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Texte à méditer :  C'est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher.
  
Descartes
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Le pouvoir judiciaire

  "Est une attribution de la souveraineté le droit de juger, c’est-à-dire d’entendre et de trancher les litiges qui peuvent survenir au sujet de la loi, qu’elle soit civile ou naturelle, ou sur une question de fait. En effet, si un litige n'est pas tranché, un sujet n'est pas protégé du tort des autres, les lois sur le meum et le teum existent en vain. Et tout un chacun, sur la base du nécessaire et naturel appétit de conservation de soi, retrouve le droit de se protéger soi-même par sa force privée, ce qui est l'état de nature, et s'oppose à la fin pour laquelle tout État est institué."

 

Thomas Hobbes, Léviathan, 1651, II, 18, tr. fr. Gérard Mairet, Folio essais, 2000, p. 298.


 

  "Il y a, dans chaque État, trois sortes de pouvoirs ; la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens, et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil.
  Par la première, le prince ou le magistrat fait des lois pour un temps ou pour toujours, et corrige ou abroge celles qui sont faites. Par la seconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des ambassades, établit, la sûreté, prévient les invasions. Par la troisième, il punit les crimes, ou juge les différends des particuliers. On appellera cette dernière la puissance de juger ; et l'autre, simplement la puissance exécutrice de l'État.

  La liberté politique, dans un citoyen, est cette tranquillité d'esprit qui provient de l'opinion que chacun a de sa sûreté : et, pour qu'on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel, qu'un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen.
  Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n'y a point de liberté ; parce qu'on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques, pour les exécuter tyranniquement.
  Il n'y a point encore de liberté, si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance législative, et de l'exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire ; car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d'un oppresseur.
  Tout serait perdu, si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs ; celui de faire des lois, celui d'exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers.
  Dans la plupart des royaumes de l'Europe, le gouvernement est modéré ; parce que le prince, qui a les deux premiers pouvoirs, laisse à ses sujets l'exercice du troisième. Chez les Turcs, où ces trois pouvoirs sont réunis sur la tête du sultan, il règne un affreux despotisme.
  Dans les républiques d'Italie, où ces trois pouvoirs sont réunis, la liberté se trouve moins que dans nos monarchies. Aussi le gouvernement a-t-il besoin, pour se maintenir, de moyens aussi violents que les gouvernements des Turcs : témoins les inquisiteurs d'États, et le tronc où tout délateur peut, à tous les moments, jeter avec un billet son accusation.
  Voyez quelle peut être la situation d'un citoyen dans ces républiques. Le même corps de magistrature a, comme exécuteur des lois, toute la puissance qu'il s'est donnée comme législateur. Il peut ravager l'État par ses volontés générales ; et, comme il a encore la puissance de juger, il peut détruire chaque citoyen par ses volontés particulières. […]
  Aussi, les princes qui ont voulu se rendre despotiques ont-ils toujours commencé par réunir en leur personne toutes les magistratures, et plusieurs rois d'Europe toutes les grandes charges de leur État. […]
  La puissance de juger ne doit pas être donnée à un sénat permanent, mais exercée par des personnes tirées du corps du peuple, dans certains temps de l'année, de la manière prescrite par la loi, pour former un tribunal qui ne dure qu'autant que la nécessité le requiert.
  De cette façon, la puissance de juger, si terrible parmi les hommes, n'étant attachée ni à un certain état, ni à une certaine profession, devient, pour ainsi dire, invisible et nulle. On n'a point continuellement des juges devant les yeux ; et l'on craint la magistrature, et non pas les magistrats. […]
  Les deux autres pouvoirs pourraient plutôt être donnés à des magistrats ou à des corps permanents, parce qu'ils ne s'exercent sur aucun particulier ; n'étant, l'un, que la volonté générale de l'État ; et l'autre, que l'exécution de cette volonté générale.
  Mais, si les tribunaux ne doivent pas être fixes, les jugements doivent l'être, à un tel point, qu'ils ne soient jamais qu'un texte précis de la loi. S'ils étaient une opinion particulière du juge, on vivrait dans la société, sans savoir précisément les engagements que l'on y contracte. […]
  Quoique en général la puissance de juger ne doive être unie à aucune partie de la législative, cela est sujet à trois exceptions, fondées sur l'intérêt particulier de celui qui doit être jugé.
  Les grands sont toujours exposés à l'envie : et, s'ils étaient jugés par le peuple, ils pourraient être en danger, et ne jouiraient pas du privilège qu'a le moindre des citoyens dans un État libre, d'être jugé par ses pairs. Il faut donc que les nobles soient appelés, non pas devant les tribunaux ordinaires de la nation, mais devant cette partie du corps législatif qui est composée de nobles.
  Il pourrait arriver que la loi, qui est en même temps clairvoyante et aveugle, serait en de certains cas, trop rigoureuse. Mais les juges de la nation ne sont, comme nous avons dit, que la bouche qui prononce les paroles de la loi, des êtres inanimés, qui n'en peuvent modérer ni la force, ni la rigueur. C'est donc la partie du corps législatif, que nous venons de dire être, dans une autre occasion, un tribunal nécessaire, qui l'est encore dans celle-ci ; c'est à son autorité suprême à modérer la loi en faveur de la loi même, en prononçant moins rigoureusement qu'elle."

 

Montesquieu, De l'esprit des lois, 1748, livre XI, chapitre 6.


 

  "Le premier caractère de la puissance judiciaire, chez tous les peuples, est de servir d'arbitre. Pour qu'il y ait lieu à action de la part des tribunaux, il faut qu'il y ait contestation. Pour qu'il y ait juge, il faut qu'il y ait procès. Tant qu'une loi ne donne pas lieu à une contestation, le pouvoir judiciaire n'a donc point occasion de s'en occuper. Il existe, mais il ne la voit pas. Lorsqu'un juge, à propos d'un procès, attaque une loi relative à ce procès, il étend le cercle de ses attributions, mais il n'en sort pas, puisqu'il lui a fallu, en quelque sorte, juger la loi pour arriver à juger le procès. Lorsqu'il prononce sur une loi, sans partir d'un procès, il sort complétement de sa sphère, et il pénètre dans celle du pouvoir législatif.
  Le second caractère de la puissance judiciaire est de prononcer sur des cas particuliers et non sur des principes généraux. Qu'un juge, en tranchant une question particulière, détruise un principe général, par la certitude où l'on est que, chacune des conséquences de ce même principe étant frappée de la même manière, le principe devient stérile, il reste dans le cercle naturel de son action. Mais que le juge attaque directement le principe général, et le détruise sans avoir en vue un cas particulier, il sort du cercle où tous les peuples se sont accordés à l'enfermer. Il devient quelque chose de plus important, de plus utile peut-être qu'un magistrat, mais il cesse de représenter le pouvoir judiciaire.

  Le troisième caractère de la puissance judiciaire est de ne pouvoir agir que quand on l'appelle, ou, suivant l'expression légale, quand elle est saisie. Ce caractère ne se rencontre point aussi généralement que les deux autres. Je crois cependant que, malgré les exceptions, on peut le considérer comme essentiel. De sa nature, le pouvoir judiciaire est sans action ; il faut le mettre en mouvement pour qu'il se remue. On lui dénonce un crime, et il punit le coupable ; on l'appelle à redresser une injustice, et il la redresse ; on lui soumet un acte, et il l'interprète ; mais il ne va pas de lui-même poursuivre les criminels, rechercher l'injustice et examiner les faits. Le pouvoir judiciaire ferait en quelque sorte violence à cette nature passive, s'il prenait de lui-même l'initiative et s'établissait en censeur des lois."

 

Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1835, Première partie, chapitre VI, GF, 1981, p. 168-169.



  "La justice dépend toujours du pouvoir politique. Depuis le Moyen Âge et pendant presque tout l'Ancien Régime, le premier pouvoir du roi est le pouvoir de justice ; le roi est avant tout le justicier suprême, qui punit ou pardonne, symbolisé par l'image de Sainte Louis rendant la justice sous son chêne. L'absolutisme, croissant au XVIe siècle et triomphant à la fin du XVIIe siècle, se construit pour une bonne part sur l'extension de ce pouvoir, la justice du roi parvenant progressivement à contrôler les justices seigneuriales, municipales et ecclésiastiques, et l'influence de l'État se glissant au sein des villages (même s'il n'y parvient que partiellement) par le biais du bras justicier, notamment à l'occasion de la poursuite des sorcières. Si les juges sont propriétaires de leur charge, ils ne possèdent qu'une justice déléguée et leurs décisions peuvent à tout moment être modifiées ou supprimées par le pouvoir royal ; quant aux justices seigneuriales, elles exercent leur pouvoir au nom du roi, et les justices ecclésiastiques, les officialités, ont progressivement perdu presque toutes leurs compétences. […]
  Le roi peut donc intervenir dans tous les domaines de la justice et à tout moment, comme encore remettre des crimes par des lettres de rémission, ou gracier des condamnés par des lettres de grâce. […] La justice d'Ancien Régime est consubstantielle de l'État : il serait anachronique d'envisager alors une quelconque séparation des pouvoirs politique et judiciaire. […]

  La question de la séparation entre le pouvoir politique (qui est alors à la fois législatif et exécutif) et le pouvoir judiciaire est posée depuis longtemps, en particulier au 18e siècle par Montesquieu avec De l'esprit des lois (1748), dans le sillage de l'Anglais John Locke au siècle précédent, l'un des fondateurs intellectuels du libéralisme. Le but de Montesquieu est de faire de la justice une institution permanente, une puissance visible ayant une vraie marge de manœuvre en ce qui concerne l'application de la loi ; il justifie cette position par le fait que les lois sont complexes, qu'il faut articuler les différents droits. Mais Montesquieu lui-même reconnaît que cette nouvelle catégorie de pouvoir ne serait pas l'égale des deux autres, ce qu'on constate à partir de la Révolution, quand ces idées sont mises en œuvre : le ministère public reste alors sous les ordres du pouvoir politique et la carrière des juges dépend de fait de lui. Certes, la période révolutionnaire voit s'affronter un pouvoir législatif, visant à faire du juge un simple exécutant sans marge de manœuvre, et un pouvoir judiciaire qui promeut le décalage entre textes et réalités, laissant une place au juge comme interprète de la loi ; mais lorsque l'Assemblée constituant abolit en 1789 les parlements et sépare théoriquement le pouvoir judiciaire des autres pouvoirs, le législatif et l'exécutif, elle le place en réalité sous la surveillance du pouvoir législatif : il s'agissait, avant tout, d'éviter un pouvoir judiciaire trop fort, qui aurait pu constituer un danger pour l'ordre politique nouveau, comme il l'a été pour l'ordre ancien, puis de le mettre au service d'un projet politique fort. Bonaparte place la magistrature sous son contrôle : la justice est alors mise au service du pouvoir exécutif et d'un État bureaucratique.
  Depuis le Consulat (1799-1804), il n'y a donc plus de pouvoir judiciaire dans la Constitution française et la justice n'est de jure qu'une autorité soumise à l'exécutif, ce qu'elle était déjà de facto. La réforme judiciaire de 1810 s'inscrit dans une période de consolidation politique et de rétablissement militaire, et ne peut être dissociée de la construction d'un État fort : la justice continue à participer de fait du pouvoir politique. La phrase « Toute justice émane du Roi » figure encore dans les chartes, celle de 1814, qui marque la restauration de la monarchie, et celle de 1830, qui fonde la monarchie de Juillet. La Charte de 1814 ne dit pas un mort du pouvoir judiciaire, la Constitution de la seconde République (1848) ne s'en préoccupe guère, non plus que les trois lois constitutionnelles de 1875, qui consolident l'établissement de la république. En 1833, avec le triomphe de celle-ci, est clairement affirmée la spécificité de la conception démocratique française de la souveraineté de la loi, qui entraîne la subordination du juge au législateur ; la justice n'est donc pas un pouvoir, car il n'y a qu'un seul pouvoir, celui de l'État : ce pouvoir, qui comprend la fonction de juger, est indivisible. Plus d'un demi-siècle plus tard, le régime de Vichy donne au maréchal Pétain, chef de l'État par un pacte constitutionnel du 27 janvier 1941, les « pouvoirs judiciaires ». Puis la Constitution de 1946, fondatrice de la quatrième République, a, selon son rapporteur, condamné la théorie de la séparation des pouvoirs, et la Constitution de 1958, pour la cinquième République, indique que le « président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire », ce qui aboutit au même résultat de mettre les juges sous la tutelle du pouvoir politique. L'expression de « pouvoir judiciaire » n'a été utilisée que dans trois Constitutions, celles de 1791, 1795 et 1848 ; celle d' « autorité judiciaire » est employée dans la Constitution de 1958, ce qui ne change rien à la bipolarité du pouvoir (exécutif et législatif, pas judiciaire). Le pouvoir judiciaire n'est donc pas un pouvoir mais seulement une autorité judiciaire ; d'ailleurs, depuis la Première Guerre mondiale, la justice est présentée officiellement comme un service public de l'État, non comme un pouvoir."

 

Benoît Garnot, Histoire de la justice. France, XVIe-XXIe siècle, 4e partie, chapitre 7, Folio histoire, 2009, p. 544-550.

 

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Date de création : 20/09/2025 @ 09:34
Dernière modification : 05/12/2025 @ 10:15
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