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Hors des sentiers battus
La consommation ostentatoire selon Thorstein Veblen

  "On tient couramment que l'acquisition et l'accumulation ont pour fin la consommation des biens accumulés : soit que le propriétaire des marchandises les consomme lui-même, soit qu'il les fasse consommer par sa maison, qui pour lors s'identifie théoriquement à lui. À tout le moins, on a le sentiment que c'est là le but économique légitime de l'acquisition, le seul qu'il incombe à la théorie de prendre en considération. Bien entendu, on peut concevoir que cette consommation satisfait les besoins physiques du consommateur – lui assure ses aises – ou ce qu'on baptise ses besoins supérieur – spirituels, esthétiques, intellectuels, et tout ce qui s'ensuit ; cette dernière catégorie de besoins étant satisfaite indirectement par une dépense de biens à la manière des économistes, bien connue de leurs lecteurs.
  Or, il faut entendre cette consommation de marchandises en un sens très éloigné de sa signification naïve, si l'on tient à dire qu'elle procure le stimulant dont l'accumulation procède invariablement. Le motif qui se trouve à la racine de la propriété, c'est la rivalité ; c'est la même qui continue à agir dans cette institution qu'il a fait naître, et dans le déploiement de tous ces traits de la structure sociale qui touchent à l'institution de la propriété. La possession des richesses confère l'honneur : c'est une distinction provocante. On ne saurait rien dire d'aussi convaincant sur la consommation de marchandises, ni d'aucun autre ressort de l'acquisition, ni surtout d'aucun aiguillon de l'acquisition des richesses.

  Sans doute ne faut-il pas oublier que dans une société où presque tous les biens sont propriété privée, la nécessité du gagne-pain est un puissant, un incessant aiguillon pour les plus pauvres. La nécessité de subsister et d'accroître le confort physique peut être pour un temps le mobile dominant de l'acquisition, dans les classes où l'on s'emploie ordinairement aux travaux manuels, où les moyens de vivre sont précaires, où l'on possède peu de choses, où l'on n'a guère d'occasion d'accumuler ; or il apparaîtra au cours de la discussion que même dans le cas de ces classes impécunieuses, le besoin physique n'est pas un motif aussi prédominant qu'on l'a parfois supposé. Quant aux membres et aux clans de la société dont la grande affaire est d'accumuler la richesse, la subsistance et les commodités physiques ne leur sont pas un stimulant considérable. La propriété a pris naissance et s'est faite institution sur des bases qui n'ont aucun rapport avec le minimum vital. Le grand aiguillon, dès le principe, ce fut la distinction qui provoque l'envie ; c'est elle qui, s'attache à la richesse, et nul autre mobile, sauf exception momentanée, n'en a usurpé la primauté dans les stades ultérieurs de l'évolution. [...]
  Du moment où la propriété fonde l'estime populaire, elle devient non moins indispensable à ce contentement de soi que nous appelons amour-propre. Dans toute société où chacun détient ses propres biens, il est nécessaire à l'individu, pour la paix de son esprit, d'en posséder une certaine quantité, la même que possèdent ceux de la classe où il a coutume de se ranger ; et quelle énorme satisfaction que de posséder quelque chose de plus ! Or, au fur et à mesure qu'une personne fait de nouvelles acquisitions et s'habitue au niveau de richesse qui vient d'en résulter, le dernier niveau cesse tout coup d'offrir un surcroît sensible de contentement. Dans tous les cas, la tendance est constante : faire du niveau pécuniaire actuel le point de départ d'un nouvel accroissement de la richesse ; lequel met à son tour l'individu à un autre niveau de suffisance, et le place à un nouveau degré de l'échelle pécuniaire s'il se compare à son prochain. Dans la mesure où elle entre ici en question, la fin qu'on se propose en accumulant, c'est d'avoir assez de puissance pécuniaire pour prendre le pas sur les autres. Tant que la comparaison lui sera nettement défavorable, l'individu normal, l'individu moyen sera dans l'insatisfaction chronique et se trouvera mal loti ; et quand il aura rejoint ce qui peut s'appeler le niveau pécuniaire normal, cette insatisfaction fera place en lui à une surtension : il n'aura de cesse que l'intervalle s'élargisse encore et toujours entre sa position et ce niveau dit normal. L'individu qui se livre à la comparaison provocante ne la trouvera jamais assez favorable : il ne demanderait pas mieux que de se classer plus haut encore."

 

Thorstein Veblen, Théorie de la classe de loisir, 1899, chapitre 2, tr. fr. Louis Évrard, Gallimard tel, 2011, p. 19-20 et p. 22-23.


 

  "Pour s'attirer et conserver l'estime des hommes, il ne suffit pas de posséder simplement richesse ou pouvoir ; il faut encore les mettre en évidence, car c'est à l'évidence seule que va l'estime. En mettant sa richesse bien en vue, non seulement on fait sentir son importance aux autres, non seulement on aiguise et tient en éveil le sentiment qu'ils ont de cette importance, mais encore, chose à peine moins utile, on affermit et préserve toutes les raisons d'être satisfait de soi. [...]
  L'immémoriale distinction théorique du vil et de l'honorable, en matière de train de vie, garde aujourd'hui encore beaucoup de son acuité. Rares sont les personnes de la bonne société à qui les formes vulgaires du travail n'inspirent pas une répugnance instinctive. Nous avons un sentiment tout rituel de l'impureté de certaines professions, surtout de celles que notre pensée associe aux emplois serviles. Quand on a le goût délicat on sent bien qu'une contamination spirituelle est inséparable de certaines fonctions ordinairement exigées des domestiques. On condamne sans hésitation et l'on fuit un cadre vulgaire, une habitation humble (c'est-à-dire à bon marché), une activité bassement productive. En de pareilles conditions, le niveau de la vie spirituelle laisse à désirer ; ces choses-là sont ennemies de toute « élévation de la pensée ». On a bien médité sur ce sujet depuis les philosophes grecs, et les sages ont toujours reconnu que deux choses son absolument nécessaires à l'homme pour que sa vie soit digne, belle, voire même irrépro­chable : disposer d'un certain loisir, et n'avoir aucun contact avec ces opérations indus­trielles qui servent aux usages immédiats de la vie quotidienne. En elle-même et par ses conséquences, la vie de loisir est belle et ennoblissante aux yeux de tout homme civilisé.

  En tout état de cause, le désir de richesse ne peut guère être assouvi chez quelque individu que ce soit ; quant à combler le désir moyen, le désir universel de richesse, il n'en saurait être question. On aurait beau distribuer avec largesse, égalité, « justice », jamais aucun accroissement de la richesse sociale n'approcherait du point de rassasiement, tant il est vrai que le désir de tout un chacun est de l'empor­ter sur tous les autres par l'accumulation des biens. Si, comme on l'a parfois soutenu, l'aiguillon de l'accumulation était le besoin de moyens de subsistance ou de confort physique, alors on pourrait concevoir que les progrès de l'industrie satisfassent peu ou prou les besoins économiques collectifs ; mais du fait que la lutte est en réalité une course à l'estime, à la comparaison provocante, il n'est pas d'aboutissement possible."

 

Thorstein Veblen, Théorie de la classe de loisir, 1899, chapitre 2, tr. fr. Louis Évrard, Gallimard tel, 2011, p. 27-28.

 

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Date de création : 05/02/2020 @ 17:13
Dernière modification : 05/02/2020 @ 17:13
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