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Texte à méditer :  Je vois le bien, je l'approuve, et je fais le mal.  Ovide
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Hors des sentiers battus
La satisfaction des besoins

  "On admet couramment que la vie au paléolithique était dure ; nos manuels s'efforcent de perpétuer un sentiment de fatalité menaçante, au point qu'on en vient à se demander non seulement comment les chasseurs faisaient pour vivre, mais si l'on peut appeler cela vivre ! On y voit le chasseur traqué, au fil des pages, par le spectre de la famine. Son incompétence technique, dit-on, le contraint à peiner sans répit pour obtenir tout juste de quoi ne pas mourir de faim [...]. Et dans les traités de développement économique, il se voit attribuer le rôle de mauvais exemple : l'économie dite « de subsistance », c'est lui. [...] Affirmer que les chasseurs vivent dans l'abondance, c'est donc nier que la condition humaine est une tragédie concertée et l'homme, un forçat qui peine à perpétuité dans une perpétuelle disparité entre ses besoins illimités et ses moyens insuffisants.  Car il y a deux voies possibles qui procurent l'abondance. On peut « aisément satisfaire » des besoins en produisant beaucoup, ou bien en désirant peu. La conception qui nous est familière, celle de Galbraith, est fondée sur des hypothèses plus particulièrement adaptées à l'économie de marché : les besoins de l'homme sont immenses, voire infinis, alors que ses moyens sont limités quoique perfectibles; on peut réduire l'écart entre fins et moyens par la productivité industrielle, au moins jusqu'à ce que les « besoins urgents » soient pleinement satisfaits. Mais il y a aussi une voie « Zen » qui mène à l'abondance, à partir de principes quelque peu différents des nôtres. Les besoins matériels de l'homme sont finis et peu nombreux, et les moyens techniques invariables, bien que, pour l'essentiel, appropriés à ces besoins. En adoptant une stratégie de type Zen, un peuple peut jouir d'une abondance matérielle sans égale avec un bas niveau de vie. Tel est, je crois, le cas des chasseurs; et ainsi s'expliquent certains aspects paradoxaux de leur comportement économique : leur « prodigalité », par exemple, leur propension à consommer en une seule fois tous leurs stocks... comme si les biens de ce monde leur tombaient du ciel. Ignorant cette obsession de la rareté qui caractérise les économies de marché, les économies de chasse et de cueillette peuvent miser systématiquement sur l'abondance."

 

Marshall Sahlins, Âge de pierre, âge d'abondance, 1974, Gallimard, 1976, p. 37-38.


 

  "Ces communautés avaient en réalité à leur disposition des ressources dépassant très largement leurs besoins. En prenant en compte la productivité de leurs jardins, les rendements de la chasse et de la pêche, mais aussi l'effort humain déployé dans ces activités, j'ai pu montrer que les Achuar disposaient potentiellement de quoi nourrir deux ou trois fois la population présente, et peut-être ­même plus. Ils n'étaient donc en rien esclaves de  leur environnement. On était vraiment dans le cadre de ce que Marshall Sahlins a appelé la « première société d'abondance » ; plutôt que de concéder un temps de travail équivalent à celui que l'on trouve dans les sociétés industrielles, et d'exploiter ainsi au maximum les potentialités écologiques et économiques du milieu, les Achuar travaillaient trois ou quatre heures par jour pour pourvoir abondamment à leurs besoins, et restaie­nt en deçà de ces possibilités de développement. Ils vivaient fort bien ainsi et, à population constante par ailleurs, l'on voit mal ce qui aurait pu les pousser à augmenter leur temps de travail pour intensifier leur production. Raisonner en termes d'adaptation à un écosystème me paraissait donc absurde, parce que les Achuar n'étaient pas déterminés dans leur existence sociale par des contraintes environnementales ou par des limitations techniques, mais par un idéal d'exis­tence culturellement défini, ce que l'on appelle dans leur langue shiir waras, « le bien vivre». Pour avoir partagé quelque temps avec eux cette façon d'user du monde, je ne peux que rendre hommage à leur sagesse."

 

Philippe Descola, La Composition des mondes, 2014, Champs essais, 2017, p. 143-144.
 

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Date de création : 17/04/2015 @ 15:08
Dernière modification : 18/01/2023 @ 14:25
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