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Texte à méditer :  Time is money.
  
Benjamin Franklin
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Hors des sentiers battus
Que connaissons-nous quand nous connaissons le temps ?

  "Si le futur et le passé existent, je veux savoir où ils sont. Si je n'en suis pas encore capable, je sais du moins que, où qu'ils soient, ils n'y sont ni en tant que futur, ni en tant que passé, mais en tant que présents. Car si le futur y est en tant que futur, il n'y est pas encore ; si e passé y est en tant que passé, il n'y est plus. Où donc qu'ils soient, quels qu'ils soient, ils ne sont qu'en tant que présents. Lorsque nous faisons du passé des récits véritables, ce qui vient de notre mémoire, ce ne sont pas les choses elles-mêmes, qui ont cessé d'être, mais des termes conçus à partir des images des choses, lesquelles en traversant nos sens ont gravé dans notre esprit des sortes d'empreintes. Mon enfance, par exemple, qui n'est plus est dans un passé disparu lui aussi ; mais lorsque je l'évoque et la raconte, c'est dans le présent que je vois son image, car cette image est encore dans ma mémoire."

Augustin, Confessions, 397-401, Livre onzième, chapitre 18.
 
 "Combien d'autres commodités sociales, la détermination du temps n'a pu atteindre son niveau social actuel qu'à travers une évolution qui s'est étalée sur des siècles en liaison réciproque avec la croissance de besoins sociaux spécifiques. Au premier rang de ceux-ci se trouve le besoin de coordonner et synchroniser le déroulement des activités humaines à la fois entre elles et avec le déroulement des processus physiques extérieurs à l'homme. Un tel besoin ne se rencontre pas dans toutes les sociétés humaines. Il est d'autant plus perceptible que celles-ci sont vastes, peuplées, différenciées et complexes. Dans les premiers groupes de chasseurs, de pasteurs et d'agriculteurs, le besoin d'une activité de fixation du temps ou « datation » est minimal, et les moyens de mener une telle activité minimaux également. Dans les grandes sociétés urbanisées où l'État existe, avant tout dans celles où les fonctions sociales sont très spécialisées, où les chaînes d'interdépendance reliant les porteurs de ces fonctions sont longues et hautement différenciées, et où une grande partie des tâches vitales quotidiennes est effectuée par des énergies et des machines découvertes par l'homme, le besoin social de mesurer le temps et de disposer à cet effet d'instruments adéquats constitués par des signaux mécaniques devient irrépressible ; il en va de même de la conscience du temps pour les hommes vivant dans ces sociétés.
 Les ancêtres de tous les membres des sociétés industrielles aux innombrables horloges vivaient en petites communautés de chasseurs, pâtres ou modestes agriculteurs, et se passaient de tels instruments. C'est donc faire preuve d'un égocentrisme quelque peu naïf que de discuter aujourd'hui des problèmes du « temps » en supposant implicitement que la notion et l'expérience du temps ont toujours été identiques chez tous les hommes à ce qu'ils sont dans nos sociétés plus complexes. C'est pourtant ce que font en particulier les philosophes, porte-parole - en la matière fort écoutés - de la collectivité mais qui, dans cet ordre de choses, se bornent à suivre les normes en vigueur dans les sociétés où ils vivent. Ils prennent pour argent comptant la notion du temps que leur a transmise la génération précédente et qui est utilisée quotidiennement de manière routinière autour d'eux. Ils ne se demandent pas comment et pourquoi l'expérience du temps a pu acquérir un tel pouvoir sur les hommes. Ils reçoivent la notion et l'institution du temps comme quelque chose de donné, comme un élément de l'armature symbolique communément en usage dans leur société, comme un moyen d'orientation et de communication, mais n'en donnent pas d'explication. Ils ne se demandent pas quelle succession de transformations dans les modes de vie et d'expérience a contribué à leur formation. Dans la perspective philosophique, le concept de « temps », quoique associé à celui d'espace, paraît mener une existence indépendante. C'est pourquoi le « temps » lui-même fait l'effet d'une réalité indépendante : un terme distinct, peut-être renforcé par une définition ségrégatrice, paraît renvoyer à une existence distincte à la poursuite de laquelle il semblait que les philosophes devaient se lancer.
 Mais, tout au long des siècles, il s'est agi d'une vaine poursuite. On partait en chasse de quelque chose qui n'existe pas, à savoir le « temps » compris comme une réalité universelle, donnée à tous les hommes sur le même mode et éprouvée par tous de la même manière. En dirigeant leur questionnement sur un tel « objet », les penseurs n'ont pas cessé de tomber dans le piège qu'ils se tendaient à eux-mêmes. Toujours et toujours ils se virent obligés de choisir entre deux postulats fondamentaux relatifs au « temps » aussi spéculatifs et indémontrables l'un que l'autre. D'un côté, il y eut toujours des gens pour admettre que le « temps » en tant qu'élément de l'ordre éternel de la nature, est donné aux hommes de la même manière que tout autre objet physique. C'est à ce parti que Newton, notamment, s'est rallié. De l'autre côté se trouvaient les partisans d'un « temps » correspondant à une structure universelle de la conscience humaine ou du « Dasein » de sorte que les hommes à la fois pouvaient et devaient, partout et toujours sur le même mode, opérer la synthèse des événements en termes de temps, et cela en dehors de tout apprentissage et avant toute expérience d'un objet. Selon cette hypothèse, le « temps » - qu'on le considère en lui-même ou en relation avec l'espace – est une manière de mettre en ordre les événements « inscrit » en l'homme, un élément de ses facultés rationnelles, une propriété immuable de la conscience et de l'existence humaine.
 Ces deux pôles opposés de la conception du temps s'accordent avec le postulat relatif à l'acquisition des connaissances et du savoir qui est fondamental dans la philosophie européenne classique. Or ce postulat, partagé au moins depuis Descartes par les théories philosophiques de la connaissance les plus diverses, n'a pas été soumis à examen. La question commune à laquelle les philosophes se croient tenus d'apporter une réponse est celle de savoir si et dans quelle mesure la connaissance présente « dans » l'esprit humain correspond aux objets situés « en dehors » de lui et formant ce qu'on appelle le « monde extérieur ». Cette manière de poser les problèmes sur le plan épistémologique évoque le spectre cauchemardesque d'un abîme invisible, d'une faille quasi spatiale séparant l'individu humain – vu comme une sorte de récipient fermé du savoir – de l'univers entier s'étendant « à l'extérieur ». Elle a dominé les discussions philosophiques depuis des siècles. Il est temps d'y mettre fin."
 
Norbert Elias, Du temps, 1984, tr. fr. Michèle Hulin, Fayard, p. 136-138.
 

Date de création : 02/03/2006 @ 11:38
Dernière modification : 28/05/2013 @ 17:16
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