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Texte à méditer :  Time is money.
  
Benjamin Franklin
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Hors des sentiers battus
L'essence de la religion

    "L'objet de l'Écriture est seulement d'enseigner l'obéissance. Personne ne peut aller à l'encontre. Qui ne voit en effet que l'un et l'autre Testament ne sont autre chose qu'une leçon d'obéissance ? Que le but auquel ils tentent est de faire que les hommes se soumettent de bon cœur ? Pour ne pas revenir sur les preuves données dans le chapitre précédent, Moïse en effet n'a pas tâché de convaincre les Israélites par la Raison, mais à les lier par un pacte, des serments et des bienfaits ; puis il a signifié au peuple qu'il eût à obéir aux lois sous peine de châtiment et l'y a exhorté par des récompenses, tous moyens ineptes s'ils s'agissait de sciences, efficaces pour l'obéissance seule. L'Évangile n'enseigne rien que la Foi simple : croire en Dieu et le révérer, ou, ce qui revient au même, obéir à Dieu. Nul besoin, pour que ce point soit le plus manifeste du monde, d'accumuler les textes de l'écriture qui recommandent l'obéissance et qui se trouvent en si grand nombre dans l'un et l'autre Testament. En second lieu l'Écriture elle-même enseigne aussi avec la plus grande clarté ce que chacun et tenu d'accomplir pour obéir à Dieu ; elle enseigne, dis-je, que toute la loi consiste en ce seul commandement : aimer son prochain. Nul ne peut donc nier que celui-là est vraiment obéissant et bienheureux selon la loi, qui aime son prochain comme lui-même parce que Dieu l'a commandé, que celui-là au contraire est rebelle et insoumis qui a son prochain en haine ou le laisse à l'abandon. Tout le monde enfin reconnaît que l'Écriture n'a pas été écrite et répandue pour les habiles seuls mais pour tout le genre humain, sans distinction d'âge ni de sexe ; et de cela seul il suit très évidemment que l'Écriture ne nous oblige à croire autre chose que ce qui est absolument nécessaire pour accomplir ce commandement".


Spinoza, Traité théologico-politique, 1670, Chapitre VI, trad. Charles Appuhn, GF, p. 240-241.


 

  "Toutes les croyances religieuses connues, qu'elles soient simples ou complexes, présentent un même caractère commun : elles supposent une classification des choses, réelles ou idéales, que se représentent les hommes, en deux classes, en deux genres opposés, désignés généralement par deux termes distincts que traduisent assez bien les mots de profane  et de sacré. La division du monde en deux domaines comprenant, l'un tout ce qui est sacré, l'autre tout ce qui est profane, tel est le trait distinctif de la pensée religieuse; les croyances, les mythes, les gnomes[1], les légendes sont ou des représentations ou des systèmes de représentations qui expriment la nature des choses sacrées, les vertus et les pouvoirs qui leur sont attribués, leur histoire, leurs rapports les unes avec les autres et avec les choses profanes. Mais, par choses sacrées, il ne faut pas entendre simplement ces êtres personnels que l'on appelle des dieux ou des esprits; un rocher, une source, un caillou, une pièce de bois, une maison, en un mot une chose quelconque peut être sacrée. Un rite peut avoir ce caractère; il n'existe même pas de rite qui ne l'ait à quelque degré. Il y a des mots, des paroles, des formules qui ne peuvent être prononcés que par la bouche de personnages consacrés; il y a des gestes, des mouvements qui ne peuvent être exécutés par tout le monde. [...] Le cercle des objets sacrés ne peut donc être déterminé une fois pour toutes; l'étendue en est infiniment variable selon les religions. Voilà comment le bouddhisme est une religion : c'est que, à défaut de dieux, il admet l'existence de choses sacrées, à savoir des quatre vérités saintes et des pratiques qui en dérivent. [...]
 Les croyances proprement religieuses sont toujours communes à une collectivité déterminée qui fait profession d'y adhérer et de pratiquer les rites qui en sont solidaires. Elles ne sont pas seulement admises, à titre individuel, par tous les membres de cette collectivité; mais elles sont la chose du groupe et elles en font l'unité. [...]
 Nous arrivons donc à la définition suivante : Une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c'est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Église, tous ceux qui y adhèrent. Le second élément qui prend ainsi place dans notre définition n'est pas moins essentiel que le premier; car, en montrant que l'idée de religion est inséparable de l'idée d'Église, il fait pressentir que la religion doit être une chose éminemment collective."
 
Émile Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, 1912, Le livre de Poche, 1991, p. 92-93 et p. 103-109.

[1] Poésie sentencieuse formulant des maximes.


  "L'homme qui se rapporte à la transcendance et qui surmonte le souci de sa vie empirique et sa volonté de durer s'empare de la possibilité qui lui est donnée de s'assurer de l'être au sein du temps qui passe. Malgré l'insécurité et l'impuissance, l'existence reste, dans la condition empirique, en elle-même auprès de sa transcendance. Lorsque l'homme se détache du fini, même l'avenir en tant que fini devient relatif à ses yeux. La voie de l'éternité, qui coupe celle de la vie pour conduire jusqu'au fondements, est celle où l'on s'engage par les actes intérieurs et extérieurs qui déterminent radicalement l'être entier de l'homme. [...]
La religion [...] devient dans son objectivité un héritage dans l'histoire; mais avec un langage et des institutions désormais objectifs, elle se trouve liée au monde de [...] la culture."
La religion, c'est le rapport à la transcendance devenu objectif dans le culte et dans un savoir traditionnel, lié à une institution ecclésiale et à une autorité. [...]

 

Karl Jaspers, Philosophie, 1932, trad. Jeanne Hersch, Springer-Verlag, 1986, p. 540-541.


 

    "RELIGION. La religion consiste à croire par volonté, sans preuves, et même contre les preuves, que l'esprit, valeur suprême et juge des valeurs, existe sous les apparences, et se révèle même dans les apparences, pour qui sait lire l'histoire. Il y a des degrés dans la religion. La religion de l'espérance veut croire que la nature est bonne au fond (panthéisme). La religion de la charité veut croire que la nature humaine est bonne au fond (culte des héros). La religion de la foi veut croire à l'esprit libre, et s'ordonne d'espérer en tout homme (égalité) et aussi de ne point croire que la nature ait des projets contre nous ni aucun projet. La religion n'est pas une philosophie, c'est une histoire. Tous les événements manifestent l'esprit ; mais il en est de plus évidemment miraculeux ; les uns comme les autres n'ont lieu qu'une fois. Le culte consiste à commémorer les principaux de ces événements, de façon à entretenir une société à la fois publique et intime entre l'homme et l'esprit absolu, c'est-à-dire entre l'homme et son esprit."


Alain, "Définitions", in Les Dieux, 1933, Gallimard.



  "L'homme religieux assume un mode d'existence spécifique dans le monde, et, malgré le nombre considérable des formes historico-religieuses, ce mode spécifique est toujours reconnaissable. Quel que soit le contexte historique dans lequel il est plongé, l'homo religiosus croit toujours qu'il existe une réalité absolue, le sacré, qui transcende ce monde-ci, mais qui s'y manifeste et, de ce fait, le sanctifie et le rend réel. Il croit que la vie a une origine sacrée et que l'existence humaine actualise toutes ses potentialités dans la mesure où elle est religieuse, c'est-à-dire : participe à la réalité. Les dieux ont créé l'homme et le Monde les Héros civilisateurs ont achevé la Création, et l'histoire de toutes ces œuvres divines et semi-divines est conservée dans les mythes. En réactualisant l'histoire sacrée, en imitant le comportement divin, l'homme s'installe et se maintient auprès des dieux, c'est-à-dire dans le réel et le significatif."

 

Mircea Eliade, Le Sacré et le Profane, 1957, Folio Essais, 2001, p. 171-172.



  "Ce n'est pas sans inquiétude qu'on voit des livres s'intituler Traité d'histoire des religions ou   Phénoménologie religieuse : quelque chose comme « la » religion existerait donc ? On se rassure en consta­tant bientôt que, malgré la généralité de leur titre, ces traités, s'ils ont des cadres qui leur permettent de traiter des religions antiques, passent pratiquement sous silence le christianisme, et réciproquement. Ce qui se comprend. Les différentes religions sont autant d'agrégats de phéno­mènes appartenant à des catégories hétérogènes et aucun de ces agré­gats n'a la même composition que l'autre ; telle religion comporte des rites, de la magie, de la mythologie, telle autre s'est agrégé de la philo­sophie théologique, s'est liée à des institutions politiques, culturelles, sportives, à des phénomènes psychopathologiques, a sécrété des ins­titutions qui ont une dimension économique (panégyries antiques, monachisme chrétien et bouddhique); telle autre a « capté » tel ou tel mouvement qui, dans une autre civilisation, serait devenu un mou­vement politique ou une curiosité d'histoire des mœurs; c'est une plati­tude que de dire que les hippies rappellent un tout petit peu le premier franciscanisme : du moins voit-on comment une possibilité psychoso­ciale peut être captée par un agrégat religieux. Les nuances seront insen­sibles qui sépareront une religion d'un folklore, d'un mouvement de ferveur collective, d'une secte politique, philosophique ou charisma­tique; où ranger le saint-simonisme ou le cénacle de Stefan George ? Avec le bouddhisme du Petit Véhicule, on a une religion athée. Les historiens de l'Antiquité savent combien la limite peut être incer­taine entre le religieux et le collectif (les jeux Olympiques) et les Réfor­mateurs voyaient, dans les pèlerinages papistes, un tourisme païen; la phrase fameuse, « dans l'Antiquité, tout ce qui est collectif est reli­gieux », n'est pas une incitation à majorer l'élément religieux de l'Anti­quité en lui prêtant l'intensité qu'on lui connaît dans le christianisme : elle signifie que l'agrégat appelé religion grecque était fait de beaucoup de folklore.
  Le « plan » d'une religion ne ressemble à celui d'aucune autre, de même que le plan de chaque agglomération diffère des autres : l'une comprend un palais et un théâtre, l'autre des usines, la troisième est un simple hameau. C'est une affaire de degrés : d'une religion à l'autre, les différences sont assez considérables pour que, pratiquement, un manuel d'histoire des religions soit infaisable s'il ne commence pas par une typologie, de même qu'un livre de géographie générale intitulé la Ville commence toujours par distinguer des types de villes et par avouer que la distinction entre la ville et le village demeurera floue. Il n'en reste pas moins qu'il doit y avoir quelque chose de commun aux différentes religions, qui fait qu'on les ait réunies sous un même concept. Le difficile serait de définir ce noyau essentiel : le sacré ? le sentiment religieux ? le transcendant ? Laissons les philosophes aux prises avec ce problème d'une essence régionale; comme il nous suffira d'être prévenus que le noyau essentiel de l’agrégat n'en est que le noyau, que nous ne pouvons préjuger de ce sera ce noyau dans une religion donnée, que ce noyau n'est pas un invariant et qu'il change d'une culture à l'autre (ni « sacré » ni « dieu» ne sont des mots univoques ; quant aux sentiments religieux, ils n’ont rien de spécifique en eux-mêmes : l'extase est un phénomène religieux quand elle se rapporte au sacré, au lieu de se rapporter à la poésie, comme chez tel grand poète contemporain, ou à l'ivresse du savoir astronomique, comme c'était le cas pour l'astronome Ptolémée. Le tout demeure assez flou et verbal pour que le concept de religion lui-même soit flottant et simplement physionomique; l'historien doit donc procéder très empiriquement et se garder d'investir dans l’idée qu'il se fait d'une religion déterminée, tout ce que le concept de religion retient des autres religions."

 

Paul Veyne, Comment on écrit l'histoire, 1971, Points Histoire, 1979, p. 92-93.



    "L'idée d'un développement religieux a une longue et vénérable tradition. Elle est commandée en général par la perspective d'un progrès dans la conception du divin (dont le monothéisme constituerait la notion la plus élaborée) et dans la différenciation corrélative de l'activité religieuse au sein de l'ensemble des activités collectives, dans le cadre d'une complexité sociale croissante. Dès l'instant où, comme il est proposé ici, on fait du rapport au fondement social le centre de gravité du religieux, on est amené à inverser radicalement la perspective : la religion la plus systématique et la plus complète, c'est au départ qu'elle se trouve, et les transformations ultérieures qu'on croirait correspondre à un approfondissement ou à une avancée constituent en fait autant d'étapes sur le chemin d'une remise en question du religieux. À l'origine est la dépossession radicale, l'altérité intégrale du fondement. Et contre ce que suggèrent les apparences, ces élaborations plus récentes de l'image du divin qui vont dans le sens d'un renforcement de la puissance du tout-autre, et donc, serait-on tenté de penser, de la dépendance humaine envers l'au-delà, correspondent en réalité à une réduction de l'altérité de l'ultime principe d'ordre de leur monde par les agents d'ici-bas. Des religions primitives au christianisme moderne, le trajet est celui d'une réappropriation de cela, la source du sens et le foyer de la loi, qui a été initialement rejeté, et radicalement, hors de la prise des acteurs humains."

 

Marcel Gauchet, Le Désenchantement du monde, 1985, Folio essais, 2005, p. 45-46.



  "Assurément qu'il n'y a que des sociétés dans l'histoire : sans doute même est-ce que la répétition pure est rigoureusement impossible à l'homme. Reste que cette donnée irrécusable, les sociétés humaines se sont employées, sur la plus longue partie de leur parcours, à la refouler méthodiquement, à la recouvrir ou à la contenir – non sans efficacité du reste. Car si cela ne les a pas empêchées de changer continûment, malgré qu'en aient leurs agents, cela les a vouées par contre à un rythme de changement très lent. L'essence primitive du fait religieux est toute dans cette disposition contre l'histoire. La religion à l'état pur, elle se ramasse dans cette division du temps qui place le présent dans une absolue dépendance envers le passé mythique et qui garantit l'immuable fidélité de l'ensemble des activités humaines à leur vérité inaugurale en même temps qu'elle signe la dépossession sans appel des acteurs humains vis-à-vis de ce qui confère matérialité et sens aux faits et gestes de leur existence. Coprésence à l'origine et disjonction d'avec le moment d'origine, exacte et constante conformité à ce qui a été une fois pour toutes fondé et séparation d'avec le fondement : on a dans l'articulation de ce conservatisme radical à la fois la clé du rapport religion-société et le secret de la nature du religieux."

 

Marcel Gauchet, Le Désenchantement du monde, 1985, Folio essais, 2005, p. 48-49.


 

  "La religion a été primordialement, et jusqu'à une date récente, une manière d'être, un mode de structuration des sociétés humaines. C'est ce que condense la notion d' « hétéronomie ». La croyance religieuse, dans ce cadre, engage l'organisation collective. Elle est croyance dans l'autre surnaturel qui vous donne votre loi commune d'ailleurs et du dessus. Or cette dépendance envers « l'invisible » est simultanément dépendance envers le « passé ». L'ordre hétéronome est foncièrement passéiste. La corrélation n'est pas évidente dans l'abstrait. Pourtant, elle est capitale pour comprendre les formes et le fonctionnement des sociétés de religion. L'extériorité métaphysique radicale du fondement implique « l'antériorité » temporelle du fondement. Nous ne sommes pour rien dans l'ordonnance du monde où nous vivons. Elle nous est essentiellement « donnée » et « imposée » par plus haut que nous. La supériorité de sa source se marque dans sa précédence par rapport à la volonté humaine. Elle domine celle-ci pour autant qu'elle se présente comme toujours « d'avant » elle. Nous « recevons » l'ordre qui nous tient ensemble, et nous avons à le transmettre tel que nous l'avons reçu. C'est en ce sens que les sociétés de religion sont des sociétés de « tradition », dans un sens bien plus fort que ce que nous mettons spontanément sous ce terme."

 

Marcel Gauchet, "Croyances religieuses, croyances politiques", 2000, in Le Pouvoir, l'État, la politique, Odile Jacob Poches, 2002, p. 263-264.

 

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Date de création : 30/05/2007 @ 14:37
Dernière modification : 26/04/2024 @ 17:28
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