"Que désire-t-on quand on jouit ? que tout ce qui nous entoure ne s'occupe que de nous, ne pense qu'à nous, ne soigne que nous ; si les objets qui nous servent jouissent, les voilà dès-lors bien plus sûrement occupés d'eux que de nous, et notre jouissance conséquemment dérangée ; il n'est point d'homme qui ne veuille être despote quand il bande, il semble qu'il a moins de plaisir si les autres paraissent en prendre autant que lui ; par un mouvement d'orgueil bien naturel en ce moment, il voudrait être le seul au monde qui fût susceptible d'éprouver ce qu'ils sentent ; l'idée de voir un autre jouir comme lui le ramène à une sorte d'égalité qui nuit aux attraits indicibles que fait éprouver le despotisme alors ; il est faux d'ailleurs qu'il y ait du plaisir à en donner aux autres, c'est les servir cela, et l'homme qui bande est loin du désir d'être utile aux autres ; en faisant du mal, au contraire, il éprouve tous les charmes que goûte un individu nerveux à faire usage de ses forces, il domine alors, il est tyran, et quelle différence pour l'amour-propre ? Ne croyons point qu'il se taise en ce cas ; l'acte de la jouissance est une passion qui, j'en conviens, subordonne à elle toutes les autres, mais qui les réunit en même temps. Cette envie de dominer dans ce moment est si fort dans la nature, qu'on la reconnaît même dans les animaux ; voyez si ceux qui sont en esclavage procréent comme ceux qui sont libres ; le dromadaire va plus loin, il n'engendre plus s'il ne se croit pas seul ; essayez de le surprendre, et par conséquent de lui montrer un maître, il fuira et se séparera sur-le-champ de sa compagne. Si l'intention de la nature n'était pas que l'homme eût cette supériorité, elle n'aurait pas créé plus faibles que lui les êtres qu'elle lui destine dans ce moment-là ; cette débilité où la nature condamna les femmes, prouve incontestablement que son intention est que l'homme qui jouit plus que jamais alors de sa puissance, l'exerce par toutes les violences que bon lui semblera, pour des supplices même, s'il le veut ; la crise de la volupté serait-elle une espèce de rage, si l'intention de cette mère du genre humain n'était pas que le traitement du coït fût le même que celui de la colère ? Quel est l'homme bien constitué, en un mot, l'homme doué d'organes vigoureux, qui ne désirera pas, soit d'une façon, soit d'une autre, de molester sa jouissance alors ?"
Marquis de Sade, La Philosophie dans le boudoir, 1795, 5e dialogue.
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