"À la fin de l'article Macht, Gewalt des Geschichtliche Grundbegriffe, Karl Otto Faber constate qu'au terme d'un procès qui a vu se multiplier les usages du terme Gewalt durant la seconde moitié du XIXe et la première moitié du XXe siècle, souvent dans une perspective de dénonciation critique, le terme Gewalt, définitivement identifié à la violence, a acquis une extension immense, jusqu'à devenir chez certains auteurs un principe structurel pénétrant sous forme manifeste ou latente toutes les relations politiques et sociales. Ce concept large de la violence repose, remarque-t-il encore, sur le présupposé anthropologique d'une autonomie absolue de l'individu : tout ce qui, d'une manière ou d'une autre, le contraint, peut être qualifié de violence. Et il a pour conséquence qu'il est devenu impossible de distinguer, dans l'analyse des divers aspects d'un système social et politique, entre ce qui est « pouvoir », « contrainte », « dépendance » et « violence » ; plus grave encore, il est devenu impossible de distinguer entre pouvoir légitime et illégitime.
Cette remarque touche au cœur du problème que nous voulons soulever ici. Quelles que soient les vertus critiques et démystificatrices attachées à la multiplication des usages du terme violence, cette inflation n'est-elle pas arrivée au point de priver la notion en question de toute signification pour la pensée de la politique, et avant tout pour la philosophie politique, si l'on veut bien accorder que cette dernière ne peut être indifférente à la question de la discrimination entre pouvoir légitime et illégitime, ou, dans une terminologie plus ancienne, entre le Juste et l'Injuste ?
[…] (L)'état de la langue, en quelque sorte, ne nous laisse plus le choix : ou bien nous choisissons de réserver le terme violence à des formes de contrainte particulières, ce qui implique de déterminer de façon univoque les critères permettant cette discrimination, ou bien nous assimilons violence et contrainte, comme tend à le faire la critique sociale depuis la seconde moitié du XIXe siècle, et dans ce cas il devient impossible de fonder nos choix éthiques et politiques sur le refus de la violence."
Catherine Colliot-Thélène, "Violence et contrainte", dans Lignes, 1995/2 (n° 25), Éditions Hazan, p. 264-279.
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