"Pendant longtemps, on ne remarque chez l'enfant rien d'un instinct grégaire ou d'un sentiment de foule. Un tel sentiment se forme d'abord dans la nurserie aux nombreux enfants, à partir du rapport des enfants à leurs parents, et il se forme en réaction à la jalousie initiale avec laquelle l'aîné accueille le plus jeune. L'aîné des enfants voudrait, c'est certain, refouler jalousement celui qui vient après lui, le tenir à l'écart des parents et le dépouiller de ses droits, mais en présence du fait que cet enfant aussi – comme tous ceux qui suivront – est aimé par les parents d'une égale façon, et par suite de l'impossibilité de persévérer dans son attitude hostile sans dommage personnel, il est contraint à l'identification aux autres enfants et il se forme dans la troupe d'enfants un sentiment de foule ou de communauté qui plus tard connaît à l'école la suite de son développement. La première exigence de cette formation réactionnelle est celle de justice, de traitement égal pour tous. On sait à quel point cette revendication s'exprime à l'école à voix haute et sans concession. Si tant est qu'on ne peut soi-même être le privilégié, qu'au moins aucun de tous les autres ne soit privilégié."
Sigmund Freud, "Psychologie des foules et analyse du moi", 1921, tr. fr. Pierre Cottet, André Bourguignon, Janine Altounian, Odile Bourguignon et Alain Rauzy, in Essais de psychanalyse, Petite Bibliothèque Payot, 2001, p. 207-208.
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