfiance, d'où la science prendrait-elle alors sa foi absolue, cette conviction qui lui sert de base, que la vérité est plus importante que toute autre chose, et aussi plus importante que toute autre conviction ? Cette conviction, précisément, n'aurait pas pu se former, si la vérité et la non-vérité n'affirmaient toutes deux, en même temps, leur utilité, cette utilité qui est un fait. Donc, la foi en la science, cette foi qui est incontestable, ne peut pas avoir tiré son origine d'un pareil calcul d'utilité, au contraire elle s'est formée malgré la démonstration constante de l'inutilité et du danger qui résident dans la « volonté de vérité », dans « la vérité à tout prix ». « À tout prix », hélas! nous savons trop bien ce que cela veut dire lorsque nous avons offert et sacrifié sur cet autel une croyance après l'autre ! - Par conséquent « volonté de vérité » ne signifie point « je ne veux pas me laisser tromper », mais – et il n'y a pas de choix – « je ne veux pas tromper, ni moi-même, ni les autres » : - et nous voici sur le terrain de la morale. Car on fera bien de s'interroger à fond : « Pourquoi ne veux-tu pas tromper ? » surtout lorsqu'il pourrait y avoir apparence - et il y a apparence! - que la vie n'est faite qu'en vue de l'apparence,je veux dire en vue de l'erreur, de la duperie, de la dissimulation, de l'éblouissement, de l'aveuglement, et alors que, d'autre part, la grande forme de la vie s'est effectivement toujours montrée du côté des polutropoi[1] les moins scrupuleux. Un pareil dessein pourrait peut-être ressembler, pour m'exprimer en douceur, à quelque donquichotterie, à une petite déraison enthousiaste, mais il pourrait être quelque chose de pire encore, je veux dire un principe destructeur qui met la vie en danger... « Volonté de vérité » - cela pourrait cacher une volonté de mort. - En sorte que la question : pourquoi la science ? se réduit au problème moral : pourquoi de toute façon la morale ?, si la vie, la nature, l'histoire sont ,immorales, ? Il n'y a aucun doute, le véridique, au sens le plus hardi et le plus extrême, tel que le présuppose la foi en la science, affirme ainsi un autre monde que celui de la vie, de la nature, de l'histoire ; et, en tant qu'il affirme cet autre monde, ne lui faut-il pas, par cela même, nier son antipode, ce monde, notre monde ?... Mais on aura déjà compris où je veux en venir, à savoir que c'est encore et toujours sur une croyance métaphysique que repose notre foi en la science, - que nous aussi, nous qui cherchons aujourd'hui la connaissance, nous les impies et les antimétaphysiques, nous empruntons encore notre feu à l'incendie qu'une foi vieille de mille années a allumé, cette foi chrétienne qui fut aussi la foi de Platon et qui admettait que Dieu est la vérité et que la vérité est divine... Mais que serait-ce si cela précisément devenait de plus en plus invraisemblable, si rien ne s'affirme plus comme divin si ce n'est l'erreur, l'aveuglement, le mensonge, - si Dieu lui-même s'affirmait comme notre plus long mensonge ?"

 

Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir, § 344, tr. fr. Henri Albert, Société du Mercure de France, 1901, p. 302-304.


[1] Mot grec signifiant "rusé, aux mille tours" qui s'applique à Ulysse dans L'Iliade.



  "La fausseté d'un jugement ne suffit pas à constituer à nos yeux une objection contre un jugement ; c'est en cela peut-être que notre nouveau langage rend le son le plus étrange. La question est de savoir jusqu'à quel point il favorise la vie, conserve la vie, conserve l'espèce, et peut-être permet l'élevage de l'espèce ; et nous sommes fondamentalement portés à affirmer que les jugements les plus faux (dont font partie les jugements synthétiques a priori) sont pour nous les plus indispensables, que sans tenir pour valides les fictions logiques, sans un étalon de mesure de la réalité référé au monde purement inventé de l'inconditionné, de l'identique à soi, sans une falsification constante du monde par le biais du nombre, l'homme ne pourrait vivre – que renoncer aux jugements faux serait renoncer à la vie, nier la vie. Reconnaître la non-vérité pour condition de vie : c'est là à coup sûr une manière dangereuse de résister aux sentiments de valeur habituels ; et cela suffit pour qu'une philosophie qui s'y risque se place d'emblée par-delà bien et mal."

 

Friedrich Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, 1886, § 4, tr. Patrick Wotling, GF, 2000, p. 50.


 

  "Ce n'est pas la victoire de la science qui constitue ce qui distingue notre XIXe siècle, mais la victoire de la méthode scientifique sur la science.
  L'erreur et l'ignorance sont funestes. – L'affirmation que la vérité est là et que l'on en a fini avec l'ignorance et l'erreur est un des égarements les plus grands qu'il y ait. Si on pose qu'elle est crue, alors la volonté d'examen, de recherche, de prudence, d'expérimentation se trouve paralysée : elle peut passer elle-même pour sacrilège, à savoir comme doute à l'égard de la vérité.
  La « vérité » est par conséquent plus funeste que l'erreur et l'ignorance, parce qu'elle entrave les forces avec lesquelles on travaille à la recherche des lumières et de la connaissance.
  L'affect de la paresse prend à présent parti pour la « vérité » – (« Penser est une détresse , une misère ! ») ; de même l'ordre, la règle, le bonheur de la possession, l'orgueil de la sagesse – la vanité in summa : – il est plus commode d'obéir que d'examiner ; il est plus flatteur de penser « J'ai la vérité » que de ne voir autour de soi que de l'obscurité … avant tout : cela tranquillise, cela donne confiance, cela facilité la vie – cela « améliore » le caractère, dans la mesure où cela diminue la méfiance. La « paix de l'âme », le « repos de la conscience » ; autant d'inventions qui ne sont possibles que sous le présupposé que la vérité est ."
 
Friedrich Nietzsche, Aus dem Nachlass der Achtziger Jahre. Briefe (1861-1889), Werke IV, herausgegeben von Karl Schlechta, Ullstein Verlag, Frankfurt/M – Berlin – Wien, 1979, p. 406.


  "Non point « connaître », mais schématiser, — imposer au chaos assez de régularité et de formes pour satisfaire notre besoin pratique.
  Dans la formation de la raison, de la logique, des catégories, le besoin a donné la mesure : le besoin non pas de « connaître », mais de comprendre, de résumer, de schématiser en vue de l'intelligence du calcul... (L'arrangement, l'interprétation des choses semblables, égales, — le même processus que subit toute impression des sens c'est le développement de la raison !) Ce n'est pas une « idée » préexistante qui a travaillé là : mais l'utilité ; les choses ne sont évaluables et maniables pour nous que lorsque nous les voyons grossières et égales les unes aux autres... La finalité dans la raison est un effet et non pas une cause : la vie déconseille toute autre espèce de raison vers quoi il y a sans cesse des efforts, – elle devient alors peu claire – trop inégale.

  Les catégories ne sont des « vérités » qu'en ce sens qu'elles sont pour nous des conditions d'existence : de même que l'espace d'Euclide est une pareille « vérité » conditionnée. (Comme personne ne soutiendra qu'il y a nécessité absolue à ce qu'il y ait précisément des hommes, la raison, de même que l'espace d'Euclide, est une simple idiosyncrasie de certaines espèces animales, une seule idiosyncrasie à côté de tant d'autres...)
  La contrainte subjective qui empêche de contredire ici est une contrainte biologique : l'instinct de l'utilité qu'il y a à conclure ainsi que nous concluons est devenu pour nous une seconde nature, nous sommes presque cet instinct... Mais quelle naïveté de vouloir tirer de là la démonstration que nous possédons une vérité en soi ! Le fait de ne pas pouvoir contredire est la preuve d'une incapacité et non point d'une « vérité »."

 

Friedrich Nietzsche, Fragments posthumes, 14 [152], printemps 1888, in La Volonté de puissance, Tome II, § 272, tr. fr. Henri Albert, Société du Mercure de France, 1903, p. 23-24.
 


Date de création : 22/02/2012 @ 16:28
Dernière modification : 16/01/2024 @ 14:03
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