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Texte à méditer :  Je vois le bien, je l'approuve, et je fais le mal.  Ovide
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Hors des sentiers battus
Biologie de l'amour ; les causes biologiques de l'amour

  "La science des hormones nous a dotés de précisions indiscrètes. Nous connaissons aujourd'hui l'exacte constitution moléculaire de centaines de substances qui conditionnent la différentiation des sexes. Ces substances, nous sommes à même de les figurer par quelques lettres et quelques chiffres, nous les préparons par voie de synthèse, nous les obtenons à l'état de polyèdres blancs. Ce serait user d'un langage peu scientifique, mais, somme toute, point erroné, que de dire que la féminité et la masculinité sont cristallisables. M. Taine, assurément, se fût réjoui d'y voir de franches espèces chimiques, tout ainsi que ce sucre et ce vitriol qui lui représentaient le vice et la vertu.
  La plus vaporeuse des femmes doit le plus clair de sa féminité à un certain alcool ou stérol qui possède, entre autres propriétés, celles de modifier le plumage d'un chapon et de gonfler la matrice d'une souris. Quant à l'homme, force lui est bien d'admettre qu'il tient son orgueilleuse virilité d'un autre stérol, d'ailleurs à peine différent du premier, et qui, celui-là, fait brunir le bec d'un moineau et les pouces d'une grenouille. Et ces deux principes, folliculine et testostérone, si puissamment et si diversement morphogènes, ils ne se bornent pas à travailler les chairs, ils affectent les instincts, les tendances, les désirs ; en imprégnant les systèmes nerveux, ils colorent les esprits et les âmes, ils président non seulement au contact des épidermes, mais à l'échange des fantaisies. En sorte que là où règne la testostérone, l'attrait sera plus vivement ressenti pour les formes qu'aura modelées la folliculine.

  Qu'on le veuille ou non, et quelque idéalisme que l'on professe, l'édifice de l'amour humain, avec tout ce que ce mot implique de bestialité et de sublimation, de fureur et de sacrifice, avec tout ce qu'il signifie de léger, de touchant ou de terrible, est construit sur les minimes différences moléculaires de quelques dérivés du phénanthrène."

 

Jean Rostand, Pensées d'un biologiste, 1954, II, Stock, p. 28-29.



  "Nous ne manquons pas de pistes pour comprendre pourquoi les hommes ont tendance à s'occuper de leurs petits. On trouve dans notre évolution récente plusieurs paramètres qui rendent l'investissement parental précieux du point de vue des gènes masculins. Autrement dit, à cause de ces paramètres, les gènes qui poussent un mâle à aimer ses enfants – à s'en occuper, à les défendre, à les nour­rir, à les éduquer – vont s'épanouir au détriment de ceux qui l'inciteraient plutôt à garder ses distances.
  L'un de ces paramètres n'est autre que la vulné­rabilité de la progéniture. Les manœuvres sexuelles communément imputées au mâle – il rôde, séduit tout ce qui bouge et l'abandonne ensuite – ne ris­quent pas de mener bien loin les gènes mâles, si la progéniture ainsi conçue doit ensuite se faire dévo­rer. C'est probablement l'une des raisons expliquant la relative, sinon totale, monogamie de tant d'espèces d'oiseaux. Abandonnés au nid pendant que la mère part chercher des vers, les œufs ne feraient pas long feu... Quand nos ancêtres quittaient la forêt pour la prairie, ils devaient faire face à des armadas de prédateurs. Et ce n'était pas le seul danger nouveau qui guettait l'enfant. Mais alors que notre espèce devenait plus intelligente et que sa posture se rectifiait progressivement, l'anatomie femelle fut confrontée à un étrange paradoxe : se tenir debout supposait un bassin étroit, et donc un couloir resserré pour l'accouchement, cependant que les têtes des bébés devenaient de plus en plus grosses. C'est probablement pourquoi les enfants des humains naissent bien avant ceux des primates. Très tôt, les bébés chimpanzés peuvent s'agripper à leur mère pendant qu'elle marche, les mains libres. Les bébés humains, en revanche, entravent sérieus­ement la quête de nourriture des mères. Pendant de nombreux mois, ils restent d'impuissantes peti­tes balles de chair : d'excellents appâts pour les tigres.
  Et plus les dividendes génétiques de l'investisse­ment mâle augmentaient, moins l'investissement était coûteux. La chasse semble avoir pesé lourdement sur notre évolution. Comme les hommes assuraient la solide ration de protéines quotidienne, il devenait facile de nourrir une famille. Ce n'est sûrement pas une coïncidence si la monogamie est un phénomène plus répandu chez les mammifères carnivores que chez les végétariens.

  Et, pour couronner le tout, plus le cerveau humain grossissait, plus il était conditionné par la toute première influence culturelle. Les enfants ayant eu deux parents doivent être avantagés, sur le plan éducatif, par rapport à ceux qui n'en ont qu'un.
  Comme on pouvait s'y attendre, il semble que la sélection naturelle ait déplacé cette opération sur la scène des sentiments – en particulier sur celle de l'amour. Et pas uniquement sur celle de l'amour pour l'enfant, car la première étape vers une cellule parentale solide n'est autre que la séduction réciproque qu'exercent l'homme et la femme. Avoir deux parents tout dévoués au bien-être de l'enfant est une récompense génétique, et la raison pour laquelle hommes et femmes peuvent tomber amoureux ... et le rester longtemps.
  Jusqu'à une époque récente, cette affirmation faisait figure d'hérésie. On pensait que l' « amour romantique » était une invention de la culture occidentale ; le bruit courait que, dans certaines cultures, l'union n'avait rien à voir avec l'affection, que le rapport sexuel n'impliquait aucunement les sentiments. Plus tard, des anthropologues épris de logique darwinienne se sont à nouveau penchés sur la question et ont vivement contesté ces postulats. L'amour entre l'homme et la femme semble avoir un fondement inné. En ce sens, l'hypothèse du « couple à vie » tient debout […].
  En même temps, le terme couple à vie, au même titre que le mot amour, évoque une permanence, une symétrie, qui – l'observateur avisé en convien­dra – ne sont pas toujours garanties. Pour appréci­er pleinement la largeur du fossé qui sépare un amour idéalisé de ce que l'on nomme l'amour instinctif, mieux vaut se fier à la méthode adoptée par Trivers […], c'est-à-dire analyser non pas le sentiment lui-même, mais la logique évolu­tionniste abstraite qu'il représente. Quels sont les intérêts génétiques respectifs des mâles et des femelles dans une espèce où la fécondation se fait à l'intérieur du corps de la femelle, où la période de gestation est longue, où l'enfant dépend longtemps du lait de sa mère, et où l'investissement parental du mâle est vraiment élevé ? Dresser le relevé précis de ces intérêts génétiques est bien la seule façon d'apprécier comment l'évolution a pu non seulement inventer l'amour romantique, mais aussi, depuis toujo­urs, le pervertir."

 

Robert Wright, L'Animal moral, 1994, 1ère partie, Chapitre III, tr. fr. Anne Béraud-Butcher, Folio documents, 2005, p. 97-100.
 

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Date de création : 04/01/2022 @ 11:43
Dernière modification : 04/01/2022 @ 13:50
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