* *

Texte à méditer :  

Car quoi de plus excusable que la violence pour faire triompher la cause opprimée du droit ?   Alexis de Tocqueville


* *
Figures philosophiques

Espace élèves

Fermer Cours

Fermer Méthodologie

Fermer Classes préparatoires

Espace enseignants

Fermer Sujets de dissertation et textes

Fermer Elaboration des cours

Fermer Exercices philosophiques

Fermer Auteurs et oeuvres

Fermer Méthodologie

Fermer Ressources en ligne

Fermer Agrégation interne

Hors des sentiers battus
Qu'est-ce qu'un animal ? Définir l'animal

  "Nous posons donc, comme point de départ de notre enquête, que l'animé diffère de l'inanimé par la vie. Or le terme « vie » reçoit plusieurs acceptions, et il suffit qu'une seule d'entre elles se trouve réalisée dans un sujet pour que nous disions qu'il vit : que ce soit, par exemple, l'intellect, la sensation, le mouvement et le repos selon le lieu, ou encore le mouvement de nutrition, le décroissement et l'accroissement. — C'est aussi pourquoi tous les végétaux semblent bien avoir la vie, car il apparaît, en fait, qu'ils ont en eux-mêmes une faculté et un principe tel que, grâce à lui, ils reçoivent accroissement et décroissement selon des directions locales contraires. En effet, ce n'est pas seulement vers le haut qu'ils s'accroissent, à l'exclusion du bas, mais c'est pareillement dans ces deux directions ; ils se développent ainsi progressivement de tous côtés et continuent à vivre aussi longtemps qu'ils sont capables d'absorber la nourriture. – Cette faculté peut être séparée des autres, bien que les autres ne puissent l'être d'elle, chez les êtres mortels du moins. Le fait est manifeste dans les végétaux, car aucune des autres facultés de l'âme ne leur appartient.
  C'est donc en vertu de ce principe que tous les êtres vivants possèdent la vie. Quant à l'animal, c'est la sensation qui est à la base de son organisation : même, en effet, les êtres qui ne se meuvent pas et qui ne se déplacent pas, du moment qu'ils possèdent la sensation, nous les appelons des animaux et non plus seulement des vivants. Maintenant, parmi les différentes sensations, il en est une qui appartient primordialement à tous les animaux : c'est le toucher. Et de même que la faculté nutritive peut être séparée du toucher et de toute sensation, ainsi le toucher peut l'être lui-même des autres sens (Par faculté nutritive, nous entendons cette partie de l'âme que les végétaux eux-mêmes ont en partage ; les animaux, eux, possèdent manifestement tous le sens du toucher). Mais pour quelle raison en est-il ainsi dans chacun de ces cas, nous en parlerons plus tard.

  Pour l'instant, contentons-nous de dire que l'âme est le principe des fonctions que nous avons indiquées et qu'elle est définie par elles, savoir par les facultés motrice, sensitive, dianoétique[1], et par le mouvement."

 

Aristote, De l'âme, II, 2, 413ab, tr. fr. Jean Tricot, Vrin.


[1] Qualifie le mode de pensée discursif, intellectuel, par opposition au mode intuitif, dit noétique.


 

  "Qu'est-ce que l'animal ? Voilà une de ces questions dont on est d'autant plus embarrassé, qu'on a plus de philosophie et plus de connaissance de l'histoire naturelle. Si l'on parcourt toutes les propriétés connues de l'animal, on n'en trouvera aucune qui ne manque à quelque être auquel on est forcé de donner le nom d 'animal, ou qui n'appartienne à un autre auquel on ne peut accorder ce nom. D'ailleurs, s'il est vrai, comme on n'en peut guère douter, que l'univers est une seule et unique machine, où tout est lié, et où les êtres s'élèvent au-dessus ou s'abaissent au-dessous les uns des autres, par des degrés imperceptibles, en sorte qu'il n'y ait aucun vide dans la chaîne, et que le ruban coloré du célèbre Père Castel, Jésuite, où de nuance en nuance on passe du blanc au noir sans s'en apercevoir, soit une image véritable des progrès de la nature ; il nous sera bien difficile de fixer les deux limites entre lesquelles l'animalité, s'il est permis de s'exprimer ainsi, commence et finit. Une définition de l'animal sera trop générale, ou ne sera pas assez étendue, embrassera des êtres qu'il faudrait peut-être exclure, et en exclura d'autres qu'elle devrait embrasser. Plus on examine la nature, plus on se convainc que pour s'exprimer exactement, il faudrait presqu'autant de dénominations différentes qu'il y a d'individus, et que c'est le besoin seul qui a inventé les noms généraux ; puisque ces noms généraux sont plus ou moins étendus, ont du sens, ou sont vides de sens, selon qu'on fait plus ou moins de progrès dans l'étude de la nature. Cependant qu'est-ce que l'animal ? C'est, dit M. de Buffon (Histoire naturelle gén. et part.), la matière vivante et organisée qui sent, agit, se meut, se nourrit et se reproduit. Conséquemment, le végétal est la matière vivante et organisée, qui se nourrit et se reproduit ; mais qui ne sent, n'agit, ni ne se meut. Et le minéral, la matière morte et brute qui ne sent, n'agit, ni ne se meut, ne se nourrit, ni ne se reproduit. D'où il s'ensuit encore que le sentiment est le principal degré différentiel de l'animal. Mais est-il bien constant qu'il n'y a point d'animaux, sans ce que nous appelons le sentiment ; ou plutôt, si nous en croyons les Cartésiens, y a-t-il d'autres animaux que nous qui aient du sentiment. Les bêtes, disent-ils, en donnent les signes, mais l'homme seul a la chose. D'ailleurs, l'homme lui-même ne perd-il pas quelquefois le sentiment, sans cesser de vivre ou d'être un animal ? Alors le pouls bat, la circulation du sang s'exécute, toutes les fonctions animales se font ; mais l'homme ne sent ni lui-même, ni les autres êtres : qu'est-ce alors que l'homme ? Si dans cet état, il est toujours un animal ; qui nous a dit qu'il n'y en a pas de cette espèce sur le passage du végétal le plus parfait, à l'animal le plus stupide ? Qui nous a dit que ce passage n'était pas rempli d'êtres plus ou moins léthargiques, plus ou moins profondément assoupis ; en sorte que la seule différence qu'il y aurait entre cette classe et la classe des autres animaux, tels que nous, est qu'ils dorment et que nous veillons ; que nous sommes des animaux qui sentent, et qu'ils sont des animaux qui ne sentent pas. Qu'est-ce donc que l'animal ?
  Écoutons M. de Buffon s'expliquer plus au long là-dessus. Le mot animal, dit-il (Histoire naturelle tome II. page 260), dans l'acception où nous le prenons ordinairement, représente une idée générale, formée des idées particulières qu'on s'est faites de quelques animaux particuliers. Toutes les idées générales renferment des idées différentes, qui approchent ou diffèrent plus ou moins les unes des autres ; et par conséquent aucune idée générale ne peut être exacte ni précise. L'idée générale que nous nous sommes formée de l'animal sera, si vous voulez, prise principalement de l'idée particulière du chien, du cheval, et d'autres bêtes qui nous paraissent avoir de l'intelligence et de la volonté, qui semblent se mouvoir et se déterminer suivant cette volonté ; qui sont composées de chair et de sang ; qui cherchent et prennent leur nourriture, et qui ont des sens, des sexes, et la faculté de se reproduire. Nous joignons donc ensemble une grande quantité d'idées particulières, lorsque nous nous formons l'idée générale que nous exprimons par le mot animal ; et l'on doit observer que dans le grand nombre de ces idées particulières, il n'y en a pas une qui constitue l'essence de l'idée générale. Car il y a, de l'aveu de tout le monde, des animaux qui paraissent n'avoir aucune intelligence, aucune volonté, aucun mouvement progressif ; il y en a qui n'ont ni chair ni sang, et qui ne paraissent être qu'une glaise congelée ; il y en a qui ne peuvent chercher leur nourriture, et qui ne la reçoivent que de l'élément qu'ils habitent : enfin il y en a qui n'ont point de sens, pas même celui du toucher, au moins à un degré qui nous soit sensible : il y en a qui n'ont point de sexes, d'autres qui les ont tous deux ; et il ne reste de général à l'animal que ce qui lui est commun avec le végétal, c'est-à-dire, la faculté de se reproduire. C'est donc du tout ensemble qu'est composée l'idée générale : et ce tout étant composé de parties différentes, il y a nécessairement entre ces parties des degrés et des nuances. Un insecte, dans ce sens, est quelque chose de moins animal qu'un chien ; une huître est encore moins animal qu'un insecte ; une ortie de mer, ou une polype d'eau douce, l'est encore moins qu'une huître ; et comme la nature va par nuances insensibles, nous devons trouver des animaux qui sont encore moins animaux qu'une ortie de mer ou un polype. Nos idées générales ne sont que des méthodes artificielles, que nous nous sommes formées pour rassembler une grande quantité d'objets dans le même point de vue ; et elles ont, comme les méthodes artificielles, le défaut de ne pouvoir jamais tout comprendre : elles sont de même opposées à la marche de la nature, qui se fait uniformément, insensiblement et toujours particulièrement ; en sorte que c'est pour vouloir comprendre un trop grand nombre d'idées particulières dans un seul mot, que nous n'avons plus une idée claire de ce que ce mot signifie ; parce que ce mot étant reçu, on s'imagine que ce mot est une ligne qu'on peut tirer entre les productions de la nature ; que tout ce qui est au-dessus de cette ligne est en effet animal, et que tout ce qui est au-dessous ne peut être que végétal, autre mot aussi général que le premier, qu'on emploie de même, comme une ligne de séparation entre les corps organisés et les corps bruts. Mais ces lignes de séparation n'existent point dans la nature : il y a des êtres qui ne sont ni animaux, ni végétaux, ni minéraux, et qu'on tenterait vainement de rapporter aux uns et aux autres. Par exemple, lorsque M. Trembley, cet auteur célèbre de la découverte des animaux qui se multiplient par chacune de leurs parties détachées, coupées, ou séparées, observa pour la première fois le polype de la lentille d'eau, combien employa-t-il de temps pour reconnaître si ce polype était un animal ou une plante ! et combien n'eut-il pas sur cela de doutes et d'incertitudes ? C'est qu'en effet le polype de la lentille n'est peut-être ni l'un ni l'autre ; et que tout ce qu'on en peut dire, c'est qu'il approche un peu plus de l'animal que du végétal ; et comme on veut absolument que tout être vivant soit un animal ou une plante, on croirait n'avoir pas bien connu un être organisé, si on ne le rapportait pas à l'un ou l'autre de ces noms généraux, tandis qu'il doit y avoir, et qu'il y a en effet, une grande quantité d'êtres organisés qui ne sont ni l'un ni l'autre. Les corps mouvants que l'on trouve dans les liqueurs séminales, dans la chair infusée des animaux, dans les graines et les autres parties infusées des plantes, sont de cette espèce : on ne peut pas dire que ce soient des animaux ; on ne peut pas dire que ce soient des végétaux, et assurément on dira encore moins que ce sont des minéraux.

  On peut donc assurer sans crainte de trop avancer, que la grande division des productions de la nature en animaux, végétaux et minéraux, ne contient pas tous les êtres matériels : il existe, comme on vient de le voir, des corps organisés qui ne sont pas compris dans cette division. Nous avons dit que la marche de la nature se fait par des degrés nuancés, et souvent imperceptibles ; aussi passe-t-elle par des nuances insensibles de l'animal au végétal : mais du végétal au minéral le passage est brusque, et cette loi de n'y aller que par nuances parait se démentir. Cela a fait soupçonner à M. de Buffon, qu'en examinant de près la nature, on viendrait à découvrir des êtres intermédiaires, des corps organisés, qui sans avoir, par exemple, la puissance de se reproduire comme les animaux et les végétaux, auraient cependant une espèce de vie et de mouvement : d'autres êtres qui, sans être des animaux ou des végétaux, pourraient bien entrer dans la constitution des uns et des autres ; et enfin d'autres êtres qui ne seraient que le premier assemblage des molécules organiques.
  Mais sans nous arrêter davantage à la définition de l'animal, qui est, comme on voit dès-à-présent, fort imparfaite, et dont l'imperfection s'apercevra dans la suite des siècles beaucoup davantage, voyons quelles lumières on peut tirer de la comparaison des animaux et des végétaux."

 

Denis Diderot, article "Bête" de l'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, volume I, 1751.


 

  "Le mot « animal » vient du latin anima qui signifie souffle, vie. La plupart des dictionnaires définissent un animal comme un « être vivant organisé, hétérotrophe, doué de sensibilité et de motilité ». Cette définition n'est pas très simple, car elle utilise des termes qu'il est nécessaire de définir de façon précise.

  DÉFINITION SCIENTIFIQUE DU MOT ANIMAL

  Un animal est un être vivant, c'est-à-dire qu'il présente les propriétés caractéristiques de la vie : métabolisme[1], croissance et reproduction. C'est un être organisé, c'est-à-dire doté d'une structure, d'une constitution déterminée. En biologie, un être organisé est nommé organisme car il est pourvu de structures (organites, tissus, organes) qui fonctionnent de façon coordonnée.
  La plupart des scientifiques s'accordent actuellement pour répartir les êtres vivants en trois domaines : les archées (ou archéobactéries), les eubactéries et les eucaryotes. Les eucaryotes sont eux-mêmes répartis en protistes, champignons, végétaux et animaux.
  Pendant longtemps, les protistes hétérotrophes[2] ont été considérés comme des animaux unicellulaires, les protozoaires, tandis que les animaux pluricellulaires étaient regroupés sous le terme de métazoaires. Actuellement, les protistes hétérotrophes ne sont plus classés parmi les animaux, car ils sont phylogénétiquement[3] très éloignés des métazoaires. Cette séparation a une conséquence importante sur la définition du terme animal. Les animaux sont tous pluricellulaires et le terme animal est maintenant synonyme de métazoaire.
  Parmi les eucaryotes, les animaux se distinguent par trois propriétés importantes :

  • l'hétérotrophie, c'est-à-dire qu'ils utilisent, pour leurs synthèses, la matière organique produite par les organismes autotrophes ;
  • la sensibilité, c'est-à-dire la capacité à réagir à un stimulus ;
  • la motilité, c'est-à-dire la capacité à effectuer des mouvements.

  Ces trois propriétés peuvent se manifester chez d'autres êtres vivants, mais elles sont rarement présentes en même temps et de manière aussi marquée (par exemple, les champignons sont hétérotrophes, mais ils ne sont mobiles, les végétaux sont sensibles à certains stimuli, mais ils sont autotrophes...).
  Un animal est un organisme vivant, eucaryote, pluricellulaire, hétérotrophe, doué de sensibilité et de motilité."

 

Anne-Marie Bautz et Alain Bautz, Mini manuel de biologie animale, 2007, Dunod, p. 1-2.



  "Il est sans doute vain de chercher une définition de l'animalité qui permette de préciser tout ce qu'englobe cette notion. Cependant, il paraît tout aussi stérile de lui dénier toute pertinence sous ce même prétexte. L'animalité appartient à cette classe d'idées que nous définissons difficilement avec la rigueur espérée mais dont nous ne pouvons pas nous passer. La cause de notre malaise est aisément déterminable : l'animalité désigne une classe de créatures vivantes dont se distingue l'humain ; elle ne renvoie pas seulement à une classe d'entités, mais aux relations que celle-ci entretient avec d'autres classes. Or notre langue, peu habituée à évoquer des relations aussi complexes, contrainte parfois le raisonnement à des simplifications rarement heureuses, parfois obscures et rapidement inopérantes.
  On a bien imaginé, avec un succès mitigé, décrire l'animal comme une espèce d'automate : mais quel type d'automate pourrait rendre compte d'une efficacité similaire à celle des animaux ? Et surtout quelles sortes de machines parviendraient à souffrir comme souffrent les animaux ? On a considéré que l'animalité désignait les caractères communs à tous les animaux, l'homme excepté. Pourquoi avoir éliminé l'homme ? Parce qu'il est un animal très particulier ? Un animal qui a quelque chose de plus que l'animal ? Un animal humain ? Ce raisonnement peut aussi bien être inversé : l'animal n'aurait-il pas, lui aussi, des qualités qui manquent à l'homme ? Ce dernier ne serait-il pas un animal dépourvu d'instinct ?

  En fait, l'animalité ne constitue pas seulement une notion renvoyant aux relations de l'homme à l'animal, elle se réfère aussi aux relations de l'animal à la machine et oscille sans cesse entre la question du statut du vivant et celle du statut de l'humain. Elle suggère que l'interrogation sur l'humain (qu'est-ce qui fait de l'homme un être vivant particulier ?) n'est pas la réplique exacte de celle qui porte sur l'animal (qu'est-ce qui fait que certains êtres vivants ne sont pas des humains ?). L'identité de l'homme comme celle de l'animal s'éclairent de leur mutuelle confrontation."

 

Dominique Lestel, L'Animalité. Essai sur le statut de l'humain, 1996, Introduction, Hatier, p. 5-6.


 

  "On a recensé environ deux millions d'espèce animales. On ignore en réalité combien il y en a. Cinq millions ? Sans doute beaucoup plus. Notre marge d'incertitude est énorme. Elle va de 1 à 10. Alors cinquante millions ? Plus une si l'on y inclut, comme on devrait le faire, l'espèce actuelle de hommes, Homo sapiens sapiens, qui a cohabité longtemps avec d'autres espèces humaines (Homo sapiens), en Europe par exemple avec les Néandertaliens, qui se sont éteints il y a 30 000 ans, peut-être sous les coups de ces « hommes sages sages » que nous sommes. Mais l'animal par excellence, celui qui est le plus abondant de la planète, est une espèce marine, le krill, sorte de petite crevette de six à sept centimètres de long[4] pesant deux grammes, au corps presque transparent, légèrement verdâtre, pigmenté de point rouges et montrant deux grands yeux noirs. Il en existe quatre-vingt-cinq espèces réparties dans le monde, vivant en essaims gigantesques dans les couches supérieures de l'océan, formant parfois des bancs de deux millions de tonnes s'étendant sur 450 km2. Selon certaines estimations, il y aurait 650 millions de tonnes de krill. Mais quand on parle aujourd'hui d'animal, quand on parle de « défense de animaux », quand on parle de « droits des animaux », on ne pense pas à chacune de ces petites crevettes, on ne pense pas non plus à ces millions d'espèces animales. On ne pense pas aux centaines d'espèces de moustiques, ni aux cobras, ni aux poux, ni même aux milliards de criquets qui ravagent périodiquement le continent africain et menacent aujourd'hui les métropoles égyptiennes. On ne pense pas à l'immense majorité des espèces animales, on se réfère à quelques dizaines d'entre elles, aux animaux de compagnie, aux mammifères qu'on a vus à la campagne ou au jardin zoologique, aux poulets élevés en batterie, peut-être aux rats ou lapins qui peuplent certains laboratoires. En somme, on a un point de vue un peu étroit, et à vrai dire bien urbain sur les animaux, qui n'a pas grand-chose à voir avec la réalité extraordinairement diverse de la biosphère.
  Le premier obstacle qu'il faut donc lever pour pouvoir commencer à penser les relations entre les hommes et les autres espèces (tant ce qu'elle sont que ce qu'elles devraient être), est conceptuel : l'animal), Disons-le d'un mot : l'animal n'existe pas, L'animal est une illusion spéculative dont le fondement est éthico-politique. Comme on l'a souvent remarqué, le concept est forgé pour pouvoir penser la différence anthropologique. L'animal est défini extentionnellement[5] à partir de l'homme afin de pouvoir penser intentionnellement l'homme. Il est défini à partir de l'homme puisqu'il a l'ambition de réunir sous un seul et même concept les millions d'espèces animales (de la paramécie au bonobo[6], du trypanosome à l'épagneul breton) sauf une : l'homme. Cet étrange concept semble à la foi beaucoup trop étendu (quelle unité pourrait-il avoir sinon celle très vague de « vivant doté de la fonction locomotrice » ?) et en même temps trop étroit, puisqu'il doit exclure l'homme (sinon il n'y aurait plus de sens à parler de l' « animalité », des rapports « de l'homme et l'animal », de « droits de l'animal », etc.). Mais c'est qu'il est fait pour permettre de penser l'homme. On prête à l'animalité des traits supposés pouvoir expliquer, par contraste, tel ou tel caractère de l'humanité, alors même que ce contraste n'est possible que parce qu'il a été présupposé par le concept d'animal, ce qui constitue évidemment une pétition de principe : l'homme est (en un sens) un animal mais n'est pas un animal « comme les autres » (comme si « les autres » formaient une classe définie). On le dotera donc de telle ou telle capacité propre, pour des raisons idéologiques, religieuses, éthiques ou politiques – en somme en fonction d'intérêts pratiques […]

  Concluons ce point. L'animal n'existe pas. Au contraire de ce qu'il prétend, ce concept est anthropocentrique et antinaturaliste. Ce qui existe, c'est une extraordinaire prolixité de la vie, avec une prodigalité non moins considérable de ce que l'on peut appeler, prudemment, les espèces animales, dont les classifications sont toujours contestables et périodique­ment remises en question. L'animal, le pseudo-concept d'animal, se met à exister soit dans les mythes, soit dans des taxinomie naïves (personnes, animaux, choses), soit dans des classifications religieuses des vivants (le(s) dieu(x), les hommes, les animaux) qui reposent souvent sur des normes anthropologiques implicites."

 

Francis Wolff, "Le statut éthique de l'animal dans la corrida", 2005, in L'animal, Cahiers philosophiques, rééd. 2011, p. 178-179 et p. 182.


[1] Métabolisme : ensemble des transformations chimiques et biologiques qui s’accomplissent dans l’organisme.
[2] Hétérotrophe : l’hétérotrophie est la nécessité pour un organisme vivant de se nourrir de constituants organiques préexistants.
[3] La phylogenèse ou phylogénie est l’étude des relations de parenté entre êtres vivants.
[4] Si quelques espèces peuvent atteindre entre 6 et 15 cm, la plupart des espèces de krill mesurent au stade adulte entre 1 et 2 cm seulement.
[5] Il serait plus juste d'écrire "extensionnellement" et "intenstionnellement". L'intensionnel, en logique et en linguistique, est relatif à l'intension (aussi appelée compréhension), c'est-à-dire à la définition d'un concept, tandis que l'extensionnel est relatif à l'extension, c'est-à-dire à l'ensemble des choses auxquelles s'applique la définition du concept.
[6] Dieu, à tous les autres animaux, on ne voit pas sous quel concept unique ranger la paramécie et le bonobo. La paramécie est proche, à bien des égards, des bactéries (sont-ce des animaux ?), et le bonobo a été rangé, selon une taxinomie récente, avec le chimpanzé, dans l'espèce « homo ». N.d.A.

 

 


Date de création : 07/09/2020 @ 06:48
Dernière modification : 12/10/2020 @ 08:51
Catégorie :
Page lue 5936 fois

Recherche



Un peu de musique
Contact - Infos
Visites

   visiteurs

   visiteurs en ligne

^ Haut ^