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Texte à méditer :   Les vraies révolutions sont lentes et elles ne sont jamais sanglantes.   Jean Anouilh
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L'Etat et la société

  "Les hommes en se rapprochant les uns des autres pour vivre en société, ont fait, soit formellement soit tacitement, un pacte, par lequel il se sont engagés à se rendre des services et à ne point se nuire. Mais comme la nature de chaque homme le porte à chercher à tout moment son bien-être dans la satisfaction de ses passions ou de ses caprices passagers, sans aucun égard pour ses semblables, il fallut une force qui le ramenât à son devoir, l'obligeât de s'y conformer, et lui rappelât ses engagements, que souvent la passion pouvait lui faire oublier. Cette force, c'est la loi elle est la somme des volontés de la société, réunies pour fixer la conduite de ses membres, ou pour diriger leurs actions de manière à concourir au but de l'association.
  Mais comme la société, surtout quand elle est nombreuse, ne pourrait que très difficilement s'assembler, et sans tumulte faire connaître ses intentions, elle est obligée de choisir des citoyens à qui elle accorde sa confiance ; elle en fait les interprètes de ses volontés, elle les rend dépositaires du pouvoir nécessaire pour les faire exécuter. Telle est l'origine de tout gouvernement, qui pour être légitime ne peut être fondé que sur le consentement libre de la société, sans lequel il n'est qu'une violence, une usurpation, un brigandage. Ceux qui sont chargés du soin de gouverner s'appellent souverains, chefs, législateurs, et suivant la forme que la société a voulu donner à son gouvernement, ces souverains s'appellent monarques, magistrats, représentants, etc. Le gouvernement n'empruntant son pouvoir que de la société, et n'étant établi que pour son bien, il est évident qu'elle peut révoquer ce pouvoir quand son intérêt l'exige, changer la forme de son gouvernement, étendre ou limiter le pouvoir qu'elle confie à ses chefs, sur lesquels elle conserve toujours une autorité suprême, par la loi immuable de nature qui veut que la partie soit subornée au tout.
Ainsi les souverains sont les ministres de la société, ses interprètes, les dépositaires d'une portion plus ou moins grande de son pouvoir, et non ses maîtres absolus, ni les propriétaires des nations. Par un pacte, soit exprimé soit tacite, ces souverains s'engagent à veiller au maintien et à s'occuper du bien-être de la société ; ce n'est qu'à ces conditions que cette société consent à obéir. Nulle société sur la terre n'a pu ni voulu conférer irrévocablement à ses chefs le droit de lui nuire : une telle concession serait annulée par la nature, qui veut que chaque société, ainsi que chaque individu de l'espèce humaine, tende à se conserver, et ne puisse consentir à son malheur permanent."

 

Paul-Henri Thiry D'Holbach, Système de la nature, 1770, 1ère partie, Chapitre IX, in Œuvres philosophiques complètes, tome II, Éditions Alive, 1999, p. 250-251.



    "L'émancipation politique est en même temps la désagrégation de l'ancienne société sur laquelle repose l'État devenu étranger au peuple - le pouvoir souverain. La révolution politique, c'est la révolution de la société civile. Quel était le caractère de l'ancienne société ? Un seul mot la caractérise : la féodalité. L'ancienne société civile avait directement un caractère politique, c'est-à-dire que les éléments de la vie civile tels que la propriété ou la famille, ou le mode de travail, étaient promus, sous les formes de la seigneurie, des ordres et corporations, éléments de la vie dans l'État. Ils déterminaient, sous cette forme, le rapport de l'individu particulier au tout de l'État, c'est-à-dire son rapport politique, c'est-à-dire le rapport qui le sépare et l'exclut des autres éléments de la société. En effet, cette organisation de la vie du peuple n'éleva pas la propriété et le travail au rang d'éléments sociaux mais acheva plutôt de les séparer du corps de l'État pour en faire des sociétés particulières au sein de la société. Néanmoins, les fonctions et les conditions vitales de la société civile restaient encore politiques, tout au moins au sens de la féodalité, c'est-à-dire qu'elles isolaient l'individu de ce tout qu'est l'État; elles transformaient le rapport particulier entre sa corporation et l'État total en une relation générale de l'individu avec la vie du peuple, de même qu'elles changeaient son activité et sa situation civiles déterminées en une activité et une situation générales. En conséquence de cette organisation, l'unité de l'État, aussi bien que la conscience, la volonté et l'activité de l'unité politique, le pouvoir d'État général, apparaissent aussi nécessairement comme l'affaire particulière d'un souverain séparé du peuple et entouré de ses serviteurs.

    La révolution politique qui renversa ce pouvoir souverain et promut les affaires de l'État au rang d'affaires du peuple, qui constitua l'État politique en affaire générale, c'est-à-dire en État réel, brisa nécessairement tous les ordres, corporations, jurandes, privilèges, qui étaient autant d'expressions de la séparation du peuple d'avec la communauté. Ainsi la révolution politique supprima le caractère politique de la société civile. Elle fit éclater la société civile en ses éléments simples, d'une part les individus, d'autre part les éléments matériels et spirituels qui forment la substance vitale de la situation civile de ces individus. Elle déchaîna l'esprit politique qui semblait s'être fragmenté, décomposé, dispersé dans les divers culs-de-sac de la société féodale; elle réunit les fragments épars de l'esprit politique, le libéra de la confusion avec la vie civile et le constitua en sphère de la communauté, de l'affaire générale du peuple dans l'indépendance idéale par rapport à ces éléments particuliers de la vie civile. Telles activités déterminées, telles situations spécifiques de la vie déclinèrent jusqu'à n'avoir plus qu'une importance purement individuelle. Elles ne formèrent plus la relation générale de l'individu au tout de l'État. L'affaire publique comme telle devint au contraire l'affaire générale de chaque individu, et la fonction politique la fonction générale de chacun."
 

 
Marx, À propos de la question juive, 1844, trad. Maximilien Rubel, Louis Évrard et Louis Janover, in Marx, Philosophie, Folio essais, p. 75-77.

 


 
    "Du point de vue politique, l'État et l'organisation sociale ne sont pas deux choses différentes. L'État, c'est l'organisation de la société. Pour autant que l'État admet l'existence de tares sociales, il en cherche la raison soit dans les lois naturelles, qui échappent à tout pouvoir humain, soit dans la vie privée, qui est indépendante de l'État, ou dans l'inefficacité de l'Administration, qui en dépend. […]
    […] tous les États cherchent la cause de leurs maux dans les déficiences accidentelles ou intentionnelles de l'Administration, et donc le remède dans des mesures administratives. Pourquoi ? Parce que l'Administration est précisément l'activité organisatrice de l'État.

    À moins de se supprimer lui-même, l'État ne peut supprimer la contradiction entre le rôle et la bonne volonté de l'Administration d'une part, ses moyens et son pouvoir d'autre part. Il est fondé sur la contradiction entre la vie publique et la vie privée, entre les intérêts généraux et les intérêts particuliers. Par conséquent, l'Administration doit se borner à une activité formelle et négative, car son pouvoir s'arrête précisément là où commencent la vie civile et son travail. À la vérité, l'impuissance est la loi naturelle de l'Administration quand elle est placée devant les conséquences qui résultent de la nature antisociale de cette vie civile, de cette propriété privée, de ce commerce, de cette industrie, de ce pillage réciproque des multiples sphères civiles. Car cet écartèlement, cette bassesse, cet esclavage de la société civile constituent le fondement naturel sur lequel repose l'État moderne, de même que la société civile de l'esclavage était le fondement naturel de l'État antique. L'existence de l'État et l'existence de l'esclavage sont indissociables. L'État antique et l'esclavage antique –franches antithèses classiques – n'étaient pas plus intimement soudés l'un à l'autre que ne le sont l'État moderne et le monde marchand moderne – hypocrites antithèses chrétiennes. Pour en finir avec l'impuissance de son Administration, l'État moderne devrait en finir avec la vie privée d'aujourd'hui. S'il voulait supprimer la vie privée, il lui faudrait se supprimer lui-même, car c'est uniquement par opposition à la vie privée que l'État moderne existe. Nul vivant ne croit cependant que les vices de son existence soient inhérents au principe de sa vie, à l'essence de sa vie ; il les trouve au contraire fondés dans des circonstances extérieures à sa vie. Le suicide est contre nature. Par conséquent, l'État ne peut admettre l'impuissance congénitale de son Administration, c'est-à-dire sa propre impuissance. Il peut seulement en reconnaître les vices formels et accidentels, et s'efforcer d'y remédier. Ces réformes se révèlent-elles infructueuses ? Eh bien, c'est que la tare sociale est une imperfection naturelle, indépendante de l'homme, une loi divine ; ou bien, c'est que la volonté des particuliers est trop pervertie pour faire bon accueil aux bons projets de l'Administration. Et quels esprits vicieux, ces particuliers ! Ils grognent contre le gouvernement chaque fois qu'il limite la liberté, et ils exigent du gouvernement qu'il empêche les conséquences nécessaires de cette liberté !

    Plus l'État est puissant, donc plus un pays est politique, moins il est disposé à chercher dans le principe de l'État – c'est-à-dire dans l'organisation actuelle de la société, dont l'État est l'expression active, consciente et officielle –, la raison des tares sociales et à en comprendre le principe général".
 

 

 

Marx, Contre Arnold Ruge, 1844, trad. Maximilien Rubel, Louis Évrard et Louis Janover, in Marx, Philosophie, Folio essais, p. 121-123.


 

  "Il existe en toute société, par cela seul qu'il y a société, une chose positive, réelle, qu'il est permis de nommer l'État. Elle a consisté, cette chose 1° dans une certaine force, essentielle au groupe, et que nous appellerons force de collectivité ; 2° dans la solidarité que cette force crée entre les membres du corps social ; 3° dans les propriétés et d'autres avantages communs qui la représentent et qui en résultent. Voilà ce qu'est l'État, moitié force ou pouvoir, moitié propriété, chose d'ailleurs tout objective, comme la matière même. [...]

  Mais l'autorité, principe subjectif, n'est rien de tout cela. C'est la faculté que s'arroge l'individu, une corporation ou une caste, de disposer à son gré, - pour une fin connue de lui seul, et sans garantie ni responsabilité de sa part, - de la puissance publique, des intérêts généraux ; c'est-à-dire de l'État même, et jusqu'à un certain point des fortunes et propriétés particulières, le tout en vertu d'un droit prétendu divin ou de conquête, de la supériorité de la race, ou même d'une délégation du peuple. Ce principe d'autorité, qui a fait jusqu'ici le véritable apanage, non pas de l'État, mais du personnel gouvernemental, nous le nions et le repoussons comme incompatible avec la dignité de l'homme et du citoyen, incompatible avec la Justice, incompatible avec la notion même de l'État.

L'État, en effet, résulte de la force de la collectivité d'un pays, force produite par le rapport, non de la hiérarchie ou de la subordination, mais de commutation qui existe entre les citoyens, en sorte que, affirmer l'État, c'est-à-dire la puissance publique, la chose publique, rem publicam, c'est au fond, nier l'autorité et réciproquement."

 

Proudhon, De la justice dans la révolution et dans l'Église, L'État, 1858.



  "L'État, comme division instituée de la société en un haut et un bas, est la mise en jeu effective de la relation de pouvoir. Détenir le pouvoir, c'est l'exer­cer : un pouvoir qui ne s'exerce pas n'est pas un pouvoir, il n'est qu'une apparence. Et peut-être, de ce point de vue, certaines royautés, africaines ou autres, seraient-elles à classer dans l'ordre, plus efficacement trompeur qu'on ne pourrait croire, de l'apparence. Quoi qu'il en soit, la relation de pouvoir réalise une capacité absolue de division dans la société. Elle est, à ce titre, l'essence même de l'institution étatique, la figure minimale de l'État. Réciproquement, l'État n'est que l'extension de la relation de pouvoir, l'approfondissement sans cesse plus marqué de l'inégalité entre ceux qui comman­dent et ceux qui obéissent. Sera déterminée comme société primitive toute machine sociale qui fonc­tionne selon l'absence de la relation de pouvoir. Sera par conséquent dite à État, toute société dont le fonctionnement implique, si minime puisse-t-il nous paraître, l'exercice du pouvoir."

 

Pierre Clastres, "Liberté, Malencontre, Innommable", 1976, in Étienne de La Boétie, Le discours de la servitude volontaire, Payot, 2002, p. 252-253.

 

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Date de création : 01/12/2006 @ 19:41
Dernière modification : 03/05/2017 @ 09:38
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