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Texte à méditer :   Le progrès consiste à rétrograder, à comprendre [...] qu'il n'y avait rien à comprendre, qu'il y avait peut-être à agir.   Paul Valéry
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Hors des sentiers battus
Ce qui fait le lien social

  "C'est ainsi que l'homme, qui ne peut subsister qu'en société, a été doué par la Nature de tout ce qui le rend propre à cette situation. Tous les membres de la société humaine ont besoin de secours mutuels, et sont également exposés à des injures réciproques. Quand l'assistance nécessaire est offerte par amour, par gratitude, par amitié et par estime, la société fleurit et est heureuse. Tous ses membres sont liés par les doux nœuds de l'amour et de l'affection, et sont, pour ainsi dire, attirés vers un centre commun de bienfaisance réciproque.
  Mais lors même que les secours nécessaires ne seraient pas accordés par des motifs si généreux et si désintéressés, lors même que, parmi les différents membres de la société, il n'y aurait ni amour ni affection réciproque, la société, quoique moins heureuse et moins agréable, ne serait pas nécessairement dissoute pour autant. Elle peut subsister entre les hommes, comme elle subsiste entre les marchands, par le sentiment de son utilité, sans amour ni affection mutuels ; et quoique nul homme n'y soit lié à un autre par une quelconque obligation, ou par une dette de reconnaissance, elle peut encore se soutenir par un échange intéressé de bons offices, auxquels on a assigné une valeur convenue.

  Cependant la société ne peut subsister longtemps, parmi ceux qui sont toujours prêts à se blesser et à se nuire les uns les autres. Dès que les offenses commencent, dès que le ressentiment et les animosités mutuelles paraissent, tous les liens en sont rompus, et les différents membres qui la composaient sont comme désunis et dispersés loin les uns des autres, par la violence et l'opposition de leurs affections discordantes. S'il subsiste une forme quelconque de société entre des voleurs ou des assassins, il faut du moins, suivant l'observation commune, qu'ils s`abstiennent de se voler ou de se tuer réciproquement. La bienfaisance est donc moins essentielle à l'existence de la société que la justice. La société peut subsister sans bienfaisance, quoiqu'elle ne présente point alors la condition la plus heureuse ; mais le triomphe de l'injustice finirait par la détruire tout à fait."

 

Adam Smith, Théorie des sentiments moraux, 1759, 2e partie, Section 2, chapitre 3, tr. fr. Sophie de Grouchy révisée par Laurent Folliot, Rivages Poches, 2016, p. 213-214.

 

  "La société peut se maintenir entre différents hommes comme entre différents marchands, à partir du sens de son utilité, sans aucun lien réciproque d'amour ou d’affection. Et quoique l'homme qui en est membre n’est lié par aucune obligation, ni par aucune forme de gratitude vis-à-vis d'autrui, la société peut toujours être soutenue par l'échange mercenaire de bons offices selon des valeurs convenues.
  La société, toutefois, ne peut subsister entre ceux qui sont toujours prêts à se nuire et à se causer du tort. Dès que surviennent les préjudices, dès que s'installent le ressentiment réciproque et l'animosité, tous les liens de la société sont déchirés, et les différents membres en quoi elle consistait, sont, en quelque sorte, disséminés et dispersés à l'entour par la violence et l'opposition de leurs affections discordantes. S'il y a une société entre des brigands et des assassins, ils doivent au moins, selon l'observation triviale, s'abstenir de se voler ou de s'assassiner les uns les autres. La société peut se maintenir sans bienfaisance, quoique dans un état qui ne soit pas le plus confortable ; mais la prédominance de l'injustice la détruira absolument."

 

Adam Smith, Théorie des sentiments moraux, 1759, 2e partie, Section 2, chapitre 3, tr. fr. M. Biziou, C. Gautier, J.-F. Pradeau, PUF, Quadrige, 1999.


 

  "Si toutes les institutions publiques et permanentes découlent d'une quelconque finalité ou utilité pour le groupe social, on devra demander aussi : quel est à proprement parler le but originaire du mariage, c'est-à-dire de la vie commune des parents après la naissance de leurs rejetons ? Qu'est-ce qui incita les êtres humains à nouer des alliances durables, sources d'obligations, souvent restrictives, au lieu de se borner à satisfaire momentanément leur passion ? L'utilité sociale, qui poussa dans ce sens, ce fut peut-être d'abord la plus grande solidité, la consistance ultérieure que la société tira de liens durables, un groupe dont les éléments sont réciproquement impliqués dans des liaisons fermes, dans des rapports fiables, où l'un trouve en l'autre un appui stable, faisant qu'une chaîne de devoirs traverse l'ensemble du cercle – un tel groupe donc se révélera, dans la lutte pour l'existence, plus consistant et plus résistant qu'un autre, dont les éléments ne connaissent pas de mutuels devoirs, mais uniquement des liens momentanés, arbitraires, ne cessant d'éclater en tous sens. Mais le principal but social d'un mariage solide a visiblement été la meilleure assistance fournie à la descendance, assistance qui garantit cette dernière et mène déjà dans le monde animal à des relations de type conjugal. Le mariage entraîne une division du travail entre hommes et femmes qui profite essentiellement aux enfants : la femme nourrit les enfants, et l'homme dispense la nourriture à la femme, ou bien l'homme apporte les vivres, et la femme les prépare pour lui et les enfants. L'intérêt conjoint ou concurrent des parents pour le bien-être des enfants rend forcément la génération suivante plus forte physiquement et intellectuellement que ce ne serait possible dans un groupe sans commune assistance parentale, donc sans mariage – le mariage crée ainsi, à la longue, une supériorité directe du groupe vis-à-vis d'un autre ignorant le mariage, et dans lequel la nouvelle génération reste toujours abandonnée aux forces isolées de la mère, ou à une assistance communiste, dépourvue de tout intérêt personnel. Cette efficacité sociale du mariage nous permet de comprendre un trait remarquable de son évolution. Chez le peuples les plus divers de la terre, le mariage ne passe pour valide et conclu en bonne et due forme qu'à partir du moment où un enfant est né ou attendu. Dans maintes ethnies – en Asie, en Afrique et en Amérique – la femme reste au foyer de ses parents jusqu'à cette échéance; aux Philippine et dans un certain districts de Indes du Sud, il n'existe aucun engagement qui précède le mariage ; dans une ethnie sénégambienne au contraire, les noces ne se célèbrent qu'après de fiançailles. Bref l'origine du mariage, ainsi rapporté à la finalité sociale vou­lant qu'il soit là pour les enfant, fait de lui dans l'évolution de notre espèce – dont les peuples pri­mitifs mentionnés plus haut illustrent encore le stade concerné – un effet de la procréation de la descendance. De même que l'amour fut la consé­quence du mariage, jusqu'à ce que le mariage devienne une conséquence de l'amour, de même l'amour est-il encore une conséquence de la pro­création de la nouvelle génération, jusqu'à ce que s'installe l'état de choses inverse que l'on connaît aujourd'hui. Ces deux inversions révèlent bien clairement que l'évolution historique, partant de l'intérêt social et de la norme sociale, mène de plus en plus vers l'intérêt pour l'individu érigé en critère : le mariage représente l'intérêt social face à l'intérêt individuel de l'amour, et au sein d'une autre catégorie, l'existence et l'assistance de la nouvelle génération représente l'intérêt social face à l'affaire personnelle du mariage. C'est pourquoi aux stades antérieurs, les facteurs les premiers nommés sont la cause des derniers tandis qu'aux stades ultérieurs, la relation de causalité s'inverse."

 

Georg Simmel, "Sur la sociologie de la famille", 1895, in Philosophie de l'amour, tr. fr. Sabine Cornille et Philippe Ivernel, Rivages poche, 1991, p. 51-54.

 

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Date de création : 08/06/2021 @ 09:06
Dernière modification : 17/06/2025 @ 16:54
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