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Texte à méditer :  

Il est vrai qu'un peu de philosophie incline l'esprit de l'homme à l'athéisme ; mais que davantage de philosophie le ramène à la religion.   Francis Bacon


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Hors des sentiers battus
L'essence de l'Etat
"Le seul moyen d'établir pareille puissance com­mune, capable de défendre les humains contre les invasions des étrangers et les préjudices commis aux uns par les autres et, ainsi, les protéger de telle sorte que, par leur industrie propre et les fruits de la terre, ils puissent se suffire à eux-mêmes et vi­vre satisfaits, est de rassembler [to conferre] toute leur puissance et toute leur force sur un homme ou sur une assemblée d'hommes qui peut, à la majo­rité des voix, ramener toutes leurs volontés à une seule volonté ; ce qui revient à dire : désigner un homme, ou une assemblée d'hommes, pour porter leur personne ; et chacun fait sienne et reconnaît être lui-même l'auteur de toute action accomplie ou causée par celui qui porte leur personne, et rele­vant de ces choses qui concernent la paix com­mune et la sécurité ; par là même, tous et chacun d'eux soumettent leurs volontés à sa volonté, et leurs jugements à son jugement. C'est plus que le consentement ou la concorde ; il s'agit d'une unité réelle de tous en une seule et même personne, faite par convention de chacun avec chacun, de telle manière que c'est comme si chaque individu devait dire à tout individu : j'autorise cet homme ou cette assemblée d'hommes, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et autorises toutes ses actions de la même manière. Cela fait, la mul­titude, ainsi unie en une personne une, est appelée un ÉTAT, en latin CIVITAS. Telle est la génération de ce grand LÉVIATHAN[1], ou plutôt (pour parler avec plus de déférence) de ce dieu mortel, auquel nous devons, sous le dieu immortel, notre paix et notre défense. En effet, en vertu du pouvoir [au­thority]conféré par chaque individu dans l'État, il dispose de tant de puissance et de force assem­blées en lui que, par la terreur qu'elles inspirent, il peut conformer la volonté de tous en vue de la paix à l'intérieur et de l'entraide face aux ennemis de l'étranger. En lui réside l'essence de l'État qui est (pour le définir) une personne une dont les ac­tes ont pour auteur, à la suite de conventions mu­tuelles passées entre eux-mêmes, chacun des mem­bres d'une grande multitude, afin que celui qui est cette personne puisse utiliser la force et les moyens de tous comme il l'estimera convenir à leur paix et à leur défense commune.
Celui qui est dépositaire de cette personne est appelé SOUVERAIN et l'on dit qu'il a la puissance souveraine ;en dehors de lui, tout un chacun est son SUJET.
   Il existe deux moyens pour parvenir à cette puis­sance souveraine. Le premier, par la force natu­relle : tout comme un homme le fait de ses enfants afin qu'ils se soumettent, et leurs enfants, à son gouvernement, en tant qu'il peut les exterminer s'ils refusent; ou bien que, par la guerre, il assu­jettisse ses ennemis à sa volonté, leur laissant la vie sauve à cette condition même. Le second est quand les humains sont d'accord entre eux pour se soumettre à un homme quelconque, ou à une as­semblée d'hommes, volontairement, lui faisant confiance pour qu'il les protège contre tous les au­tres. Ce dernier peut être appelé un État politique et État d'institution ;et le premier, un État d'ac­quisition."
 
Thomas Hobbes, Léviathan, 1651, livre II, § 17,  Traduction Gérard Mairet, pp. 287-289.

[1] Léviathan : dans la Bible (Livre de Job, XLI), ce terme désigne un monstre marin colossal. Hobbes utilise ici ce terme pour désigner l'État.
[2] Ensemble des parents.


  "La première chose à quoi chacun soit obligé de se résoudre s'il ne veut pas renoncer à tous les concepts du droit, est le principe suivant : il faut sortir de l'état de nature où chacun n'en fait qu'à sa tête et s'unir à tous les autres (avec lesquels on ne peut éviter d'entrer en rapport réciproque), pour se soumettre à une contrainte extérieure publiquement légale ; il faut donc s'engager dans un état où soit légalement fixé à chacun ce qui doit être reconnu pour sien et où cela lui revienne grâce à un pouvoir suffisamment fort (qui n'est pas le sien mais un pouvoir extérieur) ; chacun doit donc avant tout entrer dans un état civil. […]
  Un État est l'unification d'une multitude d'hommes sous des lois juridiques."

 

Kant, Doctrine du droit, Métaphysique des mœurs, II, 1795, § 44 et § 45, tr. fr. Alain Renaud, GF.



  "Qu'est-ce qui constitue un État ?
  Ce ne sont ni les hauts remparts, ni les talus laborieusement amoncelés,

  Ni les murailles épaisses, ni les douves devant les ports,
  Ni les cités orgueilleuses couronnées de flèches et de tours.
  Non, ce sont des hommes, des hommes à l'esprit généreux ;
  Des hommes qui connaissent leurs devoirs,
  Mais qui connaissent aussi leurs droits et qui, les connaissant, ne craignent pas de les défendre.
  Ce sont eux qui constituent un État."

 

Thomas Jefferson, Lettre à John Taylor du 28 mai 1816, in La Liberté et l'État, Éditions Seghers, 1970, p. 100-101.

 

  "What constitutes a State?
  Not high-raised battlements, or labor’d mound,

  Thick wall, or moated gate;
  Not cities proud, with spires and turrets crown’d;
  No: men, high minded men;
  Men, who their duties know;
  But know their rights; and knowing, dare maintain.
  These constitute a State.”

 

Thomas Jefferson, Letter to John Taylor, 28 May 1816.



  "L'État, tel que l'a conçu la révolution, n'est pas chose purement abstraite comme l'ont supposé quelques-uns, Rousseau entre autres [...] c'est une réalité aussi positive que la société elle-même, que l'individu même. L'État est la puissance de la collectivité qui résulte en toute agglomération d'hommes de leurs rapports mutuels, de la solidarité de leurs intérêts, de leur communauté d'action, de l'entraînement de leurs opinions, et de leurs passions.
  L'État n'existe pas sans les citoyens sans doute. Il ne leur est point antérieur ni supérieur ; mais il existe par cela même qu'ils existent, se distinguant de chacun et de tous, par des facultés et des attributions spéciales.
  L'État est le protecteur de la liberté. [...] L'État surveille l'exécution des lois. L'État est le justicier par excellence. [...] De ce chef l'État a des droits. [...] Tout cela dira-t-on existait déjà autrefois dans l'État. Rien n'a changé. [...] Il y a ceci de changé entre l'ancien et le nouveau régime : autrefois l'État s'incarnait en un homme, autrefois l'intérêt de l'État se confondait avec l'intérêt des princes. [...] Depuis la révolution le citoyen traite avec l'État d'égal à égal [...] l'État a conservé son pouvoir, sa force qui seule le rend estimable, constitue son crédit, lui crée des attributions et prérogatives, mais il a perdu son autorité."
 
Proudhon, Théorie de l'impôt, 1861, Chapitre II.


  "Des groupements humains fondés sur la communauté des besoins, sur la diversité des aptitudes individuelles, sur la réciprocité des services rendus ; dans ces groupements humains, des individus plus forts que les autres, soit parce qu'ils sont mieux armés, soit parce qu'on leur reconnaît un pouvoir surnaturel, soit parce qu'ils sont plus riches, soit parce qu'ils sont les plus nombreux, et qui, grâce à cette plus grande force, peuvent se faire obéir par d'autres : voilà les faits. Qu'on appelle État un groupement humain, fixé sur un territoire déterminé, où les plus forts imposent leur volonté aux plus faibles, nous le voulons bien ? Qu'on appelle souveraineté politique ce pouvoir des plus forts sur les plus faibles, nous y donnons les mains. Aller au-delà, c'est entrer dans l'hypothèse. Dire que cette volonté de ceux qui commandent ne s'impose aux individus que parce qu'elle est la volonté collective, c'est fiction imaginée pour justifier ce pouvoir des plus forts, fiction ingénieuse, inventée par les détenteurs de la force pour légitimer cette force, mais pas autre chose. « Politique de la force », dit Jhering en parlant du droit ; politique de la force, dirons-nous de cette fiction, qu'on appelle la volonté collective. Politique dangereuse, car elle crée et maintient le conflit séculaire entre l'individu et l'État qui personnifie la collectivité, entre l'intérêt individuel et l'intérêt collectif, conflit qui ne peut se résoudre, nous le craignons bien, si cette politique se continue, que par le triomphe de la tyrannie collectiviste ou de l'anarchisme individualiste. Nous voulons montrer qu'il n'y a pas, qu'il ne peut pas y avoir d'opposition entre l'intérêt individuel et l'intérêt collectif, entre l'individu et l'État, que l'intérêt de tous et l'intérêt de chacun sont étroitement solidaires, qu'il y a une coïncidence permanente et absolue des buts collectifs et des buts individuels, que, d'après l'expression de Karl Marx, « le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous », que plus la société se fortifie, plus l'homme s'individualise et réciproquement ; qu'en d'autres termes l'individuel et le collectif se confondent, car le lien social est d'autant plus fort que l'individu est plus libre, et l'individu est d'autant plus libre que le lien social est plus fort. L'État n'est donc point cette personne collective, représentant contre l'individu les droits de la collectivité. L'État est un groupement dans lequel il y a des hommes qui doivent employer leur force matérielle à réaliser l'intégration sociale en protégeant l'individu et protéger l'individu en travaillant à l'intégration sociale [...] C'est dire que dans notre pensée, si la puissance politique est simplement le pouvoir des plus forts, un simple fait, il y a cependant une règle qui s'impose à ces plus forts comme elle s'impose à tous. Cette règle est la règle de droit.»

 

Léon Duguit, L'État, le droit objectif et la loi positive, 1901, Fontemoing, p. 9-11.



  "Le plus important de tous les monopoles, le monopole des armements, est entre les mains de l'État, et lui appartient essentiellement […]
  Il en est de même de l'évolution des techniques modernes de transport et de communication à travers les chemins de fer, les voitures et les avions, et l'organisation de la poste, du télégraphe, du téléphone, de la radio, qui constituent eux aussi dans une grande mesure un monopole de l'État. Mais à côté du contrôle des armements, des transports et des communications, il y a d'autres techniques encore plus importantes pour le pouvoir de l'État, à savoir les techniques qui permettent de former l'opinion publique et la volonté générale de la nation. […] À cet égard, la presse d'imprimerie était le moyen spécifique de l'ère libérale. […] Aujourd'hui, la radio et le film sont des moyens au moins aussi importants et efficaces, sinon plus importants et efficaces, pour former l'opinion publique […] La radio et le cinéma […] conduisent l'État à exercer un monopole ou une censure, ce qui amène nécessairement un renforcement du pouvoir politique."

 

Carl Schmitt, Die Machtpositionen des modernen Staates, 1933, Verfassungsrechtliche Aufsätze aus den Jahren 1924-1954, Berlin, 1958, p. 367-369.


 

  "Une théorie de l'État débarrassée de tout élément idéologique, métaphysique ou mystique, ne peut comprendre la nature de cette institution sociale qu'en la considérant comme un ordre réglant la conduite des hommes. L'analyse révèle que cet ordre organise la contrainte sociale et qu'il doit être identique à l'ordre juridique, car il est caractérisé par les mêmes actes de contrainte. Or une même communauté sociale ne peut être constituée par deux ordres différents. L'État est donc un ordre juridique, mais tout ordre juridique n'est pas un État. Il ne le devient qu'au moment où il établit certains organes spécialisés pour la création et l'application des normes qui le constituent. Il faut par conséquent qu'il ait atteint un certain degré de centralisation.
 Dans les communautés juridiques primitives, préétatiques, les normes générales sont créées par la voie de la coutume; elles résultent du comportement habituel des sujets de droit. Il n'y a pas de tribunal central chargé de créer des normes individuelles et d'en assurer l'application en statuant des actes de contrainte. Le soin de constater un comportement illicite et d'appliquer une sanction est laissé à ceux dont les intérêts protégés par le droit sont lésés. Il appartient au fils de venger le meurtre de son père en exerçant la vendetta' sur le meurtrier et sa famille, au créancier de se saisir de son débiteur défaillant pour avoir en quelque sorte une garantie pour le règlement de sa dette. Telles sont les formes primitives de la peine et de l'exécution forcée. Ceux qui les appliquent agissent en qualité d'organes d'un ordre juridique, car ils y sont autorisés par lui. En raison même de cette autorisation, leurs actes peuvent être imputés à la communauté constituée par cet ordre, de telle sorte qu'ils ne constituent pas de nouveaux actes illicites, mais la réaction de la communauté juridique contre de tels actes.
 Des organes centraux ne se forment qu'au cours d'un très long processus de division du travail et les organes judiciaires et exécutifs apparaissent bien avant les organes législatifs. Si importante qu'une telle transformation ait été au point de vue de la technique juridique, il n'y a cependant pas de différence qualitative entre un ordre juridique décentralisé et un État.
  Tant qu'il n'y a pas d'ordre juridique supérieur à l'État, celui-ci représente l'ordre ou la communauté juridique suprême et souveraine. Sa validité territoriale et matérielle est sans doute limitée, car elle ne s'étend en fait qu'à un territoire déterminé et à certaines relations humaines, mais il n'y a pas d'ordre supérieur à lui qui l'empêcherait d'étendre sa validité à d'autres territoires ou à d'autres relations humaines.
  Dès que le droit international se constitue, ou plus exactement dès qu'il est tenu pour un ordre juridique supérieur aux divers ordres juridiques nationaux, l'État, qui est la personnification d'un ordre juridique national, ne peut plus être qualifié de souverain ; sa supériorité n'est plus que relative, car il est subordonné au droit international et en dépend directement. La définition de l'Etat doit donc commencer par la relation qui l'unit au droit international. Celui-ci constitue une communauté juridique super-étatique comparable aux communautés préétatiques, car elle n'est pas suffisamment centralisée pour être considérée comme une État."
 
Hans Kelsen, Théorie pure du droit, 1953, Ad. Henri Thévenaz, Éd. De La Baconnière, p. 169-171.

 

  "S'il s'agissait simplement de distinguer l'État moderne d'autres formes, plus antiques, on serait donc fondé de voir dans le monopole de la violence une vraie différence spécifique : longtemps considéré comme but et idéal, ce monopole n'a été réalisé que dans le monde moderne, presque contemporain ; au moins jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, pratiquement jusqu'au milieu du siècle suivant, l'emploi de la violence est resté permis, dans la plupart des pays, à certaines personnes dans certaines situations (envers les serfs, les esclaves, les femmes, les enfants, etc.). Cependant, quand il s'agit de comprendre la signification de ce fait, le fait lui-même ne suffit pas. Il n'est peut-être pas décisif de constater qu'il dessine un trait en même temps trop large et trop étroit pour constituer, à lui seul, la définition de l'État moderne : trop large, parce qu'il ferait apparaître comme modernes les formes les plus primitives de la tyrannie (le tyran seul ayant des droits est aussi seul à disposer de la violence dans la réalité) ; trop étroit, parce qu'il exclurait du nombre des États modernes certains États qui conservent des traits du droit ancien (duel, punition de l'adultère par vengeance privée). Il importe bien plus qu'à ce défaut formel de la définition s'ajoute celui, fondamental, de ne pas montrer pourquoi ce monopole s'est constitué et pour quelles raisons il se maintient.
  Ainsi rencontre-t-on, à côté de la définition par le monopole de la violence, une autre qui fait de l'État moderne l'État du droit et voit l'essentiel non dans le monopole de la violence, mais dans le fait que l'action de l'État, de même que l'action de tout citoyen, est réglée par des lois. Elle enferme la première, étant donné que l'emploi de la violence reste réservé à l'État, qui crée, renforce et exécute les lois et, par la loi, règle l'emploi de la violence. Il ne l'emploie cependant que dans certaines circonstances qu'il est seul à définir par la loi et en dehors desquelles il s'interdit lui-même de s'en servir. Cette loi est formulée et formelle, et aucun droit non-écrit ne peut être invoqué contre elle : le contenu de la loi peut être influencé, voire fourni, par de tels droits traditionnels (« imprescriptibles », « naturels »), mais la reconnaissance de ces droits par l'État est requise de façon absolue, et elle n'est donnée que dans la forme de la loi.
  La définition de l'État comme État de droit possède de gros avantages sur la première. Elle n'est ni trop large ni trop étroite, et sans sacrifier l'avantage de la première, qui fut d'insister sur un trait essentiel de l'État moderne, elle y ajoute une détermination positive en indiquant la nature qu'a ce monopole de la violence dans la réalité moderne : il ne se révèle pas seulement dans un fait brut, dans la concentration effective du pouvoir contraignant entre les mains de l'État ou de ceux qui prétendent être l'État, mais il apparaît sous forme rationnelle aux yeux de tous les citoyens, comme ce cadre des lois qui règle tous les rapports entre eux, avec la société et avec l'État, pour autant que ces relations peuvent donner lieu à l'emploi de la violence."
 
Éric Weil, Philosophie politique, 1956, § 33, Librairie philosophique J. Vrin, p. 143.
 

Date de création : 05/05/2006 @ 11:40
Dernière modification : 20/02/2024 @ 09:48
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